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Plus de 119 politiques dénoncent des failles graves dans l’évaluation des pesticides, qui minimisent leur toxicité

En conséquence, la double-évaluation de ces produits pratiquée par l’EFSA et l’ANSES n’est pas conforme à l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) du 1er octobre 2019 qui stipule que l’ensemble des principes actifs d’un produit doivent être déclarés et analysés tant pour leur effet isolé que pour leurs effets mélangés entre eux.

Fin octobre 2020, une étude scientifique démontrait pour la première fois la présence de produits toxiques non déclarés dans 14 pesticides. Parmi ces produits, des métaux lourds comme l’Arsenic, le Cuivre, le Plomb, le Nickel mais aussi des substances cancérogènes. En cause : de nombreuses failles dans l’évaluation des pesticides qui omet totalement de calculer la toxicité cumulée des différentes substances présentes dans ces pesticides, un phénomène aussi appelé « effet cocktail ». Face à la gravité de la situation, une action en justice a été lancée début décembre par 9 associations sous le nom de campagne « Secrets toxiques ». Ce 25 février, 119 députés européens et sénateurs français ont adressé une lettre à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority, EFSA) pour lui demander le retrait de ces produits toxiques, mais surtout de revoir ses méthodes d’évaluation.

Des toxiques cachés

Début décembre, nous relayions la vidéo d’une campagne citoyenne au nom intriguant « Secrets toxiques ». L’objet de cette campagne : donner de la visibilité à l’étude d’octobre 2020 du Pr Gilles-Eric Séralini et Gérald Jungers, publiée dans la revue Food and Chemical Toxicology, dans laquelle les scientifiques ont découvert la présence fréquente de substances toxiques dans 14 pesticides, alors que ces substances n’étaient pas indiquées sur l’étiquette des produits.

Pour mener leur étude, les scientifiques ont analysé 14 formulations d’herbicides sans glyphosate par spectrométrie de masse. Ils ont découvert la présence de métaux lourds et de métalloïdes comme l’Arsenic, le Cuivre, le Plomb, le Nickel ; mais aussi d’hydrocarbures polycycliques aromatiques (HAP) dans 12 d’entre eux, dont certains sont des cancérogènes reconnus par le Centre International de Recherche sur le Cancer, comme le benzo(A)pyrene.

Si ces produits toxiques sont passés incognito, c’est parce que le système d’évaluation des pesticides au niveau européen et français comprend des failles.

En effet, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) s’intéresse seulement à la substance déclarée active par l’industriel et ignore donc totalement son effet cumulé avec d’autres substances présentes dans le produit final, aussi appelé « l’effet cocktail ».

Pour l’EFSA, c’est ensuite aux Etats membres d’évaluer ou réévaluer la sécurité de la formulation complète des pesticides vendus sur leur territoire. Et c’est là que le bât blesse.

En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne vérifie pas les effets à long terme de toxicité ou cancérogénicité des produits commercialisés et assure seulement une analyse de toxicité aiguë.

Pourtant, le problème n’est pas nouveau. En 2017, déjà, des scientifiques anglais et nord-américains avertissaient des dangers posés par le respect du « secret commercial » qui permettait aux fabricants de pesticides de ne pas révéler au public l’exact composé de leurs ingrédients.

« En interne, les industriels ont l’obligation de déclarer à l’Anses la composition intégrale des produits. Pour des scientifiques externes comme nous, il a été difficile d’accéder à ces dossiers qui sont soumis au secret industriel. Nos résultats révèlent que la façon dont l’Anses et l’Etat étudient la composition des produits est problématique. Pour certaines substances que nous avons décelées, leur présence même infime est déjà illégale. Des résidus extrêmement toxiques se retrouvent dans notre eau et notre alimentation, alors qu’elles ne sont pas déclarées sur les étiquettes. C’est une atteinte grave à la santé publique. » dénonce le professeur de biologie moléculaire Gilles-Éric Séralini lors de la conférence de presse

En conséquence, la double-évaluation de ces produits pratiquée par l’EFSA et l’ANSES n’est pas conforme à l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) du 1er octobre 2019 qui stipule que l’ensemble des principes actifs d’un produit doivent être déclarés et analysés tant pour leur effet isolé que pour leurs effets mélangés entre eux.

Un collectif citoyen et politique en quête de vérité

Si l’action en justice des organisations repose pour l’instant sur une seule étude scientifique, le Pr Gilles-Éric Séralini est loin d’être inconnu des grands groupes phytosanitaires. En septembre 2012, son étude toxicologique lance un tollé médiatique sur la dangerosité du Roundup. Les rats exposés au tristement célèbre herbicide ayant développé des tumeurs cancérigènes.

Le Pr Gilles-Éric Séralini a alors été l’objet d’une campagne de diffamation massive de la part des grands groupes industriels, et de nombreux médias. Entre 2011 et 2017, la justice a donné sept fois raison au Pr Gilles-Éric Séralini lorsqu’il a intenté sept procès en justice pour dénoncer la diffamation dont il a été victime.

En 2017, Monsanto (qui appartient maintenant à Bayer) a été forcée de rendre publics des milliers de documents confidentiels à cause des procès intentés par des utilisateurs de Roundup atteints de maladies graves. Gilles-Eric Seralini y est cité 55.952 fois. Ces « Monsanto Papers » ont permis d’établir les pratiques frauduleuses de la firme, que les jurés ont condamné pour malveillance.

