Dans la nuit du 18 au 19 avril, le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi controversée sur le secret des affaires. Les sénateurs sont allés encore plus loin que le texte voté le 28 mars par l’Assemblée nationale, en créant un délit d’espionnage économique.
Un délit d’espionnage économique
Le texte, adopté à 248 voix pour et 95 contre, transpose en droit français une directive européenne de juin 2016 qui vise à protéger les entreprises de vols ou de divulgations d’informations confidentielles concernant leur production (brevet, secret de fabrication…). Ce texte donne ainsi une définition large des informations de l’entreprise devant être protégées de la concurrence. Il prévoit également l’indemnisation du préjudice civil de l’entreprise victime en cas de détention illégale ou divulgation d’un tel secret.
Par rapport à l’Assemblée nationale, le Sénat a endurci le texte en étendant l’interprétation du secret des affaires aux informations qui ont « une valeur économique », alors que le texte initial portait sur une « valeur commerciale ». De plus, le Sénat a retiré l’article introduit à l’Assemblée qui permettait de sanctionner les procédures abusives contre des journalistes ou des lanceurs d’alerte.
A juste titre, cette proposition de loi de Raphaël Gauvain, député de la majorité, a provoqué de très vives oppositions pour préserver la liberté d’informer et ne pas ajouter aux entraves mises aux lanceurs d’alerte. Représentés par Elise Lucet, le collectif « Stop Secret d’affaires » regroupe un grand nombre de médias (Le Monde, Radio France, Les Echos…), de syndicats de journalistes et d’associations de défense des libertés et de lutte contre la corruption (Transparency International, La Ligue des droits de l’homme, Greenpeance, etc.). Ensemble, ils ont lancé une pétition « pour ne pas laisser les entreprises et les banques d’affaires imposer la loi du silence » dans une lettre ouverte adressée aux parlementaires.
« La « loi secret des affaires » a des implications juridiques, sociales, sanitaires et environnementales graves. Sous couvert de protéger les entreprises, elle verrouille l’information sur les pratiques des firmes et les produits commercialisés par les entreprises. Des scandales comme celui du Mediator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les Panama Papers ou LuxLeaks, pourraient ne plus être portés à la connaissance des citoyens. »
Intimidation et procédures « bâillons »
Nicole Belloubet, ministre de la justice, a argué devant le Sénat que cette cette proposition n’entache pas les libertés publiques en précisant que « Les juridictions, gardiennes des libertés individuelles, feront la balance des intérêts en présence en veillant à ce qu’aucun lanceur d’alerte ne soit condamné ».
Quand on voit comment sont déjà maltraités nos lanceurs d’alerte en France, à l’image de Stéphanie Gibaud, on ne peut que s’inquiéter d’une telle déclaration. En effet, les attaques en justice menées par les entreprises contre les journalistes et lanceurs d’alerte sont déjà connues sous le nom de « procédures bâillons ». Peu importe qu’elles réussissent ou non, elles veulent surtout intimider les associations et organes de presse en leur imposant de longues procédures judiciaires hors de prix.
Pour les journalistes et associations signataires de la pétition, le message est très clair :
« En gravant dans le marbre la menace systématique de longs et couteux procès, cette loi est une arme de dissuasion massive tournée vers les journalistes, les syndicats, les scientifiques, les ONGs et les lanceurs d’alertes. » La commission mixte paritaire qui devrait être mise en place pour trancher représenterait-elle alors le dernier espoir de la liberté de la presse en France ?

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