Après plus de neuf ans au sein de la grande banque franco-belge Dexia, cette ancienne banquière est devenue auteure/interprète. Conférence gesticulée, ONG, collectif artistique, Aline Fares est animée par un objectif : redonner aux citoyens les clés du monde bancaire et de la finance, et leur expliquer pourquoi il est vital de socialiser le secteur bancaire !
Travailler pour une banque : maximiser les profits des actionnaires
Lancée il y a un an, suite à une formation de trois mois avec l’association belge La Volte, sa conférence gesticulée s’intitule « Chroniques d’une ex-banquière ». Pendant 1h30, Aline Fares met en scène son parcours atypique en expliquant avec humour et clarté le fonctionnement d’une grande banque internationale.
Intégrale des « Chroniques d’une ex-banquière » / Crédit : chaîne youtube Rosalux – Stéphane Dujardin
Aline Fares est entrée chez Dexia par hasard. Résidant à l’époque au Luxembourg, de nombreuses personnes lui recommandent cette banque ayant une « bonne réputation ». Pendant cinq ans, elle a d’abord travaillé pour Dexia Luxembourg, dont l’une des principales activités était de chercher des solutions « d’évitement fiscal », formule polie pour désigner l’accompagnement d’évasion fiscale.
« Je n’ai pas eu de gros déclic pour quitter la banque. Des fissures se sont créées petit à petit, au fil des années, après trois ans de banque. »
A ce moment-là, Aline Fares commence à se poser de nombreuses questions, se renseigne, assiste à des conférences, des expositions et rejoint une ONG d’aide au développement. Elle remet en cause cette maximisation du profit des actionnaires, poussée à son extrême. Elle tente alors de rendre le système bancaire plus vertueux, en allant dans les locaux de Dexia à Bruxelles.
« Quand j’ai commencé à me renseigner, j’ai espéré pouvoir changer les choses de l’intérieur en consacrant plus de temps au pôle développement durable de Dexia. », explique Aline. « Ce pôle intéressait pas mal de monde dans la banque, on était convaincus de l’impact positif que cela pouvait avoir. Malheureusement, on réalise très vite les limites d’une politique de développement durable dans une société actionnaire comme l’est Dexia. Si cette politique va à l’encontre de la maximisation du profit des actionnaires, elle n’est pas validée. Le développement durable marche tant qu’il est une façon pour la banque (ou pour l’entreprise d’ailleurs) de valoriser son image pour que les clients y adhèrent, éventuellement pour faire venir certaines niches de clientèle préoccupée par ces thématiques et leur proposer des fonds ou des crédits estampillés développement durable. Ce n’était pas un sincère projet de progrès social et environnemental, mais un projet de marketing et de communication. »

L’interdépendance des gouvernements et des banques
L’aventure professionnelle d’Aline Fares à Dexia est marquée par la crise de 2008. Alors que la banque est au bord de la faillite, les gouvernements belges, français et luxembourgeois interviennent pour la sauver. L’Etat et les régions belges injectent 3 milliards d’euros, tout comme l’Etat français à travers la Caisse des dépôts et consignations, tandis que le Luxembourg injecte 376 millions d’euros. En 2011, rebelote, un second sauvetage est nécessaire.
« L’affaire Dexia » a été décrite par de grands médias comme étant « la plus grande catastrophe de l’histoire de la banque en France » et « le fiasco le plus cher de l’histoire des banques en Europe ». Selon la Cour des comptes, la faillite de Dexia a coûté au minimum 6,6 milliards d’euros à l’État français et au moins la même somme à l’État belge.
Pourtant, cette situation catastrophique n’a pas empêché Dexia de vouloir octroyer des indemnités de départ et bonus à ses dirigeants. De nombreuses sommes ayant fuité ont créé la polémique. En pleine crise, en octobre 2008, le parachute doré d’Axel Miller avait fait couler de l’encre : 3,7 millions d’euros étaient prévus. Nicolas Sarkozy opposa un veto, et le patron sortant de Dexia dut se contenter de 825 000 euros comme indemnités de départ.
Pour Aline Fares, l’enjeu de transformation du monde bancaire tourne autour de trois grandes problématiques. Elle évoque d’abord la concentration des richesses aux mains d’un petit groupe de personnes, comme l’a révélé le rapport Oxfam au mois de décembre 2017. Pour alimenter les marchés financiers, les lobbies bancaires poussent à la privatisation du plus grand nombre de champs de l’économie et de la vie sociale. Aline Fares en est convaincue :
« Ce pouvoir omnipotent des banques doit être repris en main. Ce n’est pas possible de laisser des pouvoirs aussi importants soumis à la logique de maximisation du profit de quelques actionnaires, de laisser seules les banques décider dans quels domaines investir et accorder des prêts. Bref, de les laisser décider du visage de nos sociétés. »