« Il y a beaucoup de compromissions lorsque l’on autorise à mettre sur le marché des produits qu’on n’a pas eu le temps d’analyser. Une agence sérieuse qui se dit scientifique comme l’EFSA prétend l’être, devrait répondre aux contre-analyses comme la nôtre, ce qui n’est pas le cas. Ce silence illustre bien sa compromission scientifique. » explique le professeur de biologie moléculaire Gilles-Éric Séralini lors de la conférence de presse

Pour le député France Insoumise de la Gironde Loïc Prud’homme, ce sont les mensonges dont il a été témoin dans le cadre de ses fonctions politiques qui l’a poussé à rejoindre cette mobilisation pour faire pression sur la EFSA.

« La promesse de sortie du glyphosate est emblématique. La bataille a duré jusqu’au milieu de la nuit. Cette promesse présidentielle était avant tout une opération de communication. La promesse a rapidement été enterrée et son renoncement a été acté pour des arguments fallacieux de droit européen. Je pense que les organismes d’évaluation sont plutôt des organismes d’enregistrement car on ne peut pas faire son travail quand on se base seulement sur les données fournies par les évalués eux-mêmes. Encore plus inquiétant, l’ANSES dément avoir connaissance de certains co-formulants, comme m’a répondu sans rougir M. Lasfargues, directeur scientifique de l’ANSES, lors de son audition à l’Assemblée Nationale en 2019 par rapport à ma question sur la présence d’arsenic dans le Round-up. » explique-t-il

Hasard du calendrier, l’action du collectif correspond à la sortie d’un documentaire Arte « La Fabrique de l’ignorance » qui décrypte comment certains industriels ont instrumentalisé la science à des fins mensongères en finançant abondamment, entre autres, des études scientifiques concurrentes à celles qui les épinglent. Ces pratiques malhonnêtes ont semé un doute qui alimente encore aujourd’hui les controverses et égare les opinions publiques.

Epandage de pesticides sur des vignes en Ardèche. – Crédit : luigifab

Le collectif citoyen et politique réuni sous la campagne « Secrets Toxiques » est donc en quête de vérité, et invoque le principe de précaution, tel qu’il a été imposé par l’article premier du règlement de la CJUE du 1er octobre 2019 « afin d’éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine et animale ou à l’environnement. »

« Nous convoquons le principe de précaution à la lumière des connaissances que nous possédons, surtout quand on a déjà des alternatives crédibles et efficaces avec l’agroécologie qui permettent d’affirmer qu’une agriculture responsable doit et peut s’affranchir de toutes formes de pesticides. Il faut que ce soit acquis par les agences sanitaires et c’est l’objet de notre démarche ce matin. » explique l’agriculteur Benoît Biteau

Les paysans et les pratiques agricoles biologiques sont d’ailleurs elles aussi régulièrement la cible de campagnes de désinformation, menées par certains industriels ou syndicats agricoles.

« La FNSEA veut nous discréditer en disant qu’on utilise du cuivre. Mais si on est en bio, c’est bien qu’on a conscience de la toxicité des produits et que notre démarche consiste à minimiser toutes les doses, quel que soit le produit utilisé. Personnellement, cela fait trois ans que je n’ai pas mis de cuivre sur les plantations car on utilise d’autres méthodes comme l’ortie et la consoude. J’affirme que je suis aujourd’hui hors-la-loi en utilisant une macération huileuse d’ail pour protéger mes plantations des champignons. » explique le paysan Philippe Piard 

L’EFSA a désormais deux mois pour répondre aux accusations du collectif et se mettre en conformité avec l’arrêt de la CJUE. Passé ce délai, le collectif envisage une mise en demeure, une saisine de la Cour européenne ou une saisine du Parlement.

Crédit photo couv : Jacopo Landi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Plus d’infos :

La pétition de la campagne Secrets Toxiques

Liste des signataires de la lettre à l’EFSA du 25 Février 2021

Au décompte final, nous avons la signature de 119 élu-e-s, dont :

– 63 députés européens

– 29 députés français

– 27 sénateurs

Députés européens à l’initiative :

Éric ANDRIEU (FR – S&D)

Benoit BITEAU (FR – Verts/ALE)

Manuel BOMPARD (FR – GUE/NGL)

Claude GRUFFAT (FR – Verts/ALE)

Michèle RIVASI (FR – Verts/ALE)

Et les députés européens :

François ALFONSI (FR -Verts/ALE)

Marie ARENA (BE -S&D)

Manon AUBRY (FR – GUE/NGL)

Malin BJORK (SE – GUE/NGL)

Pascal CANFIN (FR – RENEW)

Damien CARÊME (FR -Verts/ALE)

Leila CHAIBI (FR – GUE/NGL)

Tudor CIUHODARU (RO – S&D)

David CORMAND (FR – Verts/ALE)

Clare DALY (IR – GUE/NGL)

Rosa D’AMATO (IT -Verts/ALE)

Gwendoline DEBOS-CORFIELD (FR – Verts/ALE)

Karima DELLI (FR – Verts/ALE)

Özlem DEMIREL (DE -GUE/NGL)

Anna DEPARNAY-GRUNENBERG (DE – Verts/ALE)

Pascal DURAND (FR -RENEW)

Eleonora EVI (IT -Verts/ALE)

Joao FERREIRA (PT – GUE/NGL)

Luke Ming FLANAGAN (IR – GUE/NGL)

Sven GIEGOLD (DE -Verts/ALE)

Raphaël GLUCKSMAN (FR – S&D)

Francisco GUERREIRO (PT -Verts/ALE)

Sylvie GUILLAUME (FR – S&D)

Jose GUSMAO (PT – GUE/NGL)

Martin HÄUSLING (DE -Verts/ALE)

Laurie Debove

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