Guérir le cancer
La question semblant avoir atteint les proportions d’une crise globale, la lutte contre les déchets plastique s’inscrit enfin à l’ordre du jour politique. Sous la pression de l’opinion publique, gouvernements et institutions de l’Union européenne cherchent aujourd’hui comment guérir le cancer.
La Commission européenne a récemment organisé une consultation en vue de restreindre les plastiques à utilisation unique. Ce type de mesure est très loin d’enthousiasmer ceux dont le fonds de commerce est justement cette production de déchets : les industriels des emballages plastiques.

Déplacer l’attention
Pour conjurer le sort, ces industriels ont mis en œuvre une stratégie : déplacer l’attention vers les consommateurs, en posant la responsabilité individuelle comme seule cause de la pollution plastique. L’association professionnelle de l’industrie des emballages alimentaires Pack2Go Europe constitue une illustration édifiante. Voici ce qui peut être lu sur son site Internet :
« Les emballages que nous fabriquons sont appropriés du point de vue environnemental, sûrs de tous les points de vue, produits éthiquement. (…) Tout ce que nous demandons du consommateur est de disposer des emballages usagés de manière responsable ».
La déresponsabilisation de Pack2Go est si flagrante qu’elle en serait risible. Seulement, l’association a en terme de lobbying un poids très important à la Commission européenne. Elle s’oppose régulièrement à toute initiative visant à remédier à la surproduction de plastique.
La lettre ouverte d’Eamonn Bates, le secrétaire général de Pack2Go, à Janez Potočnik, commissaire européen à l’Environnement, est explicite. Il accuse la Commission de mener « une sorte de ‘chasse aux sorcières’ contre le plastique » et d’avoir un « préjugé défavorable à l’encontre des solutions de plastiques à utilisation unique ».

Le recyclage, ce bouclier contre les critiques
Or, le plastique à utilisation unique est incontestablement la base du problème : nous produisons trop de plastique. Cela, la Commission européenne semble l’avoir intégré, comme le démontrent les mesures contre l’usage des sachets plastiques par exemple — mesures fortement décriées par les associations de lobbying.
Retour sur le site de Pack2Go, qui tente encore d’évincer les critiques : « Des systèmes et processus de fin de vie pour la collecte, la récupération et le recyclage ont été mis en place pour après utilisation. ».
Le plastique produit est recyclable. Merveilleux ! Nous pouvons donc en consommer à volonté…Vraiment ?
Une fausse solution
Natalie Gaontard, directrice de recherche à l’INRA spécialiste de l’emballage alimentaire, explique que le recyclage du plastique est loin d’être le remède miracle. D’abord, « la grande majorité des emballages plastique ne se recycle pas. » note-t-elle. Ensuite, ce recyclage ne peut pas s’inscrire dans une économie circulaire car il n’est possible de recycler le plastique que deux ou trois fois maximum. En effet, le matériau ne retrouve jamais ses propriétés d’origine. Inévitablement, après un temps très court, on le mélange avec des plastiques vierges.
« C’est de la communication. On rassure les industriels et on rassure les consommateurs : ils peuvent mettre la bouteille dans la bonne poubelle, le plastique va disparaître. Or, ce n’est pas vrai. »
Le plastique ne disparaît jamais complètement. La bouteille a beau être transformée en pull, celui-ci finira déchet non recyclable au bout de quelques années. Il va se dégrader en microparticules qui vont se répandre sur la Terre et dans les organismes avec des conséquences peu connues…et redoutées.

Ainsi, le problème n’est visiblement pas abordé par le bon bout. La plupart des mesures gouvernementales sont axées sur la fausse-solution — qui permet aux industriels de continuer à produire du plastique — que constitue le recyclage.
Le vrai problème : la production
C’est ce que déplore Flore Berlingen, qui dirige en France l’une des associations les plus actives contre la pollution plastique, Zero Waste. Elle relève que le gouvernement français a fixé des objectifs d’augmentation du recyclage, mais qu’il n’y aucun objectif de réduction de l’utilisation de plastique. Or c’est à la consommation — et donc à la production — que l’on devrait s’attaquer.
« Il faut investir dans les alternatives au jetable. Il faut refermer cette parenthèse. Pour l’instant les investissements sont placés massivement dans le recyclage, éventuellement les bioplastiques. » pointe-t-elle.
Flore Berlingen veut par exemple encourager la consigne pour le verre, consistant à réutiliser les contenants après lavage, qui selon elle est un système « viable ». Pour Natalie Gaontard, il est impératif de taxer le plastique vierge, de façon à ce que ce matériau devienne cher et permette aux autres alternatives — le vrac, le biodégradable… – de devenir compétitives.
Toutes deux s’accordent sur une certitude, celle que les industriels s’efforcent de nier : « Il faut chercher des solutions ailleurs, au-delà du recyclage. Il faut réduire notre addiction au plastique. »