Suite à un incendie de forêt désastreux en 2017 ayant fait 64 morts, le Portugal avait mis en place des mesures fortes, dont le déploiement de 18 500 chèvres et la création d’une agence spéciale dédiée à la prévention et gestion des incendies (AGIF). Cinq ans après, le pays est devenu un modèle international mais doit aller plus loin face à la recrudescence des incendies causés par le changement climatique.
Le traumatisme de 2017
Alors que les canicules et sécheresses frappent de plus en plus sévèrement le continent européen, le Portugal figure parmi les pays les plus touchés par le phénomène. En dix ans, le Portugal a perdu plus de la moitié de ses forêts à cause des incendies. L’un des plus mortels est celui de Pedrógão Grande, au centre du Portugal.
En 2017, il a détruit plus de 20 000 hectares, blessé 250 civils et tué 64 personnes, brûlées vives dans leurs véhicules immobilisés par les flammes. En cause : la crise climatique, avec des vagues de chaleur de plus en plus fortes, combinée à l’industrie de la cellulose au Portugal.
Lancée à grande échelle dans les années 80, cette industrialisation s’est traduite par la plantation d’eucalyptus, une essence extrêmement inflammable et très demandée par l’industrie du papier. Près de 900 000 hectares du territoire serait recouvert d’eucalyptus, soit un quart des forêts du pays.
Suite à cette catastrophe, le gouvernement portugais avait interdit les nouvelles plantations d’eucalyptus, annoncé de vastes réformes agraires et investi dans la sensibilisation des communautés locales les plus exposées aux incendies de forêt dans les districts du centre et du nord du Portugal, afin qu’elles connaissent notamment les voies d’évacuation à emprunter et les zones où se réfugier (avec de l’eau ou peu de végétation) en cas d’incendie.
Le pays est également passé d’un focus sur la lutte contre les incendies à celui de leur prévention, en créant une Agence pour la Gestion Intégrée des Incendies Ruraux (AGIF) et en expérimentant de nombreuses mesures pour rendre la terre moins inflammable.
Parmi ces mesures : la mise en place de vigies partout dans le pays, postées dans des tours de guet pour alerter les autorités à la moindre fumée repérée. Cette année, 230 tours sont en service avec 77 sites prioritaires et 153 sites secondaires, soit plus de 900 vigies assurant une surveillance 24h/24.
Après avoir tenté d’étouffer les foyers de feux grâce à l’utilisation de drones et satellites, le Portugal s’était également tourné vers une solution beaucoup plus low-tech : les chèvres. Depuis mars 2018, 18 500 caprins ont été envoyés dans les maquis pour manger bruyères, genêts et arbustes. Elles laissent dans leur sillage des sites défrichés, même les plus escarpés et rocheux, ce qui permet de limiter la propagation des feux en cas d’incendie.
Cette opération expérimentale mobilise une quarantaine de bergers jusqu’en 2024. Payés 25 euros pour chaque hectare nettoyé, le retour des bergers dans les collines portugaises permet de repeupler des régions fortement touchées par l’exode rural. Or, le phénomène est tel qu’il est plus difficile pour le gouvernement de trouver des bergers que des subventions pour financer le projet. Surtout, cet exode rural empire les risques d’incendies.
Les nouveaux défis
Au premier abord, les mesures prises par le gouvernement portugais ont porté leurs fruits. En 2021, le pays a enregistré le plus faible nombre d’incendies ruraux de la dernière décennie, selon les données du Système de gestion de l’information sur les incendies de forêt (SGIF) au Portugal. Couplé à une stratégie de prévention, un temps plus clément l’an dernier a largement participé à cette réussite.
Mais cette année, les conséquences du changement climatique sont telles, avec des records de températures de plus de 47°C et une sécheresse dévastatrice, que plus de 50 000 hectares ont déjà brûlé, selon les données provisoires de l’Institut de la conservation de la nature et des forêts (ICNF), soit deux fois plus que l’an dernier.
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Or, au Portugal, 85 % des incendies se déclarent à 500 mètres d’un village ou une route et plus de 60% résultent d’un départ de feu humain, selon Tiago Oliveria. Pour le président de l’Agence pour la Gestion Intégrée des Incendies Ruraux (AGIF), le problème des incendies n’est pas dû au manque de moyens de lutte, mais à la gérance du patrimoine forestier ainsi qu’à l’exode rural.
« Environ 30% des propriétés rurales au Portugal ne sont plus réclamées », a déclaré Oliveira à l’agence de presse Reuters, « Or, ces propriétés désaffectées accumulent rapidement des sous-bois inflammables. En raison de ces défis, seuls 20 % des objectifs de prévention des incendies de l’AGIF ont été atteints, malgré une connaissance et une volonté croissantes d’agir ».
Pour éviter cette désaffection, le président de l’AGIF exhorte les politiciens portugais à réformer la propriété et l’héritage, afin de permettre aux bonnes volontés sans terres de continuer à faire vivre les campagnes. Il regrette que les ingénieurs forestiers et les ruraux ne soient pas aussi considérés comme des héros, au même titre que les pompiers.
« Si vous voulez préserver le territoire, vous devez en dépendre pour manger », résume Jose Gaspar, ingénieur civil à l’école agraire de Coimbra et enseignant à l’école locale des pompiers.
Les politiciens portugais, accaparés par la pandémie de Covid ces dernières années, commençaient à oublier la menace terrible des incendies. Mais la population vivant près de Pedrogao Grande, elle, n’a pas oublié le traumatisme de 2017.
En effet, si la nouvelle réglementation a bien interdit la plantation d’eucalyptus après 2017, rien n’avait été prévu pour les plantations déjà en place. C’est pourquoi les habitants de Ferraria de Sao Joao, vivant à 24km du lieu où a frappé le terrible incendie, n’ont pas attendu l’aide du gouvernement pour couper tous les eucalyptus autour des zones d’habitation.
À l’échelle mondiale, alors que le changement climatique entraîne davantage de vagues de chaleur et de sécheresse, le nombre d’incendies de forêt extrêmes devrait augmenter de 30 % d’ici 2050, les incendies devenant de plus en plus difficiles à éteindre, selon des études récentes des Nations Unies et de la revue scientifique Nature.
Partout dans le monde, les gouvernements cherchent donc des solutions pour endiguer les flammes et certains d’entre eux s’inspirent du Portugal à l’instar de l’Australie, de l’Afrique du Sud ou de la Californie qui a développé un partenariat avec le pays méditerranéen, leurs conditions pédo-climatiques étant très similaires. Les deux régions travaillent désormais en étroite collaboration pour partager leurs connaissances, leurs compétences et leurs ressources dans le domaine.
De nombreux pompiers étrangers viennent également se former au Portugal, et le pays va accueillir la Conférence internationale sur les feux de forêts en 2023.
« Le feu reste l’ennemi principal jusqu’en octobre. Oui, nous avons réussi à réduire le nombre d’incendies. Mais il suffit d’une journée très chaude et venteuse avec une végétation sans gestion forestière appropriée pour qu’un incendie similaire à celui de 2017 se reproduise. La question n’est pas « si » mais « quand ». C’est pourquoi nos efforts doivent se concentrer sur la prévention des risques » avertit Tiago Oliveira.
Crédit photo couv : PATRICIA DE MELO MOREIRA / AFP
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