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Reconfinement : Avec le recul du départ à la retraite, les Sénateurs tentent un nouveau coup de force

Si une telle mesure ne sera pas immédiatement suivie d’effet, elle témoigne d’une tendance des pouvoirs publics à profiter des troubles sociaux actuels pour faire passer en force lois et décrets liberticides ou incompatibles avec l’intérêt général, l’épidémie et le confinement participant à neutraliser toute opposition.

Force est de constater que le second confinement est l’occasion saisie par le gouvernement pour faire passer des lois liberticides, antisociales, et contraires aux enjeux écologiques. Si la dernière attaque provient du Sénat, qui cherche à allonger en douce la durée légale de départ à la retraite, la majorité peut elle aussi se glorifier d’avoir voté plusieurs « lois scélérates » durant les seuls mois d’octobre et de novembre. Florilège.  

Retraite à 63 ans en 2025

La gauche s’indigne, la droite exulte, LREM botte en touche. Samedi 14 novembre, au beau milieu du second confinement qui paralyse le pays, le Sénat a souhaité rouvrir plusieurs éléments du dossier sulfureux de la réforme des retraites, suspendue depuis le mois d’avril dernier à cause de la pandémie.

À l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, la majorité de droite et du centre a voté en faveur d’un double amendement déposé par le sénateur (LR) René-Paul Savary : le premier volet propose de repousser progressivement l’âge légal de départ à la retraite jusqu’à 63 ans en 2025 ; le second d’allonger la durée des cotisations pour atteindre 43 annuités dès la génération 1965.

Il s’agirait dans un premier temps de relancer la conférence sur l’équilibre et le financement des retraites, qui avait commencé ses travaux en début d’année, mais avait aussitôt été enterrée jusqu’à nouvel ordre, à partir du 17 mars.

Réunissant les « partenaires sociaux », syndicats, gouvernement, organisations patronales, cette conférence était censée établir les principes du régime unique (ou système universel à points) et trouver des moyens de parvenir à l’équilibre financier de la caisse des retraites d’ici 2027.

Dans son amendement, le Sénat juge ainsi que, si cette nouvelle conférence venait à échouer, il faudrait « amorcer des mesures de rétablissement des comptes », en repoussant notamment l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 63 ans.

Quant aux annuités nécessaires pour jouir d’une assurance à taux plein, il faudrait que toutes les personnes nées à compter de 1965 en cumulent 43, soit 172 semestres, un nombre que ne doivent atteindre pour le moment que les Français nés à partir de 1973. L’amendement du Sénat porterait donc préjudice aux personnes nées entre 1965 et 1973, qui auraient dès lors l’obligation de travailler une à deux années de plus, selon leur âge.

Si l’on en croit les premières réactions politiques, cette initiative sénatoriale, adoptée à 200 voix contre 118, aurait peu de chances de survivre à son passage à l’Assemblée nationale, puisque le gouvernement l’estime « prématurée » et que les députés LREM y semblent contraires, au moins dans sa forme actuelle.

Mais si une telle mesure ne sera pas immédiatement suivie d’effet, elle témoigne d’une tendance des pouvoirs publics à profiter des troubles sociaux actuels pour faire passer en force lois et décrets liberticides ou incompatibles avec l’intérêt général, l’épidémie et le confinement participant à neutraliser toute opposition.

Une tendance inquiétante de mesures antisociales et écocidaires

Lundi 9 novembre, lors de l’examen du projet de loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030 en commission mixte paritaire, les parlementaires se sont entendus pour compléter le Code de l’éducation d’une disposition pénale qui sanctionnera d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement » (article 20 bis AA du projet de loi).

Concrètement, si ce texte est adopté le 17 novembre par l’Assemblée nationale et dans les semaines à venir par le Sénat, il signera la fin de la « franchise » historique des facultés et grandes écoles : les forces de l’ordre pourront directement intervenir dans les campus et les procureurs engager librement des poursuites contre les étudiants, sans le concours préalable des présidents d’université et au seul détriment des militants, qui mettront dorénavant en jeu leur existence civile dans une occupation.

Cette pénalisation des universités, anodine en apparence, est destinée à priver l’enseignement supérieur de cette capacité d’opposition qui permit un Mai 68.

Lire aussi : « Les occupations d’université bientôt passibles de 3 ans de prison et de 45 000 euros d’amende ? »

La proposition de loi relative à la sécurité globale, déposée le 20 octobre par les députés Jean-Michel Fauvergue, ancien chef du RAID et Christophe Castaner (qu’on ne présente plus), est un véritable florilège de dispositions liberticides, unanimement dénoncées par la société civile. Faisant l’objet d’une procédure accélérée alors qu’aucune urgence ne la justifie, cette loi devrait être examinée à l’Assemblée nationale entre les 17 et 20 novembre, en plein confinement, avec un résultat connu d’avance.

