Se déplacer librement, prétendre à un travail, élever ses enfants… Voici des actions qu’en Occident, nous prenons pour acquis. Pourtant à Buenaventura, en Colombie, les groupes armés font régner la terreur sur la côté Pacifique – les victimes de front sont les femmes, les jeunes et les enfants. C’est en partenariat avec l’association Taller Abierto que Terre des Hommes France se bat au quotidien pour améliorer la situation des habitants et surtout alerter l’opinion internationale.
Buenaventura, le carrefour entre la Colombie et le reste du monde
Buenaventura abrite l’un des plus importants ports de Colombie. Fort de son ouverture directe sur le Pacifique, cet espace est idéal géo-stratégiquement et économiquement ; en effet, ce port représente 67 % du volume commercial de tout le pays. La côte bénéficie également de grandes quantités de ressources naturelles tels que l’océan, la biodiversité, la végétation abondante mais aussi des puits d’eau potable, de l’or et du pétrole. Si l’on peut être amené à penser qu’une telle position et de telles découvertes auraient pu être un vecteur de développement et une opportunité d’avenir pour les habitants, c’est au contraire, un jeu sanglant de pouvoir et de territoire. Groupes armés, narcotrafiquants, institutions publiques corrompues et industriels s’arrachent les lopins de terre et prennent en otage les civiles qui y résident ; avec un indice de pauvreté supérieur à 80 %, la population ne dispose d’aucun moyen de se défendre que sa détermination et l’appui international qu’elle peine à obtenir.

Surnommée la « nouvelle capitale de la terreur », Buenaventura est le théâtre d’homicides, d’agressions sexuelles, de viols, de prostitution forcée, d’humiliations publiques, d’esclavagisme, de déplacements forcés, d’agression pour appartenance aux organismes de défense de droits humains, de démembrements etc. Une fois encore, les victimes de premier ordre sont les femmes, les jeunes et les enfants. L’association Taller Abierto créée en 1992 bénéficie depuis 2014 du précieux soutien et de la collaboration de Terre des Hommes France afin de lutter contre ces violences.
Comment en est-on arrivé là ?
L’abandon de cette population à 98 % afro-colombienne par le gouvernement colombien ne date pas d’hier. En effet, durant les années 90, le gouvernement a laissé les habitants aux mains des forces armées, au cœur de la guérilla FARC-EP. La sanglante guerre de la drogue a marqué au fer rouge une population qui n’était tout simplement pas au bon endroit. Suite à la mort de Pablo Escobar et à un bref retour au calme, des groupes paramilitaires ont violemment repris le contrôle des villes de la côte.

Telle une hydre, une tête tombée a laissée place libre à de nombreux autres. Ce n’est pas avant 2003 que l’ancien président Alvaro Uribe a mené une large campagne de démobilisation de la plupart de ces groupes, qui se faisaient appelé BACRIM (juste après la démobilisation) – la théorie de l’hydre s’est répétée et ce fut un échec cuisant à moyen terme. Ces groupes paramilitaires, vivant des activités illicites, principalement autour de la drogue ont sévi et ont mis en place une politique de terreur et d’intimidation inédite. Au cœur de certains quartiers populaires sans eau courante ou électricité, les groupes armés ont mis en place des « Casas de Pique » ou « Maison d’abattoir » comme QG de la peur où se passait des assassinats, tortures, démembrements etc – les cris des victimes devant servir de leçon et d’outils d’intimidation pour tout à chacun qui les entendait. Pour prendre un exemple parlant, le pic de la violence était permanent ; entre janvier et mars 2015, 17 femmes ont été assassinées et 14 personnes ont été démembrées vivantes.
« Ces groupes paramilitaires, vivant des activités illicites, principalement autour de la drogue ont sévi et ont mis en place une politique de terreur et d’intimidation inédite. »
Si la police et le gouvernement colombien mobilisait timidement des forces pour contrer ces groupes armés, une étude menée par l’ANDI (Association Nationale des Industrielles) a démontré le lien entre le niveau d’impunité des crimes depuis les années 2000 (qui ont considérablement augmenté entre 2013 et 2014) et une corruption flagrante des institutions publiques et policières. Parallèlement aux diverses violences physiques ou psychologiques et aux enrôlements forcés des jeunes et des enfants, les acteurs qui souhaitent mettre la main sur ces terres ont procédé à de nombreux déplacements forcés des habitants hors de leur terre. Entre 2011 et 2014, ce sont plus de 100 000 résidents qui ont été jetés dehors. Si des lois existent, notamment la loi 12-57 (2008) supposée protéger les femmes contre les formes violentes de discrimination, elles sont bafouées. Le paradoxe entre la largeur des droits des citoyens et leurs limites d’accès dans la pratique est énorme.

