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Nos terres sont ravagées par les pesticides… Le combat d’un agriculteur contre Monsanto

Il y a 60 ans, le monde agricole connaissait une révolution qui semblait salvatrice pour répondre à une demande croissante et augmenter le rythme d’exploitation des terres. Seulement, les techniques développées telles que la monoculture, l’industrialisation et la chimie ont ouvert le début d’un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. La France, championne […]

Il y a 60 ans, le monde agricole connaissait une révolution qui semblait salvatrice pour répondre à une demande croissante et augmenter le rythme d’exploitation des terres. Seulement, les techniques développées telles que la monoculture, l’industrialisation et la chimie ont ouvert le début d’un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.

La France, championne des pesticides

En 2014, la France a utilisé au moins 60 000 tonnes de pesticides, ce qui fait d’elle la 3ème plus grande utilisatrice d’Europe après l’Espagne et l’Italie. En 2004, l’IFEN a publié une étude démontrant que les pesticides étaient ou ont été présents sur 96% des points de mesures de cours d’eau en France, soit une haute toxicité de l’eau sur 36% des rivières françaises et une pollution de plus de 90%. Pourtant, cela fait des dizaines d’années que les scientifiques, les chercheurs et les consommateurs ont tiré la sonnette d’alarme en soulignant la corrélation entre l’augmentation de l’utilisation des produits phytosanitaires et la recrudescence de nombreuses maladies. Les lobbies des multinationales continuent à asséner un seul et même argument : le manque de preuves. Seulement, les années et les drames au sein du monde agricole parlent d’eux-mêmes : les plus exposés aux pesticides et herbicides sont de plus en plus malades (troubles de Parkinson, leucémie, myélome, troubles neurologiques, cancers…).

Mesures prises sur le papier, et après ?

Le gouvernement qui avait pourtant fait partie des campagnes auprès des multinationales promouvant l’utilisation massive de pesticides et d’herbicides a désormais pris des mesures. En 2012, dans le cadre du plan Ecophyto lors du Grenelle de l’Environnement, il fut écrit noir sur blanc des promesses non tenues : la réduction à hauteur de 50% de l’utilisation des pesticides d’ici 2018. Aujourd’hui, nous sommes en 2017 et l’utilisation des produits phytosanitaires connaît une hausse constante avec plus de 48 tonnes en 2011 pour 58 tonnes en 2014 et une prévision de 51 tonnes en 2019. En somme, aucune réduction à l’horizon, même si on reconnaît un semblant de tentative de modération. Pourquoi n’arrive-t-on plus à réduire l’utilisation de ces produits ? Et bien, il y a 60 ans, lorsque l’agriculture se devait de répondre à une demande croissante et à augmenter le rendement des terres, elle a connu un changement structurel : passage à la monoculture, industrialisation des outils agricoles et bien sûr, passage à la chimie.

A court et même à moyen termes, c’est une vraie formule magique qu’on vend et qu’on écoule à grands flots sur les terres. Seulement, lors de ces larges campagnes pour rehausser le rendement et la productivité des terres agricoles françaises, aucune campagne parallèle n’a été menée pour prévenir des risques, donner des conseils de précautions d’utilisation et informer les agriculteurs de la toxicité des produits qui avaient été mis entre leurs mains, et ce, pour leur plus grand bonheur. La confiance aveugle accordée aux entreprises et au gouvernement a éloigné ne serait-ce qu’un quelconque questionnement : la croissance était revenue.

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L’affaire de David contre Goliath

Il est fort probable que vous ayez entendu parler de l’histoire de Paul François, l’agriculteur de Charente, premier à avoir gagné une procédure de justice contre le géant américain Monsanto. Ce céréalier de 47 ans, aujourd’hui président de l’association Phyto-Victimes a mené un combat de plus de 8 ans pour faire reconnaître ses droits et ceux de ses camarades agriculteurs. Il explique que depuis l’entrée sur le marché de ces produits, il n’avait jamais été informé de leur danger et qu’aucune précaution d’utilisation ne lui avait dispensé : port de gants, de masques, le fait de ne pas revenir sur les champs après épandage des produits etc. Confiance aveugle.

