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Paul Watson et Lamya Essemlali : “Savoir que les baleines sont encore en vie parce que nous sommes intervenus est un sentiment unique”

"Je me suis demandé pourquoi ces baleiniers voulaient tuer les cachalots puisque leur chair est toxique. Il s’avère que c’est leur graisse qui les intéressait afin de faire de la nourriture industrielle, du lubrifiant et surtout des missiles intercontinentaux. J’ai réalisé que nous étions en train de massacrer ces magnifiques créatures sensibles pour faire des armes elles-mêmes destinées à tuer en masse des humains. Je me suis dit que le monde était devenu fou. A partir de ce moment-là, j’ai arrêté de me battre pour sauver les humains de leur propre destruction, mais pour sauver les baleines de notre folie."

Grâce à Sea Shepherd, la pêche aux baleines a cessé au Chili, au Pérou, en Espagne, en Afrique du Sud, au Portugal, en Australie, et en Russie. Frappés par une crise interne, le fondateur de Sea Shepherd Paul Watson et la directrice française Lamya Essemlali ont décidé d’unir leurs forces et repartent en mer pour sauver les cétacés. Alors que l’équilibre même de l’Océan est menacé par les activités humaines, ils en sont encore plus convaincus : “La réponse pour savoir pourquoi il faut protéger l’Océan est simple : c’est parce que nous sommes l'Océan”. Un double-entretien magistral à lire jusqu'au bout.

Sea Shepherd, « Une stratégie agressive non-violente »

LR&LP : Au commencement de Sea Shepherd, Paul Watson a voulu sauver les bébés phoques du commerce de fourrure. Des années plus tard, Lamya s’est rendue en Antarctique pour affronter les baleiniers japonais et a retrouvé ces mêmes phoques sur la banquise. Pouvez-vous nous raconter la genèse de Sea Shepherd et la façon dont l’ONG est devenue un mouvement international pour protéger les Océans ?

Paul Watson : J’étais le co-fondateur de Greenpeace et j’ai mené la campagne pour protéger les phoques de l’Est du Canada. En 1977, nous avons amené Brigitte Bardot sur la banquise pour alerter sur le sujet. Un marin était sur le point de tuer un phoque, j’ai donc attrapé son bras, saisi son arme et l’ai lancé au loin.

Greenpeace a pensé que c’était trop violent. Ils ont dit que j’avais volé et détruit le bien de quelqu’un. J’ai répondu que j’avais sauvé le bébé phoque et blessé personne. Ils ont rétorqué que je n’avais pas compris leur approche de rester témoins sans interférer. Et j’ai dit « hé bien, ce n’est pas mon approche ».

J’ai donc quitté Greenpeace pour fonder Sea Shepherd pour utiliser une stratégie que je considère agressive mais non-violente dont le but ultime est de protéger la vie. On ne blesse jamais personne, bien qu’on puisse parfois endommager des biens matériels.

Lamya Essemlali : J’ai rencontré Paul en Janvier 2005. Il donnait une conférence à Paris. Ce que j’ai beaucoup apprécié, ce que ce qu’il racontait n’était pas seulement à propos d’oiseaux et de philosophie écologique, mais surtout à propos d’action directe.

Et j’ai pensé « wow cet homme dit tout haut ce que je ressentais tout bas depuis si longtemps ». Et il le fait, il transforme les choses que je croyais impossibles en possibilités. C’était vraiment très inspirant. Je suis donc allé le voir pour savoir comment rejoindre son organisation.

Paul m’a alors demandé si j’étais prête à risquer ma vie pour sauver une baleine. Je n’avais jamais vu une baleine de mes yeux mais j’ai ressenti au plus profond de moi que c’était une évidence. 

Quelques mois plus tard, je me suis retrouvée sur un bateau en Antarctique à vraiment risquer ma vie pour sauver une baleine. L’année d’après, j’ai créé Sea Shepherd France parce qu’en Antarctique, j’ai réalisé qu’on n’avait pas assez d’argent pour payer l’essence et rester toute la saison des baleines. J’ai trouvé anormal que nous soyons les seuls à être présents dans ce sanctuaire international maritime, et il ne fallait pas que l’argent soit la raison qui nous empêche de sauver les cétacés.

Je croyais pourtant que Sea Shepherd France ne resterait qu’une petite antenne car je pensais que nos modes d’action étaient bien trop radicaux pour la mentalité française quand il s’agit de protéger la planète. Mais l’histoire m’a prouvé que j’avais tort, car les français.es ont toujours réservé un accueil triomphant à Paul et à nos missions.

Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, dédie sa vie à la protection des baleines

Le capitaine Paul Watson sur son bateau – Crédit : Neptune’s Pirates

LR&LP : Comment s’est passée cette première mission ensemble ?

P.W. : On s’est rendus là-bas car les baleiniers japonais chassaient les baleines en dépit des réglementations internationales. Il est illégal de tuer des baleines pour des buts commerciaux, et de tuer des baleines dans le sanctuaire baleinier de l’océan Austral.

Le comble, c’est qu’au lieu de punir les baleiniers, on s’en prenait à nous car on était considérés comme trop radicaux. Mais je m’étais assuré que Sea Shepherd n’enfreignait aucune loi afin que nous n’ayons pas à subir de poursuites judiciaires.

Le plus compliqué, c’est que nous étions une si jeune organisation et manquions cruellement de moyens pour trouver les baleiniers dans ces eaux internationales. On avait un hélicoptère qui nous aidait. Au bout de plusieurs semaines de quête, nous avons fini par les trouver le jour de Noel.

L.E. : On l’a vraiment perçu comme un cadeau de Noël car nos chances de trouver ce navire étaient très faibles. Il faisait très mauvais ce jour-là et le Nisshin Maru a décidé de foncer sur nous. Paul a dit : “on ne bouge pas, on maintient notre position”. Et j’ai sincèrement cru, sur le moment, que le navire japonais allait nous percuter et que nous allions couler, dans une eau aussi froide et avec cette tempête cela aurait signé notre fin.

C’était un moment de vérité pour moi car j’allais enfin prouver que j’étais prête à risquer ma vie pour une baleine.

Sur le coup, j’ai même pensé qu’il était beaucoup plus facile de signer une pétition (rires) mais même si j’ai cru mourir et que je ne pourrai plus jamais revoir ma famille, j’ai su que j’étais exactement là où j’étais censée être. A cet instant précis, en voyant le bateau foncer sur nous, je ne me voyais nulle part ailleurs.

Heureusement, si nous sommes encore ici pour raconter cette histoire, c’est parce que le baleinier a dévié de sa trajectoire au dernier moment. Imaginez notre soulagement. Avec 23 nationalités différentes à bord du vaisseau Sea Shepherd, le baleinier aurait provoqué un incident international majeur qui aurait mis le Japon en difficulté.

En tenant notre position malgré le danger, nous avons prouvé au monde entier que nous étions réellement prêts à risquer nos vies pour sauver les baleines.

LR&LP : Des années après, est-ce que le Japon a arrêté la chasse à la baleine ?

P.W. : La dernière fois que je suis allé là-bas en 2012 et 2013, les japonais ont chassé seulement 10% des baleines qu’ils auraient pu tuer. Depuis, ils n’y vont plus. En 2014, on les a amenés devant la Cour internationale qui leur a rappelé qu’il était illégal de chasser des baleines. Ils ont arrêté pendant 1 an puis ont recommencé. On a continué à les combattre jusqu’à ce qu’ils arrêtent totalement en 2018. Cette année-là a été un vrai tournant pour la protection des cétacés dans les eaux internationales !

La chasse à la baleine est maintenant confinée au Japon, à l’Islande, à la Norvège et au Danemark dans leurs propres eaux territoriales.

Depuis que j’ai commencé en 1974, on a fait cesser la chasse au Chili, au Pérou, en Espagne, en Afrique du Sud, au Portugal, en Australie, et en Russie.

Le bateau de Sea Shepherd Origins, piloté par Paul Watson, en mer

Le Neptune’s Pirates en mer – Crédit : Neptune’s Pirates

L’hécatombe de la pêche industrielle

LR&LP : Quelles sont les plus grandes menaces qui pèsent sur l’Océan de nos jours ? 

Paul Watson : Ma plus grande préoccupation, c’est l’Islande qui continue de tuer des rorquals communs alors qu’ils sont protégés (la chasse a repris en septembre 2023 après une pause de deux mois, ndlr). Le massacre des globicéphales dans les Îles Féroé est une autre de nos priorités, et nous avons aussi d’autres campagnes.

Lamya Essemlali : Aujourd’hui, la plus grande menace qui pèse sur l’océan est la surpêche. Elle tue des milliards de poissons mais aussi des centaines de milliers de mammifères et d’oiseaux.

Par exemple, il y a en moyenne 1000 globicéphales tués dans les Îles Féroé chaque année. Elles pourraient facilement être épargnées s’ils arrêtaient tout simplement de les pêcher. La surpêche et le changement climatique sont des défis gigantesques. Comment pouvons-nous envisager d’arriver à y faire face si nous ne savons pas laisser les harpons au passé ? Tout est interconnecté et nous ne devrions pas faire une hiérarchie des différents enjeux.

C’est pourquoi nous devons continuer à lutter contre la chasse à la baleine, car c’est extrêmement symbolique de ce que nous sommes prêts à faire pour protéger l’océan. Et nous devons en finir avec la surpêche et réaliser une fois pour toutes que les poissons ont bien plus de valeur dans l’océan que dans nos assiettes.

Et attention, les gens qui dépendent réellement des poissons pour survivre doivent évidemment continuer d’en manger mais ils sont une minorité et souffrent eux aussi des ravages de la surpêche avec la raréfaction de leurs ressources. En réalité, il y a une immense majorité de gens qui mangent du poisson qui pourraient s’en passer et n’en ont même pas conscience.

Le Grindagrapr aux Iles Feroé

Le Grindagrapr aux Iles Feroé, une tradition sanglante

P.W. : En fait, la première menace qui pèse sur les océans est la disparition du phytoplancton, cette plante aquatique microscopique. Depuis 1950, sa population a diminué de 40% alors que le phytoplancton fournit 70% de l’oxygène que l’on respire.

Et la disparition du phytoplancton est directement causée par celle des oiseaux marins et des baleines qui fournissent les nutriments dont le phytoplancton a besoin, grâce à leurs excréments. Une baleine bleue émet 3 tonnes de fumier chaque jour.

Et si le phytoplancton disparaissait totalement de l’océan, nous mourrions tous. Le phytoplancton est le fondement même de la Vie sur Terre, c’est dur de le faire comprendre aux gens car il s’agit de plantes aquatiques microscopiques…

L.E. : C’est aussi difficile pour les gens d’établir les connexions entre chaque chose, et la façon dont le poisson dans notre assiette impacte en fait le phytoplancton et l’oxygène que nous respirons.

P.W : Nous perdons espèce après espèce, et le danger c’est que nous les oublions à cause de ce que j’appelle une “adaptation à la disparition de ces espèces”. 

Dans les années 1990, un poisson nommé hoplostèthe orange était partout sur les étals du monde entier, pêché en Nouvelle-Zélande, et maintenant il est impossible à trouver. Pourquoi ? Alors que le saumon met 4 ans à devenir sexuellement mature puis mourir, l’hoplostèthe orange met 45 ans ! Il ne pouvait donc pas rivaliser avec les pêcheries pour maintenir l’espèce en vie.

Plus un poisson a un long cycle de reproduction, moins il a de chances de survivre aux pêcheries. C’est pour cela que les populations de thon du Nord se sont totalement effondrées en 1992 et ne s’en remettront jamais.

Et plutôt que d’être inquiets par ces disparitions successives, la seule question que nous nous posons c’est de savoir quoi d’autre pêcher !

J’ai été élevé dans un village de pêcheurs dans l’Est du Canada, et il y avait quelques poissons qu’il était hors de question de manger comme les moules. Pour nous, c’était sale, et maintenant tout le monde en mange comme de nombreux fruits de mer tels que les huîtres ou les palourdes.

L’autre poisson, c’est le turbot qui était considéré comme un déchet dans les années 50 et 60. Ce n’était pas très bon, personne ne l’aimait et personne n’en voulait. De nos jours, si vous allez dans un restaurant gastronomique à New-york ou Paris, ils vous servent du turbot ! C’était impensable il y a seulement 30 ans !

C’est pour cela que je parle d’une adaptation à la diminution des poissons. Pareil pour la légine australe qu’on pêche en Patagonie, mettons dans des sacs plastiques estampillés Chili pour les envoyer au bout du monde.

La réalité, c’est qu’il n’y a aucune pêche industrielle durable dans aucune partie du monde. 

L’argument de l’industrie de la pêche est de dire que certaines populations dépendent du poisson pour vivre, mais personne ne les accuse eux ! Le problème n’est pas le pécheur à la ligne qui a besoin de poisson pour subsister, le problème sont les chalutiers géants et les filets de pêche qui font des kilomètres de long.

Ils dépensent 3 millions d’euros pour construire un seul bateau de pêche. Quand on fait ce genre d’investissement, on doit beaucoup d’argent aux banques. Et pour les rembourser, ils ont intérêt à pêcher énormément de poissons… C’est un cercle vicieux où plus de poissons fournissent plus de bateaux.

Et ces bateaux coûtent de plus en plus cher car les populations de poissons ont tellement diminué qu’il faut de plus en plus de technologie pour les attraper. C’est un cycle sans fin qui conduira seulement à l’extinction totale de toutes les espèces de poissons. J’appelle cela l’économie de l’extinction. 

Le pire, c’est que les poissons en voie d’extinction rapportent gros. Plus l’espèce se raréfie, plus elle devient chère. C’est fou de voir à quel point les prix ont augmenté et les gens restent prêts à payer !

Dans mon village de pêcheurs, si tu payais plus de 25 cents pour un homard à l’époque tu ne l’achetais pas. Il y avait tellement d’homards que c’était considéré comme le plat du pauvre. Ils l’utilisaient même comme fertilisant pour les champs de patate et refusaient de le servir aux prisonniers car c’était du manque de respect pour eux.

Depuis qu’il y a moins de homards, c’est devenu un produit de luxe. Les homards peuvent vivre jusqu’à 200 ans, mais ils sont chanceux s’ils dépassent l’âge de 13 ans aujourd’hui ! A l’époque des homards de la taille d’une table était monnaie courante, et maintenant c’est quelque chose qu’on peut voir seulement dans des images d’archives…

Dauphin dans le filet du Fruit de la passion lors d'une patrouille en mer dans le Golfe de Gascogne

Dauphin dans le filet du Fruit de la passion lors d’une patrouille en mer dans le Golfe de Gascogne

LR&LP : Le plus triste, c’est que les gens oublient toutes ces réalités pas si lointaines. Lamya vous aviez déjà écrit à propos de l’amnésie environnementale que nous vivons dans notre précédent livre-journal Vivant. Un passage particulièrement frappant pour nos lecteurs.

L.E. : Il y avait tellement de baleines aux XVII siècle que les bateaux devaient parfois s’arrêter pendant des jours pour laisser passer les baleines. C’est fou quand on y pense aujourd’hui !

P.W. : il y avait des morses sur les côtes du Maine, il y avait aussi la baleine grise atlantique, le canard du Labrador, le grand pingouin de l’Atlantique Nord, les conures de Caroline, le dauphin de Chine, la tortue géante de La Réunion, toutes disparues dans les dernières 400 années et nous les oublions à jamais.

L.E. : C’est crucial. On parle de l’importance du devoir de mémoire en Histoire pour ne pas répéter les mêmes erreurs notamment sur la guerre, mais il en va de même pour la biodiversité. 

Nous n’avons aucun travail de mémoire ou hommage pour les espèces que nous avons anéanties. Et comme nous n’avons aucun souvenir de ce qu’était l’Océan avant que nous commencions à le détruire, nous ne nous rendons pas compte combien nous sommes allés loin, et comment nous sommes actuellement en train de nous battre pour préserver le peu qu’il nous reste. L’Océan n’est déjà plus que l’ombre de lui-même et il nous reste si peu de temps…

LR&LP : Mais il existe aussi des victoires et vous en avez obtenu une énorme cette année : la fermeture spatio-temporelle de la pêche cet hiver pour protéger les dauphins du Golfe de Gascogne.

Lamya Essemlali : C’est une décision du Conseil d’État qui nous a enfin soutenu après des années d’essai. Malheureusement, au lieu de fermer réellement la pêche, le gouvernement français a décidé de permettre aux bateaux équipés de pingers, des répulsifs acoustiques nocifs pour les cétacés, de continuer à aller en mer. Et d’accorder d’autres types de dérogations.

Or ce n’est pas ce que le Conseil d’État a ordonné mais le gouvernement peut essayer de gagner du temps avec cette ruse. Pendant l’audition, la rapporteure publique a mis l’accent sur le fait que cette problématique était suivie de près par l’opinion publique, donc on voit que la pression populaire et les actions de sensibilisation marchent !

Après des années à avoir essuyé des refus car cela allait soi-disant coûter trop cher à l’industrie, la pression médiatique a été telle qu’ils n’ont plus pu ignorer le problème cette année. C’est une énorme victoire mais ce n’est pas encore terminé, nous attaquons ces dérogations en justice pour réellement fermer la pêche.

P.W. : Sea Shepherd a carrément mis les corps des dauphins morts en face de la Tour Eiffel et du Parlement Européen pour alerter le public sur ce qu’il se passe en mer.

LR&LP : En tant que journaliste spécialisée en écologie, j’ai commencé à écrire sur le sujet en 2018 et la problématique n’était pas très connue, même au sein du mouvement écolo. Des années plus tard, tout le monde est enfin informé. D’une façon plus globale, diriez-vous qu’il y a une évolution positive de la population face aux enjeux qui pèsent sur l’Océan ou s’agit-il plutôt d’un petit groupe de plus en plus radical qui arrive à se faire entendre ?

P.W. : Plus personne n’a vraiment le choix. Chacun peut observer la disparition des poissons autour de lui, les impacts du changement climatique qui s’accélèrent. Même si quelques personnes le nient toujours, notamment aux USA alors que des villes entières sont effacées de la carte sous le coup des catastrophes naturelles qui s’amplifient. On ne peut plus fermer les yeux.

Si on considère la planète Terre comme un vaisseau spatial, c’est à dire ce qu’elle est au fond, il y a un système de maintien de la vie dans l’habitacle qui est assuré par l’équipage d’ingénieurs que sont les insectes, le phytoplancton, les animaux, les végétaux etc. Nous les humains en sommes les passagers et profitons du voyage. Et pour en profiter nous massacrons et tuons l’équipage d’ingénieurs petit à petit. A tel point que le vaisseau spatial va bientôt être détruit.

Le problème, c’est que nous considérons notre environnement à travers le prisme de l’anthropocentrisme et croyons que nous sommes supérieurs aux autres espèces. Mais si nous les détruisons tout à fait, elles nous entraîneront dans leur chute.

L.E. : Il y a définitivement une plus grande prise de conscience des enjeux écologiques mais les conditions se dégradent tellement plus vite que ce que les scientifiques avaient prédit que nous sommes engagés dans une course contre la montre. On me demande souvent si je suis optimiste ou pessimiste sur le futur, mais je préfère me déconnecter de cette pensée parce que je ne veux pas me concentrer sur les résultats, qui sont impossibles à prévoir vu le désastre en cours, mais à la nécessité vitale d’agir.

Je sais que tout ce que nous faisons est nécessaire et je ne m’imagine pas faire autre chose. J’aime souvent dire la citation d’Alice Walker qui dit que « l’activisme est le loyer que je paie pour le privilège que j’ai d’habiter cette planète ».

Puis je sais que je peux parfois avoir du mal à être objective, car je suis entourée de gens qui sont plus conscients des enjeux que la moyenne. Ce qu’on peut lire dans les médias mainstream sur l’environnement, même s’il y a de plus en plus de choses à ce sujet, n’est toujours pas assez précis et pointu.

P.W. : Quand les médias en arrivent au point où ce qu’ils disent devient trop menaçant pour les institutions économiques en place, alors ils arrêtent d’en parler. On l’observe à travers les lois de plus en plus répressives qui sont mises en place pour nous empêcher de mener des actions et sensibiliser l’opinion.

Les actions que nous avons menées des années 70 aux années 90 ne sont plus réalisables aujourd’hui. Certains militants sont même mis en garde-à-vue avant de pouvoir participer à des actions ou des manifestations !

L.E.  : On se croirait dans “Minority Report”, ils nous arrêtent avant même qu’on fasse quoi que ce soit.

P.W. : Certains éditorialistes reprochent aux militants écolos d’être trop négatifs en disant qu’il faut donner de l’ « espoir » aux gens. Mais il n’y a pas d’espoir à donner si on fonce droit dans le mur !

Face à un problème impossible il faut une réponse impossible, et cela s’obtient grâce à l’imagination, au courage et à la passion. Et cela ne viendra pas des gouvernements mais des individus. 

En 1972, personne ne croyait possible que Nelson Mandela puisse un jour devenir Président et pourtant c’est devenu possible ! C’est ce que nous devons viser pour que l’impossible devienne possible.

J’étais un médic’ pendant le South Dakota Indian Movement en 1973. Nous étions encerclés et on se faisait hurler dessus. Il y a eu quelques blessés. Je suis allé voir le chef leader autochtone du mouvement pour lui dire que cela ne servait à rien car nous étions en infériorité numérique et que nous ne pourrions jamais gagner.

Il m’a répondu quelque chose qui résonne en moi encore aujourd’hui : “peu importe que nous perdions ou que la situation semble désespérée, nous sommes ici aujourd’hui car c’est la chose juste à faire, au bon moment et au bon endroit.” 

