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Privatisation ADP/FDJ et référendum laborieux : la France, une colonie sous tutelle privée ?

« On est dirigés par des gens qui sont convaincus de l’inutilité de l’institution qui les a faits. Il y a un phénomène d’abandon de l’élite administrative, les hauts fonctionnaires d’État, qui abandonne l’institution par laquelle elle a été faite et qu’elle devait servir. »

La loi PACTE comprenant la privatisation d’ADP (ex-Aéroports de Paris) et de la Française des Jeux vient d’être adoptée par le Parlement. La privatisation d’ADP est tellement controversée que 218 députés et sénateurs de tous bords politiques se sont rassemblés pour lancer une procédure de Référendum d’Initiative Partagée (RIP). Cette affaire symbolise les menaces qui pèsent sur la souveraineté économique et politique de l’État Français.

La privatisation d’ADP et de la FDJ : un scandale similaire à la privatisation des autoroutes

A 147 voix pour, 50 contre et 8 abstentions, l’Assemblée nationale a adopté ce jeudi le projet de loi PACTE après de virulents échanges entre le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, et les députés contre le projet. Et pour cause, la loi PACTE, dite relative à la croissance et à la transformation des entreprises, est un texte « fourre-tout » de 220 articles qui autorise notamment la privatisation du groupe ADP (ex- Aéroports de Paris), d’Engie et de la Française Des Jeux qui rapportent pourtant à l’État français en moyenne 800 millions d’euros par an.

Le groupe ADP est le numéro un mondial du secteur avec un chiffre d’affaires de 4,47 milliards d’euros en 2018, détenu à 50,63 % par l’État français, ce qui lui rapporte chaque année des dividendes conséquentes : +185 millions d’euros en 2018. Avec une telle manne financière, de nombreuses voix se sont élevées dès le début pour dénoncer l’hérésie économique que constituerait la privatisation d’ADP. D’autant plus que dans la configuration prévue, l’État français doit carrément financer une partie de la privatisation en indemnisant les autres actionnaires actuels.

Pour ses détracteurs, cette privatisation est une menace extrêmement préoccupante pour la sécurité de la France étant donné qu’ADP est une infrastructure stratégique par laquelle transite plus de 100 millions de voyageurs à l’année, soit l’une des frontières principales du pays. Ce caractère stratégique explique que 86% des aéroports mondiaux sont toujours publics, notamment aux Etats-Unis.

Même en terme de transition écologique, la privatisation d’ADP est un danger car elle permettrait la création d’un lobby surpuissant capable de s’opposer à toute taxe sur le kérosène.

Dans la même veine, la cession de 52 % de la FDJ au secteur privé inquiète par ses conséquences néfastes pour l’intérêt général, notamment en termes d’inégalités sociales comme le dénonce Médiapart : moins d’argent qui revient aux joueurs, et des risques d’addiction plus élevés pour les classes les plus pauvres, tombant dans un engrenage infernal. Les détracteurs des privatisations accusent LREM de vendre les « bijoux de famille français ».

Le RIP et le manque de participation citoyenne aux décisions du pays

La privatisation d’ADP est tellement décriée qu’elle a réussi l’exploit de réconcilier droite et gauche en une première historique : 218 parlementaires français se sont rassemblés pour lancer un Référendum d’Initiative Parlementaire (RIP). Existant depuis 2015, le RIP est une démarche fastidieuse qui permet de proposer une loi en regroupant au minimum 185 élus sur 925.

«Nous ne voulions pas que soit à nouveau commise l’erreur qui s’est transformée en scandale, de la privatisation des autoroutes, avec la privatisation des aéroports de Paris», a annoncé le député socialiste Boris Vallaud, lors d’une conférence de presse, entouré de députés et sénateurs de droite et de gauche.