Seulement, en 2004, Paul François vient vérifier la propreté de l’une de ses cuves – le soleil ayant chauffé cette cuve, lors de son ouverture, des résidus de Lasso (un herbicide produit par Monsanto) transformés en gaz ont envahi ses voies respiratoires et son visage. Il a expliqué avoir ressenti une chaleur à travers son corps et a appliqué ce qui lui semblait recommandé, soit, prendre une douche et changer de tenue. Petit à petit, la sensation de fatigue et l’endormissement l’envahit, puis il crache du sang et titube. Sa femme l’emmène à l’hôpital où il tombera dans le coma juste avant de perdre la mémoire et de bégayer à son réveil. Ne soupçonnant pas encore l’herbicide, une fois son état stabilisé, il reprend le travail malgré les quelques vertiges. Ce n’est que plusieurs mois après que ses filles le retrouveront chez lui dans le coma. L’année 2005 se rythme alors par des hospitalisations fréquentes et des comas à répétition ; les médecins lui conseillent du repos en soupçonnant une dépression liée au grand stress de son métier et même les prémisses d’une maladie mentale. Durant cette période de repos, Paul François pense et se pose des questions : et si son mal était dû à l’inhalation de cet herbicide ?

Investigation en solitaire

C’est alors qu’il prend les choses en main et contacte directement la firme américaine. Après de nombreuses relances, il entre enfin en communication avec un représentant de Monsanto qui lui explique que l’exposition au Lasso ne connaît aucun antécédent, mais que s’il a connu un désagrément, la firme se ferait un plaisir de lui proposer une compensation financière à condition qu’il se refuse à toute attaque judiciaire. Face à ce paradoxe d’une entreprise qui plaide non coupable mais aimerait tout de même éviter un passage en justice, Paul François tique. Il est mis en relation avec le toxicologue du CNRS André Picot qui découvre de l’acide acétique dans le Lasso et prélève parallèlement les urines de l’agriculteur, 10 mois après l’accident, et y trouve du cholorophénol, le principal métabolique du chlorobenzène. Grâce à ces analyses probantes, André Picot prescrit un traitement contre l’empoisonnement à Paul François qui reprend peu à peu des forces. Ces forces, Paul François va les utiliser pour demander justice, convaincu que le produit phytosanitaire de Monsanto est responsable de l’état qui l’a fait flirter avec la grande faucheuse. L’investigation et le combat commencent. Avec sa casquette de détective, Paul François est mis en relation par son avocat avec des médecins qui pourraient appuyer son hypothèse ; seulement, deux médecins responsables de services grincent des dents lorsqu’il mentionne l’origine de ses pathologies et cite Monsanto, ils craignent ce nom et ne veulent pas de problèmes. Que risquent-ils ? Pourquoi la pression de la firme s’exerce jusque dans les hôpitaux ?

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Petits lobbies de derrière les fagots

Paul François creuse et finit par se rendre compte que le Lasso, homologué en 1967 a commencé à être remis en question dès le début des années 1980 ! Le Canada a arrêté sa vente dès 1985, la Belgique et certains Etats américains dès le début des années 1990. Pourquoi la France en autorise-t-elle toujours la vente ? C’est donc en 2007 que l’agriculteur lance deux procédures, l’une contre la mutualité agricole qui ne reconnaît que très peu des pathologies liées à l’exposition aux produits phytosanitaires, et l’autre contre Monsanto. La même année, soit presque 40 ans après sa mise sur le marché français, Monsanto se voit interdire la vente du Lasso par l’Union Européenne ; soulignons alors que le Ministère de l’Agriculture, dans sa grande bonté, a laissé plusieurs mois à la firme pour qu’elle puisse écouler tranquillement la fin de ses stocks.

Oui, car le gâchis : c’est mal. Comment le gouvernement français a pu continuer de prétendre ignorer la mauvaise intention et la dangerosité des produits phytosanitaires produits et vendus par Monsanto alors que les preuves flottent sous leur nez ? En 1996, Monsanto était condamné à une amende de 500 000 dollars et un retrait de mentions publicitaires jugées mensongères par le procureur de New-York pour une publicité du Round’Up, notamment qualifié de « désherbant biodégradable », « qui ne pollue ni la terre, ni l’os de Rex » (le chien présent dans la publicité). Pour le même motif, la même publicité et donc les mêmes preuves, la France n’a condamné la firme qu’en 2007, soit 20 ans plus tard !

Le début du ralliement agricole

En novembre 2008, le Tribunal des affaires de sécurité sociale donne raison à Paul François et décrète que son état est directement lié à son accident du travail de 2004. La même journée, la firme conteste le verdict, qui sera pourtant confirmé en janvier 2010 par le tribunal de Bordeaux. La brèche que Paul François vient d’ouvrir permet à des milliers d’agriculteurs de briser le silence et de se tourner vers la mutualité agricole pour faire reconnaître leur maladie en maladie du travail car ils ne peuvent plus exercer correctement leur activité. En effet, entre 2002 et 2010, seulement 47 maladies de ce type ont été reconnues professionnelles – le nombre de cas de rejetés et d’agriculteurs désemparés est considérable.