Cela ne sert à rien de s’inquiéter pour le futur car nous n’avons aucun pouvoir sur ce qu’il va advenir, le seul pouvoir que nous ayons est sur ce que nous faisons ici et maintenant. Ce que nous faisons au présent définit ce que sera le futur donc mets toute ton énergie à l’activisme au présent et laisse le futur se dérouler en fonction de ce que chacun aura fait au présent.

Cela ne sert à rien d’être optimiste ou pessimiste, il faut juste être réaliste.

L'équipage de Sea Shepherd Origins en mer

Le Neptune’s Pirates en action – Crédit : Neptune’s Pirates

LR&LP : Récemment, Sea Shepherd a fait l’objet d’une grave crise en interne. Les 4 directeurs de Sea Shepherd Global (Alex Cornelissen, Peter Hammarstedt, Jeff Hansen et Geert Vons) ont évincé Paul Watson et Lamya Essemlali du board de Global. Pourquoi attaquent-ils Sea Shepherd France en Justice et considèrent-ils Sea Shepherd Origins comme un ennemi à abattre ?

P.W. : Ils ne se sont pas débarrassés de nous mais de notre objectif initial et de la façon dont nous menons nos actions : “stratégie directe agressive mais non violente”. Ils ont commencé à me percevoir comme un problème en 2019 car ils voulaient changer d’approche pour faire des compromis avec les gouvernements et l’industrie.

Avec le succès du show télévisé et du merchandising, ils ont eu des métiers confortables et bien payés et ils veulent maintenir cette position. Ce sont donc devenus des bureaucrates qui m’ont proposé beaucoup d’argent (300 000 dollars chaque année) pour que j’arrête de m’exprimer et j’ai refusé.

Le directeur s’est alors énervé et m’a dit que je n’étais qu’un « putain d’employé » et que j’allais faire ce qu’on me disait de faire, je suis donc parti. Il m’a alors menacé de détruire mon nom et ruiner ma vie grâce à une armada d’avocats et que chaque personne allait oublier que j’avais même existé un jour. Il a volé le nom et le logo de l’ONG que j’ai créé grâce aux droits des marques qu’il a achetés puis ils m’ont viré du bureau par e-mail et ne m’ont plus jamais parlé à ce jour.

L.E. : J’ai reçu un appel d’Alexander qui prévoyait de virer Paul et il m’a annoncé que même si j’étais contre son éviction ils étaient 4 à vouloir le faire partir, avec donc la majorité. Quelques jours après, ils ont envoyé cet e-mail à Paul pour le renvoyer.

Ce qui m’a perturbée, c’est qu’ils ont déployé des tonnes d’arguments pour me convaincre et obtenir un vote unanime car cela aurait rendu les choses bien plus faciles pour eux mais rien n’était crédible et ils n’apportaient aucune preuve de ce qu’ils avançaient.

P.W. : Mais le plus choquant c’est que Sea Shepherd Australie a noué un partenariat avec une énorme entreprise de pêche australienne nommée « Austral Fisheries » qui est elle même détenue à 50% par la plus grande entreprise de pêche japonaise, Maruha Nichiro, celle-là même contre laquelle nous nous battions ! C’est une vraie provocation ! 

Le gouvernement australien voulait agrandir une aire marine protégée autour de McQuairy Island dans le Sud de l’Australie et la seule opposition qu’il y avait provenait des entreprises de pêche car c’est là qu’elles pêchent. Toutes les ONGs ont dit qu’il fallait quand même l’agrandir, toutes sauf … Sea Shepherd Australia.

L’une des raisons pour laquelle ils ont noué ce partenariat contre-nature c’est qu’ils ont essayé durant des années d’obtenir un statut de taxes du gouvernement australien sans succès. Ils l’ont finalement eu car le PDG d’Austral Fisheries est intervenu en leur faveur. Et maintenant ils leur sont redevables, c’est de la corruption pure et simple.

L.E. : Le directeur de Sea Shepherd Australia a aussi prétendu devant des centaines de salariés que les campagnes menées par Peter en Afrique de l’Ouest avaient bien plus d’impact en seulement 5 ans que tout ce que Sea Shepherd avait fait depuis le début de sa création. Quand je leur ai demandé sur quelles données et quels chiffres ils s’appuyaient, et combien de bateaux de pêche avaient effectivement fermé grâce à eux, ils n’ont rien répondu. Et quand j’ai dit que Sea Shepherd France arrêterait de financer Sea Shepherd Global tant que je n’obtiendrai pas ces réponses, ils m’ont moi aussi renvoyée.