«Il s’agit de demander aux Françaises et aux Français s’ils sont d’accord pour que l’exploitation, l’aménagement et le développement des aérodromes de Paris Charles-de-Gaulle, Paris Orly et Paris Le Bourget, revêtent le caractère de service public national », comme il l’est actuellement prévu dans la Constitution de 1946.

La coalition de tous ces parlementaires pour bloquer la privatisation d’ADP est une première étape. Le RIP doit être validé par le Conseil constitutionnel dans le mois suivant son dépôt, puis obtenir le soutien de 4,5 millions d’électeurs français (10% du corps électoral) en neuf mois. Même avec ces deux conditions réunies, le Référendum d’Initiative Parlementaire ne sera lancé que si sa proposition de loi n’est pas examinée par le Parlement (Sénat et Assemblée Nationale) dans un délai de six mois.

Crédit Photo : Belinda Fewings

Malgré ces nombreux obstacles, Coralie Delaume, l’initiatrice de la pétition contre la privatisation d’ADP, voit ce RIP comme une chance de donner plus de temps aux citoyens français de réaliser les enjeux autour des privatisations en cours dans le pays.

« Le délai pour obtenir les signatures étant de 9 mois, cela va laisser du temps pour débattre. Il est probable que la question des privatisations dans leur ensemble vienne sur le tapis. Celle notamment, scandaleuse, des autoroutes, qui a beaucoup mobilisé les gilets jaunes. (…) On aura également l’occasion d’évoquer ce projet fou de privatisation de certaines routes nationales, récemment révélé par une enquête de la cellule investigations de Radio France. Ou encore le précédent de la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. On savait déjà qu’il était en train de tourner au vinaigre. On savait que le concessionnaire chinois avait tendance à vider les caisses de l’entreprise, qu’il n’avait aucune expérience en matière de gestion aéroportuaire, qu’il avait été épinglé très durement dans un rapport de la Cour des comptes en octobre 2018. On sait désormais également, grâce à une récente enquête de Médiacité, que ça empire de jour en jour. » a-t-elle confié à Le Figaro.

Le grand bradage de la France, future colonie sous tutelle privée ?

Car la loi PACTE n’est que la continuité idéologique de la politique menée en France depuis la fin des années 80 : la privatisation des biens de l’État. Ce phénomène est décrypté dans la dernière vidéo de Datagueule : sous couvert de créer des emplois, d’alléger la dette et de stimuler la compétitivité, nos services publics sont systématiquement privatisés quitte à mettre en péril notre souveraineté économique et politique.

Ainsi, entre 1985 et 2015, le nombre d’entreprises publiques a diminué de 3500 à 1625. Bien loin de permettre la création d’emploi, les employés sont eux passés de plus de 2,2 millions à moins de 800 000 salariés. Interrogé par l’équipe de Data Gueule, le sociologue et chercheur au CNRS François-Xavier Dudouet dénonce l’attitude de nos hauts-fonctionnaires d’Etat qui privilégient les grandes entreprises privées dans lesquelles ils finiront leur carrière, au détriment de l’intérêt général.

« On est dirigés par des gens qui sont convaincus de l’inutilité de l’institution qui les a faits. Il y a un phénomène d’abandon de l’élite administrative, les hauts fonctionnaires d’État, qui abandonne l’institution par laquelle elle a été faite et qu’elle devait servir. Et si c’est le cas, ça veut dire effectivement que le pouvoir n’y est plus. D’ailleurs, si on veut voir où est le pouvoir, Il faut suivre ceux qui le servent. Et si ceux qui le servent ne servent plus l’Etat, c’est qu’il est ailleurs. On est en train de devenir une colonie, on l’est déjà sur le plan idéologique, et on va le devenir de plus en plus sur le plan économique et bientôt sur le plan politique. » François-Xavier Dudouet, Sociologue et Chercheur au CNRS

L’accusation est grave : va-t-on laisser privatiser la France au risque de devenir une colonie sous tutelle privée ?

Crédit Photo à la une : ERIC PIERMONT / AFP

Laurie Debove

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