Un travail de fourmi mené de front par les habitants
Petit à petit, lassés de cette violence quotidienne et meurtrière, les habitants se sont rassemblés pour former de nombreuses associations, notamment pour assurer la protection de la défense des droits des femmes et des enfants dans les quartiers de Buenaventura. L’association Taller Abierto, soutenue par de nombreuses petites mains, mène un travail de proximité afin de permettre aux femmes de se défendre, d’être conscientes de leurs droits, de diffuser leurs connaissances et de bénéficier d’un appui juridique et psychologique. Le quartier de Puente Nayero, lui, s’est auto-proclamé espace humanitaire afin de vider l’espace des forces armées en instaurant un dialogue avec ces dernières et en restant ferme sur leur volonté de ne plus leur ouvrir leurs portes.


Leurs portes, c’est un portail en palette et des bâtons de bois, symboliques d’une résistance pacifiste. Comment réduire la violence dans un tel environnement tout en se basant sur une logique pacifiste ? L’association Taller Abierto a décidé de se baser sur des valeurs et des principes humanistes : le droit, l’équité du genre, l’interculturalité et la culture de paix – en mettant en place des activités de formation des populations en danger, un accompagnement pour les faire devenir ambassadeurs de leurs droits et en construisant petit à petit un environnement protecteur. C’est en partant des pierres qu’un mur de paix se construit peu à peu, en changeant l’attitude des femmes, leur point de vue et leurs réactions face à la violence, l’environnement se modifie peu à peu. L’idée étant de construire un monde nouveau à partir du potentiel et des compétences de chacun via un véritable processus d’autonomisation. Éveiller les consciences, fournir des outils de diffusion : le cercle vertueux se met peu à peu en place. C’est alors qu’un Bureau des Affaires féminines et des associations de femmes ont ouvert leurs portes afin de briser ce système patriarcale et machiste, pilier d’une structure sociale de domination.

Terre des Hommes France, artisan et dictaphone d’une cause juste
Malgré la mise en place de ces dispositifs et la détermination de ses acteurs, ces initiatives ne pourront prendre d’ampleur sans l’appui extérieur de l’opinion internationale. En effet, si ces structures existent, elles ne sont pas prises en compte et invitées au développement de la ville. Si le tourisme et l’attraction de la Colombie par les Occidentaux augmentent considérablement chaque année, la visibilité internationale sur l’enfer de Buenaventura est minime. Terre des Hommes France a scellé un partenariat avec l’association de Taller Abierto afin de lui fournir des outils de gestion de projet, une méthodologie pertinente pour faciliter la participation infanto-juvénile, les interactions citoyennes et l’intégration du genre. Ces outils structurants ont permis à l’association d’avancer plus vite et d’inscrire ses actions plus durablement. Au-delà de cette aide précieuse, Terre des Hommes France se veut véritable dictaphone de la cause des populations sous le joug mis en place à Buenaventura.

L’avocate de Taller Abierto parle d’un moment décisif pour la cause des habitants de Buenaventura : « c’est maintenant ou jamais qu’il faut prendre en compte les avancées et construire un environnement de paix. Les acteurs citoyens sont prêts à en découdre, ils sont conscients de leur situation et déterminés à se sortir de ce cercle de violence qui compromet leurs perspectives d’avenir et celle de leurs enfants – il est temps que le monde se tourne vers Buenaventura et stimule la mise en place de nouveaux dirigeants qui laisse la place libre à la participation de ces nouvelles entités et qui soutiennent le respect des droits de l’Homme jusqu’ici bafoués. Les compétences sont là, l’envie est là, les projets sont prêts : il ne manque plus qu’un soutien extérieur de grande ampleur pour retirer le grain de sable qui bloque tous les rouages d’une ville qui ne demande qu’à être libérée ».
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Crédit Photos : Terre des Hommes France

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