Ensuite, Aline met en exergue la connivence d’intérêts entre l’Etat et la finance, très nette avec l’endettement public, mais aussi grâce à la puissance du crédit quand un Etat est face à une difficulté économique ou sociale.
« Les Etats ne peuvent plus créer d’argent eux-mêmes par la Banque Centrale, la création monétaire est assurée par les banques. Après une crise, pour relancer l’économie, l’Etat a de ce fait tout intérêt à ouvrir les vannes du crédit. Cela se traduit entres autres par des libéralisations qui donnent plus de marge de manœuvre aux banques. Cela entraîne une connivence d’intérêts entre la logique électorale, l’Etat, les gouvernements et les banques, parce que l’un sert l’autre et vice versa. Un gouvernement ne peut donc pas changer radicalement les choses, à moins de se libérer de la dette. »
Enfin, face à ce constat et ces dysfonctionnements, Aline Fares pose la question de la nécessaire prise en main par la population de ces sujets. « La banque et la finance ne sont pas réservées aux experts, les citoyens doivent recommencer à faire de la politique et décider ensemble de ce qu’ils souhaitent. Par exemple, la création monétaire peut continuer d’être assurée par les banques, mais ces dernières devraient alors être soumises à des règles très strictes. » Aujourd’hui, Aline Fares milite pour un contrôle populaire sur les banques : c’est ce qu’on appelle la socialisation du secteur bancaire.
Le monde bancaire et la finance, l’affaire de tous et toutes
En Europe, certains modèles tendent déjà à placer les banques sous tutelle citoyenne ou gouvernementale. Les caisses d’épargne allemandes, nommées « Sparkassen », sont souvent louées pour leur rôle stabilisateur de l’économie. Le fonctionnement des Sparkassen repose sur trois grands principes : autonomie, implantation locale (Regionalprinzip) et service public (öffentlicher Auftrag). Les Sparkassen sont contrôlées par les municipalités et les régions (Länder). Les coopératives NewB en Belgique, ou la Nef en France, veulent aussi rendre la finance éthique.
La socialisation du secteur bancaire est promue par plusieurs économistes : Patrick Saurin, Frédéric Lordon, Eric Toussaint. Si de sérieuses pistes de réflexion sont proposées par ces auteurs, tout reste encore à définir, et chaque territoire devra construire le modèle qui lui convient le mieux. Les crises financières ont cependant eu un impact non négligeable : certains gouvernements sont devenus en partie propriétaires des banques qu’ils ont sauvées. L’Etat belge est ainsi devenu propriétaire de Belfius, suite au démantèlement du groupe Dexia pendant la crise. Or, maintenant que Belfius enregistre des résultats positifs, l’Etat souhaite privatiser une partie de la banque. Aline Fares a co-fondé la plateforme « Belfius est à nous » pour contester cette décision. Des cas similaires ont lieu en Espagne avec Bankia, et la Royal Bank of Scotland en Grande-Bretagne. Avec la crise sont réapparues des banques publiques. Pourquoi donc les revendre alors que plane déjà la prochaine crise financière ?
Aline Fares s’engage avec l’ONG CADTM et le collectif artistique Désorceler la finance pour anticiper cette crise et déjà poser les questions sur la façon dont les gouvernements et citoyens pourront la gérer : « Chaque citoyen.ne est légitime pour poser le sujet en termes politiques. Peut-être est-il temps de se dire que la prochaine crise, similaire à 2008, va arriver, et se demander comment en répartir le coût sur les personnes qui peuvent le payer et qui ont accumulé de la richesse depuis des années et des années, plutôt que sur les contribuables ? »
Crédit Photos : Bernard Rosenberg

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