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Néonicotinoïdes : la LPO attaque en justice les industriels de l’agrochimie pour le déclin des oiseaux des champs

Contrairement aux affirmations des industriels proclamant que les oiseaux arrêteront d’eux-mêmes de manger les graines par répulsion digestive ; il faut savoir que la nocivité létale des pesticides s’aggrave proportionnellement avec la longueur et la répétition des expositions à ces derniers.

En 20 ans, les populations d’oiseaux vivant dans les milieux agricoles ont décliné de plus de 30 % notamment à cause de l’usage de pesticides. Face à l’hécatombe en cours, la LPO a décidé d’attaquer en justice les principaux producteurs, BAYER SAS et NUFARM, mais aussi les importateurs et distributeurs d’imidaclopride (une substance néonicotinoïde très toxique) en France afin de faire reconnaître leur responsabilité et de demander réparation pour le préjudice écologique. Un article de Liza Tourman.

Une brève histoire d’augmentation et de déclin

Dans les années 1960, la population mondiale passe de 3 à 6 milliards d’habitants. Afin de faire face à cette croissance exponentielle, les Etats décident de mener des recherches agronomiques sur les céréales considérées comme étant la base de l’alimentation humaine (blé, orge, maïs etc.). C’est ainsi que naît « l’agriculture intensive ».

Erigée sur le principe de la monoculture, elle a pour objectif d’accroître le rendement agricole par le biais de nouveaux moyens de production. Par essence opposée à l’agriculture biologique, dont le postulat est de produire en travaillant avec les écosystèmes, l’agriculture intensive a recours à de nombreux intrants comme les engrais ou les pesticides, ayant des conséquences destructrices sur l’environnement.

Ainsi, si la nature a un système de fonctionnement complexe dont ses propres repoussants, comme l’œillet d’Inde, efficace pour lutter contre les pucerons ou encore les capucines qui protègent des mildious, un champignon parasite, l’agriculture intensive, elle, possède ses néonicotinoïdes. Commercialisés en France dans les années 1990, ils sont les pesticides les plus célèbres.

Selon plusieurs études, les néonicotinoïdes persistants, systémiques et neurotoxiques, sont responsables du déclin de la population des insectes mais aussi des oiseaux qui ingèrent les graines enrobées de ces produits.

Lire aussi : Le Conseil d’Etat valide le retour provisoire des néonicotinoïdes

En effet, malgré les recommandations des industriels d’enfouir ces dernières dans le sol, il est impossible de ne pas en faire tomber des sacs ou encore de certifier l’efficacité à 100 % des semoirs automatiques. Ces apparents petits bonbons roses éparpillés sur les sols sont des poisons attractifs pour les oiseaux. Et même s’ils ne sont pas directement mortels, il ne faut pas plus de dix graines pour développer des effets sublétaux.

Des travaux récents, dont celui de l’office national de la chasse et de la faune sauvage, ont mis en exergue que la commercialisation massive de l’imidaclopride, concorde avec le déclin des oiseaux en zones rurales. Dans cette étude publiée en 2018, plusieurs scientifiques ont ramassé 239 carcasses d’oiseaux dans des zones de cultures céréalières intensives.

Plus de 100 cas ont été directement analysés comme ayant un lien direct avec ce pesticide et la mortalité par empoisonnement touchait 70 % des cas. 

Dans la même lignée, le Museum d’Histoire Naturelle a demandé au nouvel Office français de la biodiversité de comparer la carte des achats de pesticides en France et de la mettre en corrélation avec le nombre d’oiseaux morts pour établir quels produits chimiques pouvaient être incriminés.

Publié aujourd’hui, le résultat est accablant : en trente ans, les populations d’oiseaux des milieux agricoles ont chuté de 29,5 %, et celles des oiseaux vivant en milieu urbain ont diminué de 27,6 %.

« Seuls quelques oiseaux capables de s’adapter connaissent une progression démographique, comme le Pigeon ramier, le Geai des chênes ou la Mésange bleue. Hélas, ce phénomène d’accroissement des espèces dites « généralistes » au détriment des « spécialistes » révèle en fait une uniformisation de la faune sauvage, signe d’une banalisation croissante des habitats et d’une perte de biodiversité. » explique la LPO

Moineau Friquet – Crédit : Andreas Trepte

Où est donc passé le chant du coucou ou le gazouillis doux et flûté de nos hirondelles ?

Un monde silencieux, c’est un peu comme un monde sans âme. Pourtant c’est ce qui se profile en Europe ces dernières décennies. En effet, l’Europe a en 30 ans perdu plus de 421 millions d’oiseaux : le chardonneret élégant, le coucou, le milan royal, la perdrix grise se font de plus en plus rares.

La liste est longue, la situation, alarmante. 275 espèces sont touchées dont 32 % des oiseaux nicheurs comme le moineau friquet qui a quasiment disparu. On ne le répétera jamais assez, c’est une véritable hécatombe.

