Alors que l’année 2022 est considérée comme la seconde la plus sèche jamais enregistrée, les premiers mois de 2023 annoncent une année peut-être pire encore : selon les relevés de Météo-France, « la pluie n’est pas tombée en France depuis le 21 janvier », soit une série de 33 jours consécutifs, « du jamais vu durant un hiver météorologique ».
Cette sécheresse générale et prolongée – depuis août 2021, seuls trois mois n’ont pas été déficitaires en pluie – se traduit par une diminution dangereuse du débit des cours d’eau, de l’enneigement des massifs et des stocks d’eau souterrains, dont pâtit directement l’agriculture, qui consomme 48 % de l’eau française, et même 79 % en été.
Or, la situation ne devrait guère s’arranger : le GIEC prévoit que d’ici 2050, les débits moyens annuels des rivières diminueront de 10 % à 40 %, tandis que l’évaporation du sol et la transpiration du couvert végétal augmenteront pour leur part de 10 % à 30 %.
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Outre la sobriété, plus que jamais nécessaire, et la sortie progressive du modèle de l’irrigation à outrance, l’agriculture doit dès aujourd’hui trouver des solutions de court et de long terme aux pénuries d’eau qui se feront de plus en plus vives : parmi elles, la récupération des eaux usées, négligée pendant des décennies, fait l’objet d’une attention renouvelée des pouvoirs publics.
Montée en puissance
Dans son plan « antisécheresse » dévoilé fin janvier, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu a déploré que « seules 77 des 33 000 stations françaises de traitement des eaux usées [soient] équipées » d’un système de recyclage complet.
Moins de 1 % du volume d’eau traité à l’échelle nationale serait réutilisé, soit dix fois moins qu’en Italie, vingt fois moins qu’en Espagne et cent fois moins qu’en Israël, a précisé le ministre, ajoutant que tout le processus de récupération – des eaux pluviales aux « eaux grises », les eaux domestiques faiblement polluées – devait être repensé.
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D’ici 2025, le gouvernement espère tripler le recyclage des eaux usées, qui pourrait s’élever, d’après le Cerema, à 1,6 milliard de m3 par an, prélevés sur un gisement annuel de 8,4 milliards de m3 d’eaux traitées chaque année en France métropolitaine.
Les usages devraient être également étendus. Pour l’heure, 60 % des structures ou des projets de recyclage sont voués à l’irrigation agricole, et 30 % à l’arrosage de golfs. Le Cerema souligne que les eaux pluviales et les eaux grises pourraient être employées dans l’entretien des voiries et des espaces verts, le lavage des véhicules, mais surtout dans l’industrie, qui n’a pas besoin d’eau propre.
En agriculture, les eaux recyclées possèdent un avantage de taille : elles sont plus riches en azote et en phosphore que l’eau claire captée dans les sols et permettent donc d’économiser des engrais, tout en évitant un vaste gaspillage de la ressource potable.
Fonctionnement complexe
Le fonctionnement du recyclage est relativement complexe : en milieu agricole, par exemple, les parcelles doivent être reliées à une station d’épuration, souvent éloignée, et l’eau soumise à une série de traitements.
En amont, les eaux grises des habitations sont d’abord expurgées de leurs déchets solides grâce à des grilles, puis elles circulent dans un filtre naturel de galets et de roseaux après avoir été éventuellement traitées pour en éliminer les nitrates et le phosphore.
Il en résulte une eau impropre à la consommation, certes, mais idéale pour les cultures fourragères et industrielles (comme le coton), les céréales et les fruits et légumes destinés à la mise en conserve, et donc débarrassés de leurs pathogènes.
«Cela devenait indispensable pour nous», explique le directeur de la cave coopérative de Gruissan, Frédéric Vrinat, pour l’Usine Nouvelle
Et l’idée fait des émules au sein des agriculteurs français inquiets face à la sécheresse : les oléiculteurs aux Baux-de-Provence, les maraîchers de Noirmoutier (des précurseurs dans le domaine), des vignerons dans l’Hérault et dans l’Aude, des arboriculteurs dans les Pyrénées-Orientales,
« Sur l’île de Noirmoutier, il n’y a pas de nappes phréatiques d’eau potable, explique Jessica Tessier. Sans cette eau, on n’aurait pas de solutions d’irrigation et on n’aurait jamais pu développer cette pomme de terre« .
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A Murviel-les-Montpellier, une expérience d’irrigation goutte à goutte de cultures de laitue et de poireaux avec des eaux usées municipales traitées sans et avec ajout de quatorze contaminants à un niveau de concentration de 10 μg/L a été menée dans des conditions de culture en serre pendant deux ans.
Dans l’ensemble, cette étude a confirmé des rapports antérieurs sur le risque minime pour la santé humaine lié à la consommation de légumes verts à feuilles crus.
Au cas par cas
Plus chère que le captage et coûteuse en énergie, notamment lorsqu’il faut acheminer les eaux dans des tuyaux sous pression depuis les stations d’épuration, le recyclage n’est pas une panacée contre la sécheresse.
Comme le note Julie Mendret, chercheuse à l’université de Montpellier interviewée par France 24, les techniques de recyclage doivent être envisagées « au cas par cas », tout en veillant à lever les « freins » existants : la réglementation d’une part, et l’acceptabilité sociale de l’autre, dans la mesure où, bien qu’elle s’imposera de toute façon, la population se méfie encore de cette ressource.
Sur toute la partie littorale de la France, le recyclage paraît des plus justifiés, car il évite que de l’eau douce soit rejetée dans la mer. Dans les terres, en revanche, toute eau qui sera réemployée ne finira pas dans des rivières et d’autres milieux naturels qui en ont souvent besoin. Le recyclage n’est donc pas partout une bonne solution.
« Il faut à tout prix éviter de créer un “effet rebond”, conclut Julie Mendret. Car en généralisant le recyclage des eaux usées, nous pourrions donner une fausse impression d’une nouvelle abondance de la ressource en eau. Et évidemment, ce n’est pas le cas. »
D’autres territoires sont déjà prêts à aller plus loin. Aux Sables-d’Olonne, le projet Jourdain veut réutiliser les eaux usées pour produire une eau potable de qualité, consommable au quotidien par tous.
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Crédit photo couv : Lionel BONAVENTURE / AFP