97 hectares, ce n’est pas bien grand. Pourtant pour maintenir cette zone protégée en plein milieu d’une zone industrielle, il a fallu batailler. Cela se passe en Ontario, province du Canada, où une poignée de naturalistes a créé ce sanctuaire dans la ville de North Bay, entre les lacs Trout et Nipissing. Une île abritant une zone marécageuse, des rochers vieux de plus de 2.5 milliards d’années et des forêts, entourée d’usines et d’entrepôts.
Reconnue depuis 1985 comme zone naturelle à protéger, Laurier Woods est un lieu pionnier car dès le départ, la population locale a été incluse dans le processus de protection. Défendant l’idée que les zones naturelles sont un bien commun, les naturalistes ont fait un travail d’information et d’enseignement auprès de la population locale.

L’Ontario est une province où 77 % de la terre est propriété publique. Un statut particulier appelé Terre de la Couronne. Les terres appartenant à ce statut sont gérées par le ministère des Richesses naturelles et des Forêts. Elles comprennent les zones littorales, les lits de la plupart des rivières et des lacs, et des forêts. L’originalité tient au fait que les parcs provinciaux et réserves de conservation ne représentent que 10 % de ces terres protégées. De sorte que la protection des zones naturelles n’est pas que l’affaire de spécialistes ou de sanctuaires, mais elle s’inscrit dans le paysage général y compris celui où vivent les humains. La gestion des terres se fait en partenariat entre le ministère et les habitants y compris les collectivités autochtones.
Cette importante proportion ontarienne est unique au monde et fait de l’Ontario un lieu pilote pour de nombreux naturalistes de renommée mondiale dont Fred Pinto, naturaliste spécialiste des forêts, actuel président de l’association Les Amis de Laurier Woods et parmi les trois nominés en Amérique du Nord par l’ONU pour le prix Héros des Forêts.
Créée en 1989, l’association a lancé une pétition en 1991, récoltant 2000 signatures, pour persuader le conseil de la ville de North Bay de voter une résolution de protection de cette zone illimitée dans le temps. En 1995, un propriétaire terrien détruisit un barrage de castor ce qui a entraîné une destruction significative d’une partie de cette zone. Cet incident a incité des associations citoyennes à acheter 8 hectares, devenant ainsi propriétaires de cette zone protégée. S’en suivirent des années de négociations avec des propriétaires terriens pour négocier le rachat de terres. Une campagne de subvention récolta 85.000$ de plus de 150 donateurs.

Au sein de ce petit ilot vivent plus de 33 espèces d’oiseaux, des tortues dont l’espèce endémique de la région. C’est un pont de migration pour les orignaux, loups et biches, mais aussi une zone de repos pour les oiseaux migrateurs, attirant les insectes. C’est aussi un lieu de vie pour des familles de castor qui modifient le territoire par leurs barrages. Aujourd’hui cette zone remplit sa mission de conservation, tourisme, récréation, éducation et recherche scientifique. Sur les sentiers entièrement créés par les bénévoles, se croisent résidents des alentours faisant leur promenade du dimanche, travailleurs venant y faire une pause déjeuner, touristes, élèves et scientifiques.
Cette initiative du bout du monde nous montre que, la richesse d’un écosystème ne se définit ni par la taille ni par le côté spectaculaire des paysages. Nous nous focalisons souvent sur les sites grandioses et les parcs naturels qui bien souvent deviennent de hauts lieux de tourisme de masse. Mais le grandiose est peut-être tout autour de nous, et le combat pour les préserver se forge dans la collaboration, le compromis et l’éducation. En France, les propriétaires ont la possibilité de déclarer leur zone d’habitation zone protégée, ce qui engage le futur propriétaire à la respecter. Bien des outils sont encore à inventer.