L’enclume

Frédéric Ferrand, viticulteur de 40 ans et père de 2 jeunes enfants, est un camarade de Paul François, notamment via l’association Phyto-Victimes. En 2010, celui-ci retrouve du sang dans ses urines : cancer de la vessie de stade 4, que l’on appelle presque aujourd’hui « la maladie du viticulteur ». Comme nombre de ses confrères, Frédéric a utilisé du Folpel et du Fotésyl d’Alumine pour lutter contre la hantise des viticulteurs : le mildiou (maladie de la feuille de vigne). Un an après cette annonce, il succombe de son cancer. Paul François apprend la nouvelle au lendemain d’un énième témoignage contre Monsanto et cette annonce a l’effet d’une enclume ; loin de le décourager, il transforme sa colère et redouble ses efforts dans la lutte juridique qu’il mène depuis déjà 6 ans.

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Monsanto se moque de la dignité humaine

Le 13 février 2012, Monsanto est jugé responsable du préjudice causé à Paul François suite à l’inhalation du Lasso et le tribunal condamne la firme à une indemnisation totale. Le jour même, Monsanto fait appel grâce à deux choses dont elle ne manque pas : le temps et l’argent. Une fois de plus, la carte du manque de preuve est brandie et l’affaire se poursuit. En mai 2015, 3 ans après la première décision de justice, les plaidoiries reprennent et la cour d’appel de Lyon donne raison, après 8 ans de procédure à Paul François : Monsanto est bel et bien coupable. A la sortie du verdict, Paul Francois s’exprime, non sans émotion :

« Oui je crois qu’elle est historique (la décision), je crois vraiment qu’elle est historique parce qu’il me semble que c’est la première fois qu’un individu ose attaquer cette firme, gagne, et la fasse condamner. J’aimerai bien aussi qu’avec cette décision, le monde syndical agricole prenne en main le sujet des pesticides. Il faut réagir, parce que ce sujet nous appartient à nous, utilisateurs.Il faut réagir. J’imagine que si Monsanto a été capable de commercialiser un produit dangereux pour nous, j’imagine qu’il y a d’autres produits mais aussi d’autres firmes qui le font aussi ».

Et c’est sans aucun scrupule que le soir même du verdict, Monsanto se pourvoit en cassation, la décision est attendue courant 2017. Une fois de plus, la multinationale use de son temps et de son argent pour jouer le jeu de la montre et de l’épuisement. Ses tentacules présentes dans les couloirs des ministères, la tête de certains médecins et les places financières tentent d’étouffer un quelconque dérangement de son invasion morbide. Cependant, ce que la multinationale ne peut empêcher, c’est l’expression. En effet, le silence est rompu, le ton monte et les consciences grondent. Les campagnes françaises qui enterraient silencieusement leurs morts sortent de l’ombre, du silence, et unissent leurs voix unes à unes contre les producteurs de ces produits, mais aussi, contre les autorités nationales qui ont contribué à cette situation désastreuse.

Le seul pouvoir : celui des citoyens

Les agriculteurs et consommateurs de France ne sont pas les seuls à faire face à des tragédies agricoles et personnelles dues à ces produits. Se tient en octobre 2016, à la Haye, un procès citoyen et symbolique contre Monsanto pour crime contre l’humanité et écocide, organisé par un réseau associatif et militant où 30 témoins et experts parlent sur la place publique. Aujourd’hui, la sensibilisation est faite, la mobilisation grandit et face à l’inaction gouvernementale, les gens prennent les choses en main. Seulement, le cercle vicieux dans lequel de nombreux agriculteurs se sont engagés est extrêmement difficile à contrecarrer, en effet les terres sont fatiguées et usées d’avoir été dopées, la biodiversité en a pris un coup et les rendements recommencent à stagner. Le passage des terres en agriculture biologique nécessite un certain temps de jachère, soit un véritable investissement, dont nombreux, n’en ont plus les moyens. La lutte ne continue pas, elle ne fait que commencer. Une fois de plus, ce sont les citoyens lambda qui ont mené le combat contre le danger injecté à la nation. Continuons à prendre garde à notre consommation, qui est, rappelons-le, bien plus puissante que notre bulletin de vote.

Sources : La Relève et La Peste / France Inter, Planetoscope / La Mort est dans le Pré (France 2)/ Notre poison quotidien (Arte) / Site du Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

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Diane Scaya

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