PLOS ONE, un magazine scientifique en ligne, a publié hier une étude révélant que plus de 75% des insectes volants avaient disparu en Allemagne dans les 27 dernières années, une situation qui pourrait bien être plus généralement celle de l’Europe. Les relevés de cette envergure sont rares et ces résultats bien plus inquiétants que ce que l’on croyait savoir. La très médiatisée disparition des abeilles était pour ainsi dire l’arbre qui cache la forêt… Les principaux suspects dans cette affaire sont les pesticides utilisés dans l’agriculture intensive.
Le « syndrome du pare-brise »
Si vous n’êtes pas convaincu par les chiffres, vous pouvez faire très facilement un constat. Il existe ce que les entomologistes appellent le « syndrome du pare-brise ». C’est tout simplement le fait qu’il y a 20 ou 30 ans (vous l’avez peut-être connu, sinon rien ne vous empêche de demander à vos parents), quand on voyageait en voiture, il y avait bien plus d’insectes qui venaient s’écraser sur le pare-brise. « Je suis très attaché aux statistiques, confie au magazine Science Scott Black, directeur de la Société Xerces pour la Conservation des Invertébrés (Portland, Oregon). Mais ça vous prend aux tripes quand vous constatez que vous ne voyez plus tout ça sur votre pare-brise ».
À ceux qui répondent que l’aérodynamisme des véhicules a augmenté, ce qui protège les insectes, un autre entomologiste cité dans Science répond qu’il « conduit un Land Rover qui a l’aérodynamisme d’un réfrigérateur » et que « ces jours-ci, il reste propre ».

Une baisse drastique mettant en danger les chaines alimentaires
Les douze chercheurs ayant contribué à l’étude relayée par PLOS ONE ont collecté et analysé des données chiffrant les captures d’insectes depuis 1989 et en sont arrivés à la conclusion très alarmante d’une diminution de près de 80% des insectes volants en moins de 30 ans en Allemagne. « Cela excède considérablement le déclin quantitatif, estimé à 58%, des vertébrés sauvages depuis 1970 », alertent les entomologistes.
L’étude ne concerne que l’Allemagne mais dans la mesure où les systèmes agricoles français et allemand par exemple ne sont pas si différents, ce constat peut probablement être étendu. « On ne peut pas l’affirmer, mais je dirais qu’il y a une bonne « chance » pour que l’Allemagne soit représentative d’une situation bien plus large. Si c’est effectivement le cas, alors nous sommes face à une catastrophe écologique imminente », explique Dave Goulson (université du Sussex, Royaume-Uni), co-auteur de ce travail.
Étant donné que les insectes constituent une des bases des chaines alimentaires, ce terme de catastrophe écologique n’est absolument pas une exagération. Pour vous donner une idée, cela signifie qu’environ les quatre-cinquièmes de la nourriture des oiseaux insectivores ont disparu. Les insectes volants jouent également un rôle primordial dans la pollinisation.
Ces relevés sont rendus possibles par l’utilisation de tentes Malaise, un système de capture depuis longtemps prisé par les entomologistes. Les données ont été collectées dans 63 aires protégées d’Allemagne, et ont été ensuite traitées grâce à un travail statistique important.
Les facteurs de cette disparition
Le principal facteur retenu par les entomologistes est celui des pesticides utilisés dans l’agriculture intensive, et en particulier les néonicotinoïdes, qui ont beaucoup fait parler d’eux ces derniers temps en Europe. Et non, les néonicotinoïdes ne tuent pas que les abeilles, les autres insectes aussi. « Nous sommes très doués pour ignorer les espèces peu charismatiques », taquine très justement Joe Nocera, biologiste à l’université du Nouveau-Brunswick au Canada.
Pour évaluer la pénétration des néonicotinoïdes, dans une chaine alimentaire, rien de mieux que d’étudier le miel, et c’est ce que fait une étude franco-suisse qui démontre que l’on en trouve dans les trois-quarts des miels mondiaux (sur 198 échantillons étudiés).

Un des chercheurs de l’équipe déclare ainsi :
« Nous avons relevé dans ces miels une teneur moyenne de 1,8 microgramme de néonicotinoïdes par kilo. C’est plus de dix fois au-dessus du seuil à partir duquel des effets délétères sont documentés sur certains insectes… »
Un article paru dans le magazine Science alertait déjà sur l’urgence du problème en mai. Il est capital de prendre des décisions rapides pour encadrer drastiquement l’utilisation de pesticides, et de rénover de fond en comble une agriculture obsolète. Selon Caspar Hallman, le directeur de l’étude, « On peut difficilement imaginer ce qu’il pourrait se passer si la disparition des insectes ailés continue ainsi ».

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