Les éléments critiques de la loi se concentrent en particulier dans trois des 32 articles, les 21, 22 et 24. Les articles 21 et 22 élargissent considérablement le droit pour les policiers de filmer les citoyens, au moyen de caméras piéton, aéroportées ou fixées sur des drones, dont l’usage devrait être systématisé.

À terme, tous les agents des forces de l’ordre (environ 200 000) pourront s’équiper d’une caméra mobile, dont les images seront retransmises en direct aux commissariats, traitées par des logiciels et laissées à disposition des policiers.

Comme l’indique Amnesty International, « en l’état, [cette] proposition de loi ouvre la possibilité d’être filmé par les forces de l’ordre dans pratiquement tout l’espace public ». Une surveillance de masse, dont les premières victimes seront les manifestants, mais qui fera aussi de tout citoyen un suspect potentiel.

Plus dangereux encore, l’article 24 rendra passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de filmer et de diffuser l’image d’un fonctionnaire de la police ou d’un militaire de la gendarmerie, « dans le but qu’il soit porté atteinte à [leur] intégrité physique ou psychique ».

Arbitraire et imprécise, la notion « d’intégrité psychique » ne cesse d’inquiéter la presse, les juges et les avocats, tout comme les associations, qui craignent que cette disposition entrave le travail des journalistes et empêche les citoyens d’apporter la preuve en images des violences policières.

France Info a par exemple recensé neuf affaires dans lesquelles des vidéos ont permis de mettre en cause les forces de l’ordre. L’article 24 constituera donc une atteinte majeure au droit à l’information. La guerre de l’image a bel et bien commencé. 

Lire aussi : « Loi sécurité globale : menaces à la liberté d’informer et surveillance généralisée »

« As Soon As Possible » : c’est le mot d’ordre de la loi ASAP, pour « accélération et simplification de l’action publique », adoptée définitivement les 27 et 28 octobre dernier, au moment même où le second confinement allait débuter.

Extrêmement complexe à déchiffrer — elle comprend 50 articles et plus de 1 000 amendements —, la loi ASAP n’en marque pas moins une complète régression en matière écologique : ses articles 21 à 28 permettront ainsi de réaliser des projets industriels « aussi vite que possible », au détriment du droit de l’environnement.

Réduction des délais de concertation, possibilité pour les entreprises de se passer d’enquête environnementale ou de commencer des travaux avant de l’avoir effectuée, dérégulation de l’attribution des marchés publics, renforcement des pouvoirs des préfets, extension du secret des affaires… Cette loi n’est rien d’autre qu’un fourre-tout, un pot-pourri détricotant de nombreuses victoires écologiques et rendu invisible, inattaquable par le confinement.

Lire aussi : « Loi ASAP : le projet de loi écocidaire et antisocial qui veut bétonner la France »

Début novembre, députés et sénateurs ont voté en faveur du retour temporaire (jusqu’en 2023) des néonicotinoïdes, surnommés « pesticides tueurs d’abeilles », dans le but officiel de « sauver » la filière française de la betterave à sucre, qui subit une perte de rendement à cause de la prolifération du puceron vert, vecteur de transmission de la jaunisse.

Lire aussi : « Les néonicotinoïdes continuent de tuer les pollinisateurs des années après leur interdiction »

Interdits depuis 2018, les néonicotinoïdes sont accusés de décimer les populations d’insectes par leur action sur leur système nerveux, selon un consensus scientifique étayé par plus d’un millier d’études, qui constatent par ailleurs une nette concomitance entre leur introduction sur le marché agricole dans les années 1990 et la disparition des trois quarts des insectes volants des campagnes d’Europe occidentale.

Face à cette dérive environnementale, des sénateurs des forces de gauches, Parti socialiste, Parti communiste, Europe Ecologie-les Verts et du groupe RDSE ont saisi le Conseil Constitutionnel en s’appuyant notamment sur le principe de non-régression inscrit dans le code de l’Environnement. Le Conseil constitutionnel, qui prendra également en compte les arguments du gouvernement, doit donner sa réponse d’ici un mois.

Face à ce phénomène inquiétant, la société civile et de nombreuses associations de protection des droits humains et de l’environnement s’organisent pour contrer les projets de loi liberticides qui doivent être votés cette semaine à l’Assemblée Nationale. A suivre de près.

Augustin Langlade

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