Une étude parue dans la revue scientifique renommée « Nature » fait le point sur la quantité d’énergies fossiles à ne pas extraire pour avoir une petite chance de ne pas dépasser +1,5°C de réchauffement moyen et empêcher l’augmentation en intensité des catastrophes climatiques. Selon les calculs des chercheurs, il faudrait laisser dans le sol près de 60 % des réserves de pétrole et de gaz, et 90 % de celles de charbon d’ici à 2050. Un rappel lapidaire sur l’urgence de changer les modes de production et consommation des pays riches.
Durant la COP21, les pays signataires se sont engagés à limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C et à poursuivre leurs efforts pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C par rapport à l’époque préindustrielle.
Six ans plus tard, les énergies fossiles dominent toujours largement le système énergétique mondial et la demande atteint des chiffres sidérants. Avant la pandémie, la production mondiale de pétrole était de plus de 100 millions de barils par jour. Actuellement, les énergies fossiles représentent 81 % de la demande en énergie primaire et avec la reprise économique, les vannes rouvrent progressivement.
Cette étude tombe donc à pic pour évaluer la quantité d’énergies fossiles qu’il ne faudrait pas extraire afin d’avoir « une probabilité de 50 % » de limiter le réchauffement à 1,5 °C. Ils ont choisi comme contrainte climatique l’objectif de ne pas émettre plus de 580 milliards de tonnes de CO2 sur la période 2018 – 2100.
Leurs résultats montrent que les engagements précédemment pris sont insuffisants et exigent un sevrage bien plus important de nos sociétés.
« D’ici 2050, nous constatons que près de 60 % du pétrole et du méthane fossile et 90 % du charbon doivent rester non extraits pour respecter un budget carbone de 1,5 °C. Il s’agit d’une forte augmentation des estimations non extractibles pour un bilan carbone de 2 °C, en particulier pour le pétrole, pour lequel 25 % supplémentaires des réserves doivent rester non extraits. En outre, nous estimons que la production de pétrole et de gaz doit baisser de 3 % chaque année dans le monde jusqu’en 2050. » résume l’étude
Concrètement, cela implique que la plupart des régions doivent atteindre un pic de production maintenant ou au cours de la prochaine décennie, rendant de nombreux projets opérationnels et planifiés d’énergies fossiles non viables.
Dans cette étude, les réserves sont définies comme étant techniquement et économiquement exploitables compte tenu des conditions actuelles du marché. Elles peuvent être subdivisées en plusieurs sous-catégories : actuellement en production, non développées mais après/en attente d’une décision d’investissement finale, et évaluation de terrain en cours répondant à de premiers critères.
L’effort varierait donc considérablement selon les régions du monde et leurs réserves. Ainsi les détenteurs des réserves les plus grandes ont souvent moins d’efforts à fournir. La Russie et les anciens pays soviétiques ne devraient laisser « que » 38 % de leurs réserves de pétrole grâce leur « rapport coût-efficacité » selon les critères de l’étude. Même chose pour les Etats-Unis (31 % à ne pas extraire).
Au contraire, le Canada devrait se priver de davantage de pétrole (83 % de ses réserves, et 84 % de ses sables bitumineux) et de gaz (81 %. Quant au charbon, peu importe le pays producteur, les restrictions sont les plus drastiques partout dans le monde.
« La baisse récente de la demande de pétrole et de méthane fossile due au COVID-19 offre aux gouvernements une véritable opportunité pour changer de stratégie. La crise a exposé encore plus la vulnérabilité du secteur pétrolier et gazier, et suscité des inquiétudes quant à sa rentabilité à l’avenir. Les gouvernements qui ont historiquement bénéficié de cette manne énergétique devraient montrer l’exemple, tout en aidant d’autres pays ayant une forte dépendance aux énergies fossiles mais une faible capacité de transition. » exhortent les auteurs de l’étude
Ceci dit, ils reconnaissent que ces objectifs sont déjà bien plus ambitieux que la dynamique actuelle alors qu’ils ne nous laissent qu’une chance sur deux de limiter le réchauffement à +1,5°C. De plus, leur étude ne prend pas en compte les facteurs sociopolitiques ou les questions d’équité et d’usage desdites énergies. Leur scénario s’appuie aussi sur des hypothèses de développement des technologies de captage-stockage du carbone qui restent incertaines.
« Le sombre tableau dépeint par nos scénarios pour l’industrie mondiale des énergies fossiles est très probablement une sous-estimation de ce qui est nécessaire et, par conséquent, la production devrait être réduite encore plus rapidement. » alertent-ils
De plus, les chercheurs préviennent que la faisabilité technique d’extraction des énergies fossiles est soumise à des aléas imprévisibles, et notamment aux conséquences dudit réchauffement climatique. La fonte du pergélisol entraîne déjà des situations ubuesques pour les producteurs d’énergie développant des forages en milieu polaire. En Alaska, les groupes pétroliers refroidissent le sol pour qu’il soit suffisamment gelé et solide afin qu’ils roulent dessus et accèdent aux pipelines. Le serpent se mord la queue.
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Conscients de ces enjeux, les chercheurs sont formels : la quasi-totalité des réserves d’hydrocarbures non conventionnels doivent rester dans le sol et « toutes les ressources en pétrole et en gaz de l’Arctique ne pas être exploitées ».
Faible lueur d’espoir : le pic de la production mondiale de charbon a été atteint en 2013 et la production pétrolière est estimée avoir atteint un pic en 2019 ou s’approcher du pic de la demande, y compris par l’Agence Internationale de l’Energie qui chapeaute le secteur. Plus que jamais, la sobriété énergétique sera la clé pour éviter l’aggravation des conflits géopolitiques énergétiques existants ainsi qu’un désastre climatique.
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