A l’heure actuelle, on peut se réjouir d’une bonne protection des littoraux en France et dans le monde ; mais ces zones côtières ne représentent qu’une petite partie des océans ; la haute mer, qui représente plus de la moitié (55%) de la surface du globe, est beaucoup moins protégée de la main de l’homme. Depuis 2015, les Nations unies multiplient les réunions pour aboutir à une législation protégeant ces étendues marines et sous-marines. Une bonne chose, quand on sait l’urgence qu’il y a à sauvegarder ces réservoirs de ressources naturelles et de biodiversité.
L’appel d’un militant
Ce sont d’immenses zones qu’on pourrait penser à l’abri de l’intervention humaine : on appelle haute mer tout l’espace, de la surface au sous-sol, toute la zone au-delà des zones économiques exclusives côtières, qui s’arrête à 370 kilomètres des frontières maritimes.
Ces espaces, le capitaine Paul Ruzycki, qui dirige l’Esperanza, un bateau de la flotte de Greenpeace, les connaît bien. Il a passé sa vie à en sillonner les routes, apprenant à aimer tempêtes et mers d’huiles. A l’occasion du dernier comité préparatoire des Nations unies pour l’élaboration d’un « accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité au-delà des zones maritimes sous juridiction nationale », le militant lance un appel en faveur de l’océan.

Avec poésie, cet homme – qui lutte de manière pacifique aux côtés d’autres militants de l’ONG internationale pour la sauvegarde de l’environnement, risquant parfois la prison – déplore les menaces qui pèsent sur la haute mer :
« J’ai vu des navires usines se délester de leurs déchets en pleine mer, des chalutiers raser les fonds marins, des flottes de pêche piller la vie des océans. J’ai entendu le bruit assourdissant des tests sismiques recouvrir celui des vagues, pour servir les profits de l’industrie pétrolière. J’ai vu que la cupidité pouvait être plus abrasive que le sel de la mer ».
L’océan menacé
Le tableau est assez complet : aujourd’hui ces zones sont menacées par la pollution, notamment celle du plastique. Entre les gros objets en plastique, dont l’humanité rejette des tonnes (entre 4,8 et 12,7 millions) dans les océans et qui peuvent tuer des mammifères marins comme les tortues, les loutres ou les dauphins, et les microplastiques, qui diffusent des substances toxiques dans les organismes marins les plus petits – et jusque dans nos assiettes. Ces déchets sont une menace permanente (beaucoup d’objets mettent plusieurs centaines d’années à se décomposer) pour la biodiversité marine.

Mais la pollution par le plastique n’est pas la seule menace : il faut y ajouter la pêche intensive (même si celle-ci est principalement cantonnée aux zones côtières), les conséquences de l’exploitation du pétrole (rejets d’hydrocarbures, émissions d’ondes qui perturbent les animaux marins), et les effets du réchauffement climatique (disparition d’espèces, blanchissement du corail).
Protection et exploitation raisonnée
Pour mieux protéger la haute mer, 196 pays membres de l’ONU ont entamé en 2015 des discussions pour établir un traité de protection de ces zones. Après quatre comités de préparation, une recommandation sera présentée à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre. Le traité effectif, