Une équipe de scientifiques a fait une découverte majeure. Sans plantes, ni photosynthèse, des nodules polymétalliques, sortes de galets, produisent de l’oxygène à plus de 4000m de profondeur, dans le noir. Alors que les fonds marins sont menacés par les industriels en recherche de minerais, cet oxygène noir pourrait peut-être les préserver.
L’oxygène noir, la vie sous-marine
Comme de nombreuses grandes découvertes scientifiques, celle-ci a commencé par une théorie fausse. Alors qu’une équipe de chercheurs tentait de mesurer la consommation d’oxygène du plancher océanique, c’est l’inverse qui s’est produit.
En 2013, ils ont étudié le fond de l’océan Pacifique dans la zone Clarion-Clipperton, une zone de forme elliptique située juste à l’est d’Hawaï. Et là, surprise, au lieu de constater que l’oxygène devenait moins abondant, ils ont découvert qu’il augmentait à mesure qu’ils s’approchaient du fond marin. Leur découverte était tellement incroyable qu’ils l’ont ignoré pendant de nombreuses années. Convaincus que leurs appareils de mesure étaient défectueux, ils les ont renvoyés plusieurs fois se faire « réparer » pour rien.
Près de dix ans plus tard, missionnés par l’industriel canadien « The Metals Company » pour étudier les fonds marins à de potentielles fins minières, l’équipe scientifique est revenue au même endroit. Là encore, avec des équipements et techniques d’analyse complètement différents, les chercheurs ont constaté les mêmes augmentations d’oxygène dissous dans les eaux les plus profondes de l’océan. Le doute n’était plus possible.
« Lorsque les deux méthodes ont montré les mêmes résultats, nous avons réalisé que nous avions trouvé quelque chose de révolutionnaire et jamais supposé auparavant » explique Andrew K. Sweetman, écologue et spécialiste des fonds marins
Restait alors à découvrir comment cet oxygène était produit. Ils ont d’abord éliminé la piste des microbes, puis celle de substance radioactive capable de décomposer les molécules d’eau ou de minéraux contenant de l’oxygène, comme l’oxyde de manganèse.
Les chercheurs ont ensuite examiné de plus près les nodules polymétalliques qui jonchent les fonds marins. Ces formations rocheuses sédimentaires, semblables à une pomme de terre noire, sont formées par l’accumulation de métaux comme le manganèse et le cobalt autour de fragments de coquillages, de dents de requin et de matériaux similaires que l’on trouve couramment au fond des océans.
À l’été 2023, Sweetman a contacté Franz Geiger, un chimiste renommé ayant démontré comment la rouille et rouille et l’eau salée peuvent générer de l’électricité. Ils se sont demandé si les nodules polymétalliques des fonds marins pouvaient créer suffisamment d’électricité pour produire de l’oxygène par électrolyse de l’eau de mer.
Pour vérifier leur théorie, Sweetman a envoyé plusieurs kilos de ces nodules au laboratoire de Geiger. Ils ont découvert qu’il suffit d’1,5 volt, la tension d’une pile AA, pour diviser l’eau de mer. Les nodules ont enregistré des tensions allant jusqu’à 0,95 volt, et lorsqu’ils étaient regroupés, cette tension augmentait.
Geiger a déclaré : « Nous avons découvert une « géobatterie » naturelle, ce qui pourrait expliquer la production d’oxygène noir dans l’océan ».
Les résultats de leur étude ont été publiés ce 23 juillet dans la publication scientifique nature geoscience.
Une découverte fondamentale menacée par l’industrie minière
Cette découverte fondamentale rebat les origines de la vie sur Terre telles qu’elles sont communément admises actuellement. Ainsi que l’a déclaré Sweetman :
« Pour que la vie aérobie puisse apparaître sur Terre, il fallait de l’oxygène, et nous pensions qu’elle avait commencé avec des organismes photosynthétiques. Mais nous savons maintenant que l’oxygène est également produit dans les profondeurs marines, sans lumière. Nous devons donc reconsidérer l’origine de la vie aérobie. »
Comble de l’histoire, ce sont justement ces nodules polymétalliques que l’industrie minière veut extraire des fonds marins. Ces minéraux contiennent des métaux comme le cobalt, le nickel, le cuivre, le lithium et le manganèse utilisés dans les batteries électriques. Depuis des années, la communauté scientifique met en garde contre l’exploitation des fonds marins qui pourrait détruire des écosystèmes uniques au monde.
En effet, « en 2016 et 2017, des biologistes ont constaté que la vie marine dans les zones qui avaient été minées ne s’était pas rétablie, alors que les zones intactes prospéraient. Cela renforce la crainte que l’exploitation minière puisse créer des « zones mortes » et affecter la biodiversité des fonds marins, qui est plus élevée que dans les forêts tropicales humides » rappelle le chimiste Geiger.
La découverte de l’oxygène noir vient donner un argument majeur aux personnes luttant pour empêcher l’extraction en eaux profondes, dont l’activiste Anne-Sophie Roux vous parle dans notre livre-journal Océans. Si en plus d’abriter des écosystèmes complexes, les fonds marins participent à la création d’oxygène sur Terre, les abîmer aurait des conséquences dramatiques. Comment alors justifier leur exploitation ?
« Il s’agit d’une découverte remarquable qui nous rappelle une fois de plus qu’il nous reste tant à apprendre sur les profondeurs de l’océan. Nous savons déjà qu’il n’est pas nécessaire d’exploiter les fonds marins – le recyclage, la technologie des batteries et les politiques d’économie circulaire permettent de s’en passer – et nous avons aujourd’hui encore plus de preuves que les fonds marins sont bien plus importants que ce que l’on pensait » a ainsi déclaré Martin Webeler, chercheur et chargé de campagne Océan au sein de l’Environmental Justice Foundation (EJF)
Évidemment, les résultats des scientifiques ont été décriés par l’industrie minière. Dans un droit de réponse, Sweetman a défendu les travaux de son équipe en précisant que, depuis leur parution, d’autres chercheurs lui ont fourni la preuve de production d’oxygène noir dans les fonds marins. Eux aussi croyaient que leurs appareils de mesure étaient défectueux. Sweetman espère que cette première découverte donnera lieu à de futures études plus approfondies sur le phénomène, pour mieux en mesurer l’ampleur. En effet, si de l’oxygène est produit sous mer grâce à l’électrolyse et des cailloux métalliques, cela pourrait ouvrir la voie à des recherches similaires dans l’espace.
En écho à cette découverte, l’assemblée générale de l’’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) s’est conclu la semaine dernière avec une grande avancée. Pour la première fois, elle a discuté d’une potentielle législation internationale pour mieux protéger l’environnement marin. Elle pourrait fixer les conditions nécessaires à remplir avant que l’exploitation minière commerciale en eaux profondes puisse être envisagée. Depuis quelques années, le combat fait rage pour demander un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins afin « de ne pas détruire ce que nous ne comprenons pas ». Aujourd’hui, 32 pays sont officiellement contre l’exploitation minière des fonds marins.