Le Neptune's Pirates en mer

Le Neptune’s Pirates en mer – Crédit : Neptune’s Pirates

LR&LP : Plutôt que de vous laisser abattre par ces trahisons, vous avez décidé de continuer votre combat. Quels sont vos projets ?

P.W. : Nous avons acheté de nouveaux bateaux et allons nous assurer que l’Islande ne reprenne pas la chasse à la baleine après l’avoir fermée cet été.

C’est un combat éminemment politique car les alliances qui sont faites là-bas par les partis ont pour objectif de prendre le pouvoir quitte à ce que le Green Party d’Islande s’allie avec les chasseurs de baleines ! Nous sommes donc très attentifs.

Nous retournerons donc dans les eaux islandaises dès l’été prochain pour empêcher leur chasse. Tant pis si nous sommes arrêtés ou que nous perdons un bateau dans la lutte. Il nous faudra maintenir une ligne claire pour empêcher leur massacre tout en veillant évidemment à ne blesser aucun pêcheur islandais.

Nous l’avons arrêté en 2017 et en 2018, et sommes prêts à recommencer. Nous souhaitons aussi en finir avec le Grindagrapr dans les Îles Féroé.

Aujourd’hui, j’ai toujours une Red Notice d’Interpol sur la tête à cause du Japon. En 50 ans, j’ai été arrêté et poursuivi en justice de nombreuses fois, mais je n’aurai jamais cru être poursuivi un jour en justice par ma propre organisation.

L.E. : On est sur le cas classique d’une procédure-bâillon qui vise à épuiser Paul et le ruiner financièrement ainsi que Sea Shepherd France pour qu’on abandonne. Mais nous ne lâcherons rien pour faire éclater la vérité.

LR&LP : Durant ces décennies de combat pour protéger l’Océan, quel est l’un de vos souvenirs les plus marquants ? 

P.W. : C’est celui qui m’a donné l’envie viscérale de tout faire pour protéger l’Océan, et qui n’accepte aucun compromis. C’était durant la toute première campagne de Greenpeace en juin 1975 pour les baleines à 96,5 km des côtes de la Californie dans l’Océan Pacifique Nord. La première chose qu’on a faite était de tenter d’interférer pour empêcher la flotte soviétique et le navire-usine Dalni Vostok de faire leur œuvre macabre.

On était sur un petit zodiac entre les harpons et les cachalots. On se mettait délibérément devant les harpons pour les empêcher de tirer sur les cétacés. Cela a fonctionné pendant une vingtaine de minutes jusqu’à ce qu’ils décident de tirer quand même et qu’un des harpons fuse au-dessus de nos têtes pour aller frapper un cachalot femelle qui a roulé sur le côté, du sang s’écoulant d’elle, elle criant de douleur… je ne savais même pas qu’une baleine pouvait crier de douleur.

Six des cachalots ont fui mais le plus gros mâle s’est dressé, a frappé la surface avec un bruit de tonnerre, et a foncé pour défier le monstre en métal qui les attaquait. Il a alors sondé sous notre zodiac et s’est fait lui aussi tirer dessus dans la tête ce qui l’a arrêté dans un hurlement de douleur.

Le cachalot a alors sorti la tête de l’eau et c’est là où j’ai croisé son regard. Il a plongé à nouveau et j’ai cru qu’il allait ressurgir fou de douleur et nous faire chavirer. A la place, il a rejailli à la surface de l’eau et au lieu de s’écraser sur nous comme je le craignais, son œil immense m’a fixé intensément, il était si prêt que je pouvais me voir dans son iris … et c’est là où il a glissé en arrière sans nous faire de mal.

J’ai pensé que ce cachalot aurait pu nous tuer en un rien de temps s’il l’avait voulu mais il ne l’a pas fait. Il a glissé en arrière pour mourir dans les flots…

Je me suis alors demandé pourquoi ces baleiniers voulaient tuer les cachalots puisque leur chair est trop toxique pour être mangée. Il s’avère que c’est leur graisse qui les intéressait afin de faire de la nourriture industrielle, du lubrifiant et surtout des missiles intercontinentaux.

J’ai réalisé que nous étions en train de massacrer ces créatures magnifiques et sensibles pour faire des armes elles-mêmes destinées à tuer en masse des humains. Je me suis dit que le monde était devenu fou. Et c’est à partir de ce moment-là que j’ai arrêté de me battre pour sauver les humains de leur propre destruction, mais pour sauver les baleines de notre folie.