Deux facteurs engendrés par l’activité humaine en portent la responsabilité : le réchauffement climatique qui désoriente les oiseaux pendant leur migration et les pesticides utilisés en masse pour lutter contre les nuisibles (les insectes, les rats, les mulots ou encore les campagnols).

Pourtant, des prédateurs comme le renard roux sont des moyens efficaces pour endiguer la propagation des rongeurs. Malheureusement, étant eux aussi considérés comme nuisibles, ils sont chassés et remplacés par des produits phytosanitaires.

Lire aussi : Les renards sont indispensables pour lutter contre la propagation de la maladie de Lyme

Pour citer quelques exemples : utilisé pour se débarrasser des rongeurs, le bromadiolone tue par effet ricochet les rapaces et les milans royaux qui mangent les cadavres contaminés. Ou encore, les oiseaux associés à des troupeaux d’animaux comme la bergeronnette ou l’étourneau qui se nourrissent des insectes empoisonnés par des produits vétérinaires comme les vermifuges.

Coucou gris – Crédit : Giancarlo Foto4U

Cependant les néonicotinoïdes restent les produits criminels les plus redoutables contre le vivant.

Malgré cela, le Conseil d’État a validé en mars 2021 la réintroduction provisoire des néonicotinoïdes dans la filière de la betterave sucrière, deux ans et demi après leur interdiction sur le territoire national. Les « pesticides tueurs d’abeilles » pourront donc faire leur grand retour dans les champs français jusqu’en 2024.

Résultat, les coopératives agricoles achètent 50 000 tonnes de produits similaires pour traiter le blé, le seigle, l’orge, les betteraves. Considérés d’abord comme « tueurs d’abeilles », ils déciment aussi les oiseaux insectivores ; car, qu’ils mangent des graines enrobées de produits chimiques ou alimentent leur progéniture avec des insectes, ils sont continuellement exposés à ces substances, du fait que ces derniers ont été infectés.

Contrairement aux affirmations des industriels proclamant que les oiseaux arrêteront d’eux-mêmes de manger les graines par répulsion digestive ; il faut savoir que la nocivité létale des pesticides s’aggrave proportionnellement avec la longueur et la répétition des expositions à ces derniers.

Les conséquences sont désastreuses : troubles neurologiques, problèmes d’immunités ou perturbateurs endocriniens se transmettant de génération en génération et provoquant un affaiblissement général des espèces.

Pour aller encore plus loin, cette ingestion est responsable de la destruction de leurs organes comme le foie, l’encéphale ; elle entraîne notamment des lésions au niveau du système reproducteur ou encore le dérèglement des hormones thyroïdiennes indispensables aux vols des oiseaux.

En conséquence, une étude publiée en mars 2021 par des chercheurs français montrait ainsi que les perdrix nourries à partir de céréales issues de l’agriculture conventionnelle avaient leur comportement, immunologie et physiologie qui se dégradaient fortement en moins de dix semaines.

Le plus choquant, c’est qu’aujourd’hui les sols sont traités en prévention et non plus en fonction du nombre de ravageurs, transformant par voie de conséquence des millions d’hectares en champs d’insecticides et en cimetières à ciel ouvert.

Milan Royal – Crédit : Noel Reynolds

Mais que fait la justice ?

La France est la première puissance agricole européenne devant l’Allemagne et l’Italie et compte le rester. Il faut en effet prendre en compte le poids de la FNSEA et plus encore celui des lobbyings industriels comme BAYER, NUFARM ou encore FERTICHEM qui ont un impact décisionnel sur les politiques agricoles de grande envergure.

C’est pourquoi le 21 Mai 2021, la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) soutenue par l’expertise juridique de “l’Association Intérêt à agir” et de Me Sébastien Mabile du cabinet de Seattle Avocats, a assigné devant le tribunal judiciaire de Lyon les principaux producteurs, importateurs et distributeurs d’imidaclopride en France afin de reconnaître leur responsabilité dans le déclin des populations d’oiseaux des milieux agricoles.

Ils demandent la réparation du préjudice écologique ainsi qu’une expertise pour mesurer l’étendue des dommages.

Dans la foulée, la LPO réclame l’arrêt immédiat de toute commercialisation de produits contenants de l’imidaclopride, car même si son utilisation a été interdite par la loi du 8 août 2016, une dérogation existe grâce à celle du 14 décembre 2020 « relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières ».

Cette forme de bipolarité rappelle la décision du Parlement Européen d’adopter en 2009 l’interdiction des produits cancérigènes et mutagènes reprotoxiques tout en actant que ceux qui étaient sur le marché y resteraient jusqu’à l’expiration de la licence, exposant par là-même 500 millions de personnes à ces substances.

Face au comportement écocidaire des industriels et aux ravages de l’agriculture intensive, les ONG sont bien décidées à ne rien lâcher pour préserver la biodiversité, patrimoine commun aux êtres humains. In fine, il semble évident qu’après le déclin massif des oiseaux ainsi que des insectes, l’humain sera le prochain à subir les dommages collatéraux d’une agriculture qui n’a que le rendement économique pour seul moteur.

Liza Tourman

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