Yánis Varoufakis, ancien ministre des Finances du gouvernement d’Alexis Tsípras vient de sortir un livre deux ans après sa démission forcée. Ses lignes révèlent les dessous des négociations entre la Grèce et l’Europe au cœur desquelles il a vécu durant six mois, déterminant l’avenir de son pays.
Le pion stratégique Varoufakis
Expert en économie et spécialiste de la théorie des jeux, Yánis Varoufakis s’est rendu célèbre en critiquant les plans de sauvetage d’Athènes qui lui semblaient superficiels et inefficaces. Cette prise de position forte lui vaudra une introduction inédite au cœur du pouvoir grec, il devient député sous la bannière Syriza en 2015, sans pour autant être membre du parti avant d’être nommé ministre des Finances du gouvernement Tsípras. Ce même gouvernement porte sur ses épaules le poids d’un espoir du peuple grec, frappé d’une violence sans précédent par la crise économique. Yánis Varoufakis le sait, s’il accepte le poste, il sera au cœur des négociations européennes pour déterminer l’avenir de son pays.
Une onde de choc au fond de l’eau
Dans son dernier livre, Adults in the Room, My Battle with Europe’s Deep Establishement, l’ex-ministre qui s’auto-qualifie de marxiste libertaire énonce et dénonce une hypocrisie violente et un étau sévèrement maintenus par l’Eurogroupe. Un article des Echos dépeint avec plus de précisions deux épisodes du livre dans lesquelles transparaissent déception auprès de Michel Sapin et impuissance face à l’Eurogroupe.

« La France n’est plus ce qu’elle était. »
Afin de préparer son premier Eurogroupe (réunion mensuelle dans laquelle les ministres des Finances des Etats membres de la zone euro coordonnent leur politique économique), Yánis Varoufakis fait une tournée des capitales européennes. Vient le tour de la rencontre avec Michel Sapin, alors ministre de l’Economie et des Finances sous Hollande, afin de lui expliquer son plan pour sauver la Grèce. Ce dernier est le seul ministre de l’Eurogroupe qui ne parle pas anglais, il est donc toujours accompagné par des traducteurs, note Varoufakis. A son arrivée, il est accueilli par un homme souriant et chaleureux, « typiquement latin dans sa gestuelle et son langage corporelle ». Yánis Varoufakis, nerveux, explique avec application son plan pour restructurer la dette grecque et bâtir une nouvelle relation entre son pays l’UE. La nervosité du ministre s’estompe à la vue de la réaction du ministre français : « Le succès de votre gouvernement sera aussi le nôtre. Il est important que nous changions l’Europe ensemble et que nous remplacions cette obsession de l’austérité par un agenda pro-croissance. La Grèce en a besoin, la France en a besoin, l’Europe en a besoin. Ensemble, nous devons redémarrer l’Europe ».
« Le succès de votre gouvernement sera aussi le nôtre. Il est important que nous changions l’Europe ensemble et que nous remplacions cette obsession de l’austérité par un agenda pro-croissance. La Grèce en a besoin, la France en a besoin, l’Europe en a besoin. Ensemble, nous devons redémarrer l’Europe »
Ironiquement, Varoufakis dépeint dans son livre le sentiment d’un vent novateur et révolutionnaire : « C’est tout juste si Michel ne m’a pas attrapé la main pour qu’on aille prendre la Bastille en chantant la Marseillaise ». La joie de Varoufakis ne fait pourtant pas long feu lorsque Michel Sapin lui tapote dans l’épaule en lui faisant comprendre que Berlin n’est pas ravi qu’il n’ait pas fait une première escale en Outre-Rhin et que la conférence de presse se solde par une mine grave et des mots tels que « discipline », « obligations à l’égard des créanciers », « devoirs », sonnant le glas de ce qui n’était que fausse sympathie. A la surprise de Varoufakis, Michel Sapin ne répondra que « Yanis, vous devez comprendre une chose. La France n’est plus ce qu’elle était ».

La réunion informelle où tout se joue
Quant à son premier Eurogroupe, Varoufakis ne le vivra guère d’une façon plus enthousiaste. La mécanique et les processus de cette réunion informelle ont pour but de défaire les éventuels contre courants. La légitimité d’une telle réunion est d’ailleurs légèrement remise en question par l’ex-ministre grec qui décrit le manque de législation dans cette instance où tout se joue : « L’Eurogoupe est une créature intéressante. Il n’a aucune base légale dans les traités européens et pourtant c’est le lieu où sont prises les décisions les plus cruciales pour l’Europe ».
C’est autour de grandes tables strictes que se jouent nos avenirs communs sans que nous puissions y faire quoi que ce soit. La troïka depuis la crise grecque n’est rien d’autre que les experts de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, tous non élus. Ces acteurs ont pour moyen de pression la sortie de la Grèce de l’Union européenne et le blocage des prêts accordés ; face à cela, les négociations sont tendues. Alors on fait des compromis sur les sous-lignes, on tente de jouer avec les mots et on se lance des regards stricts. Varoufakis a quitté depuis deux ans maintenant le gouvernement grec suite au référendum refusant l’issue des négociations européennes, il semble toujours atterré par la manière dont la vie de ces plusieurs millions de personnes est gouvernée et par la légèreté avec laquelle se comportent les costumes dans leurs fauteuils.

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