Un bateau de Sea Shepherd France éloigne les globicéphales des baleiniers

Un bateau de Sea Shepherd France éloigne les globicéphales des baleiniers

L.E. : Pour moi, c’était sans doute en 2014 quand Sea Shepherd France a emmené 5 petits bateaux dans les Îles Féroé pour s’opposer au Grindagrapr. Notre stratégie était d’empêcher les dauphins d’entrer dans les fjords où les Féroé les attendaient, et surtout avant qu’ils ne les repèrent et se lancent à leur poursuite car ils auraient été très difficiles à arrêter.

Le pire scénario possible était que les dauphins surgissent dans un fjord, ils auraient été trop facilement exposés. Au début de la campagne, il y a eu une tempête et le pire scénario est arrivé.

Un groupe de 80 globicéphales avec de nombreux jeunes et bébés sont allés chercher refuge dans le fjord et sont apparus en plein milieu. Les Féroé les ont repéré instantanément mais là où les cétacés ont eu beaucoup de chance c’est qu’ils ont choisi un fjord où il n’y avait pas de « killing Beach ».

Devant la violence de la tempête, les Féroé n’ont donc pas voulu prendre le risque d’aller les déloger de ce fjord pour les mener à un fjord plus pratique pour les tuer et ont décidé de le planifier pour le lendemain. On a profité de ce délai et sauté dans nos bateaux pour rejoindre les globicéphales en pleine tempête afin de les conduire hors du fjord pour les ramener à l’Océan et les sauver.

C’était une journée intense avec énormément de stress et de tension, les Féroé essayaient de nous stopper, les médias étaient là, et les dauphins étaient complètement inconscients de l’attention qu’ils recevaient et du sort horrible qui les attendait. Et on a réussi ! Les 80 globicéphales ont pu s’échapper. 

Les Féroé nous en voulaient énormément car ils sont très fiers. Lors d’une interview radio le lendemain, j’ai expliqué que nous n’avions pas fait ça contre eux mais tout simplement pour sauver les dauphins. Et on a pris ce risque en pleine tempête car nous étions bien plus déterminés à les sauver qu’ils n’étaient à les tuer.

Mais je ne cherche jamais à les humilier et sur place j’essaie tout le temps de dialoguer avec eux pour leur faire comprendre pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Et je ne pourrai pas avoir ce dialogue avec eux si je n’étais pas aussi en mer pour sauver les cétacés.

Sauver ces 80 globicéphales m’a donné un sentiment d’empouvoirement. Savoir qu’ils sont encore envie parce que nous avons décidé d’intervenir est un sentiment indescriptible et unique. 

Je me sens très endettée envers notre planète et ce que l’espèce humaine lui fait subir. Ce genre d’actions me donne le sentiment que je répare un peu nos torts et que je rends un peu de ce que cette planète nous donne si généreusement.

LR&LP : Dernière question, pourquoi est-il crucial de se battre pour protéger l’Océan ?

P.W. : La plupart des gens pensent que l’océan est une mer. Mais l’océan est un organisme, c’est de l’eau en circulation continue qu’elle soit dans la mer, dans les nuages, dans la glace ou sous terre. Et même parfois dans l’eau contenue dans chaque animal ou végétal de cette planète.

L’eau qu’il y a dans votre corps en ce moment a été à un moment donné dans la mer, les nuages, la glace, etc. La réponse pour savoir pourquoi il faut protéger l’océan est simple : c’est parce que nous sommes l’Océan. Tout est relié et interconnecté. 

L.E. : Pour moi, nous sommes aujourd’hui dans un système tellement verrouillé que nous ne changerons rien sans nous battre. Et s’il y a bien une chose pour laquelle il vaut la peine de se battre, c’est la Vie.

La culpabilité que nous portons tous un peu en nous entraîne une perte de sens monstrueuse et met de nombreuses personnes sous antidépresseurs parce que nous nous sentons tous un peu perdus d’une certaine façon.

J’ai l’impression que l’un des remèdes à cette perte de sens fondamentale, c’est de découvrir que notre vie peut avoir un sens, de faire quelque chose qui fait une différence pour le bien de tou.te.s. Mettre fin à la guerre que nous menons à cette planète est je trouve la cause principale pour laquelle nous devrions tous nous battre.

Si nous traitons enfin la Vie avec respect, nous pourrons enfin nous traiter les uns et les autres avec respect. La question n’est donc pas « pourquoi il faut se battre pour l’Océan » mais plutôt « comment pouvez-vous rester passifs ? »

Laurie Debove

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