« Ouvrages d’art singuliers qui font rentrer la nature dans la ville, les canaux sont aujourd’hui un lieu de rendez-vous très prisé […] La diversité des paysages et des atmosphères le long des canaux en fait un élément touristique majeur pour l’est parisien et francilien, que la Ville de Paris s’efforce de faire mieux connaître… »
Un appel d’offre
C’est ainsi que la Ville de Paris lance, en mars 2017, un appel à projets pour ses 12 emplacements déjà occupés sur le canal de l’Ourcq, offrant à des acteurs privés la possibilité de s’installer dans une concession de 10 ans, à l’endroit même où sont amarrées des péniches à portée culturelle.
Ces dernières se diront rassurées par les canaux de Paris, de par leur anciennété et la nature de leur activité qui correspondent aux attentes de la mairie. L’administration souhaite « porter une activité qui soit respectueuse de l’environnement urbain immédiat et qui puisse s’intégrer aux dynamiques locales » ou « une activité respectueuse de l’environnement et de l’écosystème local » et encore « une activité respectueuse du cadre de vie local et qui soit ouverte sur le quartier ».
Soulignant à plusieurs reprises l’importance de la localité et du rôle que joueront les futures péniches, c’est sans crainte que celles-ci recandidatent : elles ont contribué à la transformation du quartier, le rendant plus agréable – par la création de liens sociaux indispensables entre les habitants – dans un arrondissement qui est l’un des plus pauvres de la capitale.
Par simple lettre, trois péniches – les péniches Anako, Demoiselle et cinéma, résidentes depuis de nombreuses années – reçoivent l’ordre de lever l’ancre dès le mois de décembre prochain, sans possibilité de recours.

Parmis elles, toutes sont considérées comme des institutions, comme la péniche cinéma qui permet la projection de 350 courts métrages par an, accueille des festivals, des associations, des ateliers de création pour grands et petits… La péniche d’Anako, qui organise des concerts autour de diverses cultures, invitant des musiciens originaires du Kurdistan ou de Turquie pour ne citer qu’eux. Et enfin la péniche Demoiselle qui organise jams et bals tout au long de l’année. La fin d’un idéal les mène dans un combat envers et contre une décison sans concertation préalable.
Lorsque l’on interroge Franck Durieu, gérant de la péniche cinéma, l’on partage avec lui l’amertume après 10 d’exploitation sous contraintes. Il nous apprend que, jusqu’à présent, il fallait se montrer conciliant avec les exigences municipales, et prouver que l’on ne s’installe pas sur les canaux dans le but de faire de grand bénéfices.
« Chaque année nous étions contrôlés et devions fournir un bilan associatif […] nous avons dû batailler pour obtenir le droit de servir quelques verres en se justifiant de ne pas dégager de marges, le tout sans subventions ».
Lorsqu’il apprend que son projet n’est pas retenu et qu’il sera remplacé par une peniche appartenant au groupe de la Bellevilloise, Franck Durieu fulmine et décide de lancer la bataille; ce capitaine se dit prêt à couler avec le navire. « C’est un monopole, une conquête de Paris par la Bellevilloise », en effet, le groupe possède l’appétit d’un géant et acquiert progressivement un nombre conséquent d’établissements, dont la rotonde et, plus récemment, la miroiterie, un lieu de concert lui aussi emblématique.

La péniche cinéma s’associe donc avec celle d’Anako qui elle sera supplantée par une épicerie flottante du groupe Carrefour; un non-sens lorsque l’on dénombre six boutiques de ce groupe aux abords du canal. La necessité de voir débarquer une épicerie fine soulève quelques doutes, particulièrement à la lecture de l’appel à projets, dans lequel on peut découvrir que la mairie séléctionne sur le critère de « la recette à attendre du projet » dont elle ponctionnera un certain pourcentage en plus de toucher les loyers habituels pour le droit de stationner, indiquant ainsi un virage pris dans sa politique donnée au quartier, se tournant vers des bénéfices après avoir interdit aux association d’en faire.
« On pense pouvoir les faire reculer »
Rapidement, les deux péniches évincées lancent une pétition qui récolte près de 5000 signatures. La mobilisation se met en marche et une action s’organise pour le 3 septembre à l’endroit où l’on saborde.
Sur place, plusieurs collectifs d’artistes, musiciens, chanteurs, se mobilisent pour soutenir le sauvetage. Le mot d’ordre : faire le plus de bruit. Les badauds approchent et découvrent les motivations de ce rassemblement et, dans une ambiance festive, s’y associent. On palpe une incompréhension générale; un bénévole de la péniche Anako nous confie qu’elle attend au moins une explication, une raison à ce départ forcé et rajoute :
« On compte également sur l’effet boule de neige, peut-être qu’en fin de compte, l’on pourra faire plier la municipalité ».
© armenews.com
Le 25 septembre dernier, malgré la longue bataille à coup de publications par le biais des réseaux sociaux entre la péniche cinéma et M.Dagnaud, maire du 19eme arrondissment, le conseil de Paris refuse de revenir sur l’appel d’offre faisant valoir que la loi impose une mise en concurrence et que 6 péniches sortantes ont été reconduites sur les 9 existantes. Toutefois, la mairie du 19ème arrondissement lancera un nouvel appel à projets ouvrant deux places supplémentaires sur le canal.
Extrait de la délibération :
« Sur proposition de l’exécutif en réponse au vœu déposé par le groupe communiste, le Conseil de Paris émet le vœu que :
– La concertation engagée avec les différentes parties concernées (porteurs de projet, mairie d’arrondissement, service des canaux) puisse se poursuivre et s’intensifier ;
– Qu’un nouvel appel à projet soit lancé en direction des porteurs de projets de péniches d’animation culturelle permettant d’attribuer deux nouveaux emplacements sur le bassin de la Villette et le canal de l’Ourcq d’ici au 1er janvier 2018 ;
– Que la recherche de nouveaux anneaux disponibles soit étendue, en lien avec les territoires concernées, sur le canal St Denis et le canal de l’Ourcq en Seine Saint Denis. «
Malgré ces deux nouveaux appels à projets, le combat est loin d’être gagné et il serait rapide d’annoncer une victoire puisque l’adminstration n’a pour l’instant produit qu’une déclaration d’intention. Cet évènement dépasse la simple question d’actualité locale, il s’agit d’un débat fondamental quant à la préservation de l’éducation populaire dans nos villes et à la prévalence du bien commun sur la marchandisation concurrentielle.
Avec l’ampleur de la pétition, ce combat cherche également à montrer qu’avec de la ténacité, une mobilisation citoyenne possède le pouvoir de faire bouger les lignes et de préserver ce bien commun qu’est un lieu culturel ouvert à tous et libre d’accès. C’est un exemple à mettre en avant, pour prendre conscience que l’action n’est pas toujours vaine et qu’il est possible de se faire entendre, du moins, localement.
Crédits photo couverture : péniche Anako

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