Ce mardi 23 février, le Haut Conseil pour le Climat (HCC) a rendu public son avis sur la Loi Climat et Résilience. Alors que le texte s’appuie sur les 146 mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat, le HCC estime qu’il ne permet pas de répondre aux ambitions établies par l’Accord de Paris, adopté fin 2015.
Le Haut Conseil pour le Climat
Installé en 2018 par Emmanuel Macron, le HCC a vocation à apporter un éclairage indépendant sur la politique du gouvernement en matière de climat. Ses membres sont choisis pour leur expertise dans les domaines de la science du climat, de l’économie, de l’agronomie et de la transition énergétique.
Cependant, c’est vers le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) – qui compte pourtant parmi ses clients de nombreuses entreprises qui verraient d’un très mauvais œil la mise en place d’une législation efficace contre le changement climatique – que le gouvernement s’est tourné pour évaluer le texte.
En tant qu’instance indépendante, le HCC s’est saisi lui-même afin de donner un avis qui, comme le précisent ses membres, vise uniquement « à qualifier l’ambition du projet de loi et la pertinence de ses mesures au regard de la stratégie nationale bas carbone ».
Lire aussi : « Comment les lobbies ont détruit les mesures de la convention citoyenne pour le climat »
Des périmètres d’action à élargir
En premier lieu, « de nombreuses mesures portent sur des périmètres d’application restreints couvrant une part insuffisante des activités émettrices de gaz à effet de serre en France », constatent les experts.
Par exemple, l’article encadrant la publicité ne porte que sur les énergies fossiles. Or, « un ensemble de biens et services manifestement incompatibles avec la transition, tels que les véhicules lourds et peu aérodynamiques (SUV, etc.) ou certains produits alimentaires » devraient être concernés, peut-on lire dans le rapport.
Un autre exemple est celui de l’article 36, qui porte sur la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs là où il existe une alternative bas-carbone en moins de 2h30. « Cette limite fixée à 2h30 est beaucoup trop basse », soutient le rapport. Cette mesure ne concernerait en effet que huit liaisons, soit 10% du trafic de passagers aérien métropolitain en 2019.
Lire aussi : « Vague de procès pour les militants climat : le symptôme d’une lutte déterminée contre les dérives de l’aviation »

Des mesures à généraliser et une stratégie à perfectionner
La mise en place de consignes pour le verre, des menus végétariens proposés dans la restauration collective publique, des voies réservées aux transports collectifs et au covoiturage…toutes ces mesures figurent dans le projet de loi mais ne doivent pas être généralisées avant 2023.
Le HCC déplore donc « une proportion élevée » de mesures dont l’efficacité est amoindrie par des délais d’application démesurés.
Par ailleurs, pour les experts, toutes ces mesures doivent être systématiquement confrontées aux ambitions établies par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), feuille de route de la France dans sa lutte contre le changement climatique.
« Aucune analyse d’ensemble de ces contributions article par article n’est réalisée dans l’étude d’impact du texte de loi » constate le HCC. « La complémentarité des mesures entre elles et par rapport à l’existant n’est pas discutée, ni en termes généraux, ni en termes des orientations SNBC ».
En bref, « le projet de loi n’offre pas suffisamment de vision stratégique de la décarbonation des différents secteurs émetteurs en France ».
Lire aussi : « La consigne des bouteilles en verre permet d’économiser 75 % d’énergie par rapport au recyclage »

Un retard à rattraper
Pourtant, étant donné le retard de la France dans sa trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, cette loi se doit d’être particulièrement efficace.
« La dynamique actuelle de réduction des émissions continue par ailleurs d’être insuffisante » rappelle en effet le rapport. « Les émissions ont baissé de 1,2% par an en moyenne sur les cinq dernières années, alors que la diminution attendue devrait être de 1,5% par an » entre 2019 et 2023.
En outre, la France s’est engagée à diminuer ses émissions de 40 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990 et à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Au lieu de mettre en œuvre les mesures nécessaires et d’augmenter ses objectifs pour être raccord avec ceux de l’Union européenne qui vise une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre, l’Etat français a dépassé chacun des seuils qu’il s’était lui-même fixé à travers sa stratégie nationale bas-carbone (SNBC) dans les secteurs du bâtiment, des transports et agricole, tous trois extrêmement polluants.

Une loi capitale
Néanmoins, le HCC ne manque pas de saluer des « mesures qui constitueraient (…) une part importante de l’effort à engager ». Ses membres se réjouissent également du « fort accent » placé sur les mesures de pilotage de la transition bas carbone. Concrètement, il s’agit de nouvelles compétences qui seraient attribuées aux collectivités territoriales.
Malgré cela, le texte a déjà essuyé plusieurs critiques. Dès janvier, le Conseil national de la transition écologique s’est inquiété de « la baisse insuffisante des émissions de gaz à effet de serre (GES) induite » par cette loi en l’état. Le Conseil économique social et environnemental (Cese) a pour sa part sévèrement jugé le texte, constatant des mesures « en général pertinentes, mais souvent limitées ».
Pour le HCC, l‘examen du texte par le Parlement, qui débutera le 8 mars, « devra permettre de compléter et améliorer la portée des mesures proposées ».
Dans le contexte de l’Affaire du Siècle, ce nouveau rapport prend une importance toute particulière. Début février, l’Etat français a en effet été reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique et de « préjudice écologique ».
Il doit désormais mettre en œuvre « toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ».