La vente de produits agricoles en « circuit-court » est en plein essor. Mais difficile de discerner les véritables magasins de producteurs, tant les grands groupes de distribution s’appliquent à les imiter.
Tromperies autour du circuit-court
« Je viens ici d’abord pour la qualité des produits. Mais le cadre est aussi important. J’adore le côté fermier. Surtout, c’est un magasin détaché de la grande distribution, entièrement tourné vers les producteurs. C’est un acte engagé de venir ici. »
Nous sommes à la fête annuelle des producteurs du magasin O’tera, à Villeneuve d’Ascq. L’enseigne, qui se vante de vendre 60 % des produits « en circuits-courts », semble jouir d’une belle image auprès de ses clients. Comme Sylvie, plusieurs sont convaincus qu’ils achètent l’ensemble de leurs produits directement aux producteurs, ou que ceux-ci sont exempts de pesticides.
« Selon une étude de l’Inra, 50% des consommateurs interrogés sont persuadés que « circuit court » équivaut forcément à “agriculture biologique”. Or la grande majorité des producteurs qui fournissent la grande distribution travaille encore avec des pesticides et des produits chimiques ! » note Yuna Chiffoleau, qui y est directrice de recherches. Les enseignes montrant un attrait pour les produits locaux cachent parfois très bien l’envers du décor. Plusieurs mastodontes jouent de la désinformation de consommateurs soucieux de la provenance de leurs aliments. Par exemple, Frais d’ici et Prise direct’ appartiennent respectivement aux géants InVivo et Advitam.

L’argument marketing du « local »
Il est vrai que le label « petit producteur » est un argument marketing de plus en plus recherché. La médiatisation des pratiques abusives envers leurs fournisseurs a fait du tort à de grands groupes de distribution comme Leclerc.
« Sous la pression des consommateurs, la grande distribution a voulu montrer une image plus présentable. D’où une débauche de marketing, affirmant que les producteurs viennent de moins loin et sont mieux traités. C’est donc un peu vrai : la grande distribution achète l’image de ces producteurs. » admet Yuna Chiffoleau.
D’où le déploiement d’enseignes se présentant comme « locales », aux slogans semblables au « Démocratisons les bienfaits des circuits-courts » d’ O’tera. Et qui font concurrence à certains magasins de producteurs réellement détenus et gérés par des producteurs agricoles.
« Ils ont l’odeur et la saveur des magasins de producteurs… mais ils n’en sont pas. » résume Aurélie Long, salariée du réseau Terre d’envies. « Nombre de nos magasins ont encore une belle croissance. Mais pour ceux qui se retrouvent en concurrence directe avec ces enseignes, c’est beaucoup plus compliqué. » déplore-t-elle.


Les véritables magasins de producteurs
Des photos de producteurs affichées un peu partout, les produits disposés horizontalement, une seule variété par type de légume… Difficile de discerner les véritables magasins de producteurs tant leur recette est imitée. La seule différence est la présence permanente de producteurs pour assurer la vente. « On a l’impression qu’on nous prend toutes nos idées, tous nos codes. » avoue Isabelle Ruhant.
Cette maraîchère bio de Talents de fermes raconte :
« Il y a de plus en plus de clients qui disent : « Tiens, c’est un magasin comme O’Tera » ! Et c’est un peu difficile de leur faire comprendre que ça n’a rien à voir. ».
Pour elle, vendre en circuit court est un gage de liberté : pas de contraintes d’étiquetage et d’emballage, la capacité de fixer ses propres prix et la possibilité de compter sur les marchés et les Amaps (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne).
Quant à l’intérêt économique, il n’est plus à démontrer.
« Sur 100 euros dépensés par un consommateur dans un magasin de producteurs, 60 à 90 euros reviennent au territoire, sous forme de salaire ou encore d’achat de matériel. Pour les supermarchés, la somme tombe à 5 euros. » révèle Yuna Chiffoleau.
Enfin, les acheteurs y trouvent à leur tour un avantage. Pascale Mejean, du réseau Boutiques paysannes, en est convaincu :
« Avoir des producteurs toujours présents dans le magasin, pour parler de leur production, cela permet un échange. Les consommateurs savent d’où viennent les produits qu’ils achètent. Les magasins de producteurs sont aussi une aubaine pour les consommateurs »

« Circuit-court » ?
Il s’agit de la vente des produits agricoles soit directement du producteur au consommateur, soit avec un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur. Rien à voir avec la distance géographique, pour ne pas exclure les producteurs éloignés des bassins de consommation. Mais concrètement, la majorité des circuits-courts revêtent une dimension locale.
Ce mode de commercialisation concerne plus le miel et les légumes que les produits animaux, dont la transformation et la conservation sont contraignantes.
Le Rapport sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires présenté en 2015 à l’Assemblée montre des disparités selon les régions. En Ile-de-France, près de deux tiers des exploitations vendent en circuits courts. En Bretagne, elles ne sont que 18 % à être concernées.