En Australie, un magasin aux vertus à la fois écologiques et sociales ouvre ses portes. L’occasion de souligner à nouveau l’absurdité du gaspillage alimentaire dans le monde, alors que des solutions simples et innovantes existent.
Le magasin d’Oz
OzHarvest, ou « la moisson australienne », ainsi se nomme (d’après l’association à l’origine du projet) le premier magasin de produits périmés ou invendus d’Australie, qui a ouvert récemment dans le quartier de Kensington, en banlieue de Sydney. S’approvisionnant dans les surplus des chaînes de grande distribution, petits commerces et cafés, ce supermarché d’un nouveau genre affiche une offre changeante en fonction des arrivages, mais toujours diversifiée (fruits et légumes frais, produits d’entretien et d’hygiène, surgelés).
Le but avoué de cette initiative est de lutter contre le gaspillage alimentaire, véritable fléau de notre société de consommation. Partout dans le monde, et particulièrement en Australie, une part importante de la production alimentaire est jetée : une perte estimée entre 8 et 10 milliards de dollars australien chaque année pour l’Australie. En second lieu, la mission d’OzHarvest, principalement tenu par des bénévoles, est d’offrir ses produits contre une participation libre, qui peut être nulle pour les plus démunis : « ça soulage un peu le porte-monnaie », témoigne Sarah, mère d’une petite fille, qui vient au magasin pour ses produits pour l’enfance (couches, lait en poudre).

S’il est pour l’instant hébergé gracieusement par un promoteur immobilier, le concept d’OzHarvest a vocation à grandir. Avec environ 150 clients par jour, le magasin prévoit de grandir rapidement pour reproduire le modèle ailleurs dans Sydney et le reste de l’Australie.
30 % de pertes
L’initiative est la bienvenue, quand on connaît l’ampleur du gâchis que représente le gaspillage alimentaire. L’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 30 % de la production alimentaire mondiale (environ 1,3 milliards de tonnes) est perdue ou gaspillée chaque année. Ce phénomène est prépondérant dans les pays riches : le gaspillage annuel mesuré dans ceux-ci (222 millions de tonnes) équivaut à la production nette de nourriture en Afrique sub-saharienne.
Pourtant, tout le monde ne dispose pas d’un accès à une nourriture en quantité suffisante, à un prix accessible : 795 millions de personnes souffrent encore de la faim aujourd’hui. Il y a donc une criante invraisemblance dans le système de répartition de la nourriture à l’échelle mondiale. Si nous produisons suffisamment de nourriture pour la population entière, un tiers de cette production n’est jamais consommée, parce qu’elle est invendue ou atteint sa date de péremption trop tôt. Nous souffrons d’un modèle de consommation qui a tendance à avoir les yeux plus gros que le ventre, car la nourriture, en Occident, est souvent peu chère. En conséquence, nous gaspillons les ressources planétaires (1 000 litres d’eau pour 1 litre de lait, 16 000 litres d’eau pour un steak) en vain.

Quand la France montre le chemin
En France, le constat est le même : 26 kilos de nourriture, par an et par personne, sont gaspillés. Au total, cela représente assez pour nourrir 10 millions de personnes, plus que les 6 millions de Français qui ne peuvent pas se nourrir correctement. Dans 33% des cas, c’est chez le consommateur que s’effectue le gaspillage (avec donc la plus grande perte financière, puisque ce sont des produits finis), mais on le trouve aussi à la production (salades trop abîmées pour être vendues, par exemple) et à la distribution (fruits et légumes, notamment les pommes de terre, ne répondant pas aux calibres des magasins).
Cependant, la France est considérée comme une pionnière en matière de lutte contre le gaspillage : grâce à la loi du 3 février 2016, toutes les enseignes de grande distribution sont obligées de donner leurs invendus encore consommables à des associations à but caritatifs, pour qu’ils soient redistribués gratuitement. Ainsi, contrairement au reste du monde, où la plupart des magasins préfèrent jeter leurs invendus (moins de travail, pas de risque sanitaire), tout le monde participe à l’effort écologique et social.
Devant un tel apport de nourriture, les principaux acteurs de la redistribution, comme les Restos du Cœur ou la Croix Rouge, sont rapidement dépassés. C’est pourquoi près de 5 000 nouvelles associations vont petit à petit être autorisées à rejoindre l’activité : « toutefois, on ne s’improvise pas dans la distribution des invendus alimentaires. Ces associations ont dû être préalablement reconnues par l’État », précise Guillaume Garot, député PS de la Mayenne.

Changer ses habitudes plutôt que le système
Malgré notre dispositif légal et innovant, nous avons en France beaucoup à apprendre du projet OzHarvest : en rendant l’offre d’invendus publique, et non plus bornée au plus démunis, cette initiative plaide pour une revalorisation des produits « moches », comme les fruits et légumes hors calibre, abîmés ou terreux n’arrivant jamais sur les étals alors qu’ils sont parfaitement comestibles, ainsi que sur des produits « périmés » mais encore largement sains. Il est important de considérer ces produits comme des denrées à part entière et de ne pas les jeter. C’est la volonté portée, de notre côté du globe, par des initiatives comme le Freegan Pony, ce restaurant illégal installé sous le périphérique de Paris, qui sert chaque jour, avec un succès renouvelé, 80 repas végétariens concoctés avec les invendus de Rungis, à un prix libre.
Enfin, s’il est naturel d’encourager les initiatives de réutilisation des invendus, le réel changement viendra vraisemblablement d’un changement de nos modes de consommation. En tant qu’individus, il nous faut revaloriser la nourriture, c’est-à-dire manger moins, mieux, et plus raisonnablement, afin de moins jeter : « nous sommes dans un modèle économique qui n’hésite pas à surproduire et jeter car cela ne coûte pas cher. Pour le consommateur, il serait plus intéressant d’acheter moins pour jeter moins mais aussi pour consommer des produits de meilleure qualité », conclurons-nous avec Pierre Galio, chef du service consommation et prévention de l’Ademe.
Crédit Photo : Broadsheet

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