C’était il y a deux mois jour pour jour. Le 30 janvier, plusieurs dizaines d’exilés accompagnés de militants et d’étudiants de l’université Paris VIII prenaient place au troisième étage du bâtiment A de cette même université pour loger au chaud et sous un toit des réfugiés éthiopiens, somaliens, guinéens, érythréens et soudanais qui ont tous fui la guerre et la misère dans leur pays. Aujourd’hui, l’occupation est bien huilée et permet à quelques exilés d’échapper aux inhumaines politiques migratoires d’Emmanuel Macron. Une vraie perspective réjouissante pour tous ceux qui croient encore aux actions collectives et à la vie en communauté.
En sortant du métro Saint-Denis Université, une grande banderole est affichée sur la façade de l’université : « Jeudi 29/03, rassemblement à 12H puis AG ». Venu apporter des vivres, médicaments et divers objets de la vie quotidienne pour l’occupation, on s’arrête curieux. Le rassemblement est assez important, plus d’une centaine de personnes est amassée pour préparer la suite de la mobilisation étudiante.
Dans cette perspective, une assemblée générale est organisée au premier étage du bâtiment A, le même où sont logés les réfugiés. Ainsi si on parle essentiellement des mobilisations à venir (en particulier celle du mardi 3 avril), l’occupation est dans toutes les bouches. Bloquer la fac ne la mettrait-t-elle pas en danger en l’exposant à une évacuation ? Un appel au rassemblement contre une déportation de migrants à l’aéroport Charles de Gaulle est aussi lancé. Noémie (le prénom a été modifiée), une étudiante de Paris VIII ajoute :
« A présent, dans chaque mouvement social auquel Paris VIII prend part, la revendication pour les exilés est présente ».
Et pour cause, la reconversion du troisième étage du bâtiment A en centre d’hébergement de réfugiés fait maintenant partie intégrante de l’université. On y accède d’ailleurs sans aucun contrôle. Pour cela, il suffit de suivre les indications, graffées sur les murs par les occupants entre deux « Flics, Fachos, hors de nos facs » et quelques « ACAB ».
On monte des escaliers qui donnent sur une grande terrasse ensoleillée (la météo était plutôt clémente) et bien garnie. On y trouve entassé des cageots de choux de Bruxelles, de brocolis, de salades… La plupart proviennent des invendus du marché de Rungis, mais une partie de la nourriture est également fournie par de nombreuses collectes organisées un peu partout dans Paris, comme à la Fémis. Dans la très célèbre école de cinéma, une grande banderole « Soutien aux exilé.e.s » est placardée dans la cour d’entrée et un espace est dédié aux donations pour Paris VIII.

Sur cette même terrasse a été bricolée une petite table de ping-pong et on peut y apercevoir un ballon, accessoires de loisir qui apportent une atmosphère conviviale dans un lieu où la menace d’une évacuation reste persistante. Les revendications de l’occupation y sont également placardées : « Des papiers pour tout.e.s », « Des facs ouvertes à tout.e.s »… Deux exilés profitent du soleil. Ils nous demandent une cigarette, en français. Toutes les semaines, des cours de français sont organisés pour faciliter l’intégration des habitants du bâtiment A.
On entre. Les premières sensations sont multiples. Au niveau de la vue, un couloir coloré par des centaines de petits graffitis, en français comme en arabe, s’étend devant nous. Deux portes s’ouvrent à gauche comme à droite, un peu plus loin, une seconde porte part sur la droite, à gauche, un autre couloir semble commencer. Au fond une dernière porte est entre-ouverte et on aperçoit des matelas et des couvertures. Pour l’odorat, cette entrée est un délice. C’est l’heure du déjeuner et une délicieuse odeur d’oignons confits nous chatouille les narines. Du point de vue sonore, on sent que l’activité se situe à notre droite, car c’est là d’où émane des bruits de conversations et d’animations. C’est en effet la cuisine et l’on s’affaire à la préparation du déjeuner. Réfugiés, bénévoles, militants, chacun fait quelque chose dans une ambiance très chaleureuse.
On accueille avec plaisir les quelques vivres que nous apportons et on nous amène dans une autre pièce pour déposer les médicaments et produits hygiéniques. Une armoire particulièrement bien organisée fait office de boîte médicale. Chaque tiroir correspond à un type de besoins (un tiroir laxatif, un tiroir paracétamol…).

Dans cette pièce, une petite dizaine de matelas sont installés et quelques personnes sont en train de dormir. A gauche de l’entrée, en face de la cuisine s’étend une grande pièce où l’on joue aux cartes. Plusieurs matelas sont également installés. Au fond de la pièce, plusieurs chaises sont empilées. Elles nous rappellent que cette salle, avant d’être une pièce pour accueillir des réfugiés, était une salle de classe. C’est d’ailleurs ce qu’on regrette le plus dans l’université : « je trouve ça dommage que des étudiants doivent utiliser des salles de cours pour ça, même si le geste est beau et nécessaire. Ce serait mieux qu’on ne soit pas obligé de le faire » nous déclare Noémie. Car si l’occupation est une magnifique entreprise, elle ne fait que souligner l’incapacité gouvernementale à gérer humainement la crise migratoire.
Avant de partir, nous montons un porte-manteau sur pieds. Lorsqu’on pose la question « où voulez-vous qu’on le mette ? » on nous répond, en souriant: « comme vous voulez, faites-vous un kif ! ». On le pose alors dans l’entrée, choix logique au vue de la fonction de l’objet en question. En partant, le « faites-vous un kif ! » reste gravé dans nos esprits. Car on repart avec cette sensation que le vrai « kif » ce n’est pas de pouvoir installer un porte-manteau où l’on veut, mais c’est bien toutes ces personnes, exilés, bénévoles, étudiants et militants qui donnent du sens à la vie en communauté, aux actions collectives et à la lutte contre de profondes injustices.
Photos : Captures d’écran L’Obs

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