Les archives secrètes de la bibliothèque Wiener, utilisées dans les procès contre l’Allemagne nazie, sont sur le point d’être mises à disposition du public. Une annonce historique et une formidable contribution à la lutte contre le négationnisme, au moment où le spectre du populisme s’étend à nouveau sur l’Europe.
Un travail colossal
Alfred Wiener (1885-1964) a consacré sa vie à dénoncer et documenter l’antisémitisme et le racisme en Europe, particulièrement celui intrinsèque à la doctrine nazie. En 1925, bien avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, celui-ci avait identifié le danger que le parti nazi représentait pour la communauté juive et, plus largement, la société allemande. Dans son pays d’origine, et plus tard, depuis son exil aux Etats-Unis, Alfred Wiener a accumulé les preuves de l’antisémitisme nazi, qui sont aujourd’hui rassemblées à la bibliothèque Alfred Wiener, à Londres. Parmi ces documents, on compte notamment les archives de la commission des Nations unies sur les crimes de guerre (UNWCC), autrefois inaccessibles au grand public. Ce sont ainsi des dizaines de milliers de documents, remontant pour certains à 1943 (date de création de la commission, un an après la Déclaration des Nations unies – première pierre menant à l’actuelle ONU), qui seront recensés en ligne à partir du 21 avril. Pour les historiens, il faudra cependant se rendre sur place pour consulter les documents eux-mêmes.
900 Go de données
Que renferment ces 900 gigaoctets de documents numérisés ? Selon le site internet de la bibliothèque Wiener, ce sont « divers documents à propos du traitement des crimes de guerre Nazis par les autorités alliées entre 1943 et 1949, comprenant : liste de criminels de guerre présumés, rapports des chefs d’inculpations contre ceux-ci, minutes de réunions et de procès, rapports, correspondance et autres documents affiliés ». On y trouve notamment des documents clandestinement sortis de Pologne dénonçant avec précision, dès 1943, l’horreur des camps d’Auschwitz et Treblinka, ainsi que les premiers documents ayant appuyé le procès d’Adolf Hitler, effectués en secret à la fin de l’année 1944 : plus de 300 pages d’ordres et de rapports mettant en lumière son rôle direct dans les massacres perpétrés par les troupes nazies en Tchécoslovaquie – rassemblées et fournies à la Commission par le gouvernement tchèque. Tandis que ces documents exposent au monde la noirceur du nazisme, d’autres témoignent de l’héroïsme de ses opposants : une déclaration raconte ainsi l’histoire de Harry Ogden, soldat britannique capturé en Norvège en 1940, qui s’échappera de son camp de prisonniers pour rejoindre la résistance polonaise, avant d’être à nouveau enfermé près d’Auschwitz.
« Divers documents à propos du traitement des crimes de guerre Nazis par les autorités alliées entre 1943 et 1949, comprenant : liste de criminels de guerre présumés, rapports des chefs d’inculpations contre ceux-ci, minutes de réunions et de procès, rapports, correspondance et autres documents affiliés »
Une aubaine pour les historiens
Jusqu’à aujourd’hui, les documents rassemblés n’étaient accessibles que dans certaines conditions : il fallait obtenir l’approbation de son gouvernement, puis le consentement du secrétaire général des Nations unies, pour pouvoir les consulter, avec interdiction de prendre des notes ou de faire des copies. C’est le travail incessant de Dan Plesch, professeur à Londres et travaillant sur ces documents depuis une dizaine d’années, auprès notamment de l’ambassadeur américain à l’ONU, Samantha Power, qui a permis cette ouverture. « C’est un atout considérable dans le combat contre le négationnisme. Le gouvernement allemand n’a jamais été autorisé par les Alliés à consulter ces archives. Tout cela n’a jamais vu la lumière du jour », a-t-il déclaré au Guardian. L’ouverture de l’archive coïncide avec la parution de son ouvrage Human Rights After Hitler: The Lost History of Prosecuting Axis War Crimes (non traduit).
Une résonnance dans l’actualité
En effet, cette somme de documents, aux mains d’historiens et de journalistes, pourra aider à combattre le négationnisme. Sous l’action lobbyiste des gouvernements américain et britannique au début de la Guerre froide, beaucoup de procès ont été écourtés pour mieux faire face à la montée du communisme – et la page de la seconde Guerre Mondiale a été trop vite tournée. Aujourd’hui, alors que la montée des populismes en Europe et aux Etats-Unis rappelle celle des années 1930, il est crucial de réactiver cette mémoire trop vite effacée. Face aux discours durs des partis d’extrême-droite, et au retour à peine voilé du néonazisme en Europe (en Grèce, le partie Aube dorée, unanimement qualifié de néonazi par la presse, a frôlé les 7 % de représentation aux législatives de 2015), la transparence sur l’héritage historique du populisme est indispensable. Un effort qu’accompagne l’ouverture de la bibliothèque Wiener, ainsi que la publication récente d’une édition critique de Mein Kampf (pour rappel, l’ouvrage est passé dans le domaine public en 2016), qui « démystifie les racines » de l’ouvrage. « L’exposition, et non le secret, est le meilleur moyen de neutraliser la pensée conspirationniste et la sinistre fascination qu’exercent cet objet interdit », déclare fort-à-propos un journaliste du Guardian.
Crédit Photo : Ushmm / Belarusian State Archive of Documentary Film and Photography

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