Sur huit millions estimées, un million d’espèces animales et végétales sont désormais menacées d’anéantissement, sans compter les insectes. L’IPBES, aussi connu comme « le GIEC de la biodiversité » a délivré aujourd’hui un rapport prévisible, mais funeste : en continuant à détruire à une vitesse jamais égalée les autres espèces du vivant, l’humain fera lui aussi partie de la sixième extinction de masse.
La longue liste des morts
Un rapport de plus sur l’effondrement du vivant. Peut-être même le rapport ultime ? Après trois ans de travail pour compiler 15 000 références scientifiques et gouvernementales, 355 experts originaires de 50 pays de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) nous offrent aujourd’hui la synthèse scientifique la plus aboutie qui ait été rédigée sur l’état du vivant de notre planète. La quarantaine de pages à l’intention des décideurs est un résumé de leur analyse de 1500 pages, qui sera publiée plus tard dans l’année. Le bilan est déjà sans appel : le rapport estime qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité.
« Les preuves accablantes contenues dans l’évaluation globale publiée par l’IPBES et obtenues à partir d’un large éventail de domaines de connaissance, présentent un panorama inquiétant », a déclaré le président de l’IPBES, Sir Robert Watson. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ».
A +1,1°C atteint, la crise climatique n’est pas la seule menace au maintien de la vie sur Terre telle que nous la connaissons aujourd’hui. Après le rapport Planète Vivante, celui de l’IPBES nous fournit une nouvelle liste de chiffres prouvant scientifiquement le seuil de non-retour que nous sommes en train d’atteindre. Le taux actuel d’extinction des espèces dans le monde est des centaines de fois plus élevé que celui des 10 derniers millions d’années, et ce taux s’accélère.
Pas tous responsables de la même façon
La cause principale de cet anéantissement généralisé est l’activité humaine, et plus particulièrement nos modes de vie occidentaux fondés sur la course à la croissance et au profit : déforestation, industries extractives, destruction des habitats, industrialisation de l’agriculture, utilisation massive de pesticides, dégradation des sols, surpêche, surpopulation humaine, changement climatique, déchets plastiques, étalement urbain, espèces envahissantes se propageant à cause des échanges commerciaux humains, agrocarburants, surconsommation…

« Les principaux facteurs indirects comprennent l’augmentation de la population et de la consommation par habitant ; l’innovation technologique, dont les dommages causés à la nature ont diminué dans certains cas tandis qu’ils ont augmenté dans d’autres ; et, de manière critique, les questions de gouvernance et de responsabilité. Une tendance qui émerge est celle dite de l’interconnectivité mondiale et du « telecoupling ». Dans ce cas, l’extraction des ressources et leur production ont lieu dans une partie du monde, mais servent souvent à satisfaire les besoins de consommateurs éloignés, qui vivent dans d’autres régions. » a déclaré le professeur Brondízio.
Au total, les trois quarts de l’environnement terrestre et environ 66 % du milieu marin ont été significativement modifiés par l’action humaine. Pour autant, toute les populations humaines ne sont pas responsables de la même façon. En effet, le rapport précise que ces tendances ont été moins graves et parfois même évitées sur les territoires gérés par des peuples autochtones et des communautés locales. Il préconise donc de valoriser leurs savoirs et leurs modes de vie.
Une dernière chance pour tout sauver
Si rien n’est fait, l’effondrement et la dégradation des espèces vivantes et de nos écosystèmes va continuer jusqu’en 2050 et bien après selon les experts, à moins d’un sursaut collectif radical. Malgré ce constat accablant, les conclusions du rapport rejoignent celles du GIEC dans un ultime avertissement. Les scientifiques appellent ainsi à un « changement transformateur » pour transformer nos sociétés, du niveau local à celui mondial : sauver et réparer ce qui peut l’être, changer totalement nos de modes de production et consommation pour créer une nouvelle civilisation préservant et protégeant le vivant.

Et les champs d’action sont légion, de la démarche individuelle à une nouvelle politique : stopper l’étalement urbain et la bétonisation à outrance, sortir du dogme de la croissance, réduire les inégalités, arrêter d’utiliser du plastique (la pollution par les plastiques a été multipliée par dix depuis 1980), manger moins de protéines animales, changer nos pratiques agricoles pour qu’elles contribuent à régénérer les écosystèmes, protéger les populations autochtones, protéger les dernières surfaces sauvages, prendre soin de nos réserves d’eau douce…
Peu importe la définition que nous donnons à la Nature, nous avons bien plus besoin d’Elle qu’elle n’a besoin de nous, nous alerte l’IPBES. Pour ces scientifiques, il est illusoire de penser que nous pourrons remplacer tous les services qu’elle nous rend grâce aux machines et au progrès technique, ne serait-ce que pour les ressources limitées dont nous disposons. Rien que pour se nourrir, plus de 75% des types de cultures vivrières dans le monde, y compris les fruits et légumes et certaines des plus importantes cultures de rapport telles que le café, le cacao et les amandes, dépendent de la pollinisation par les animaux.
La crise écologique et sociale que nous traversons est une fois de plus prouvée, nous mettant face à un choix : va-t-on continuer à compter nos morts jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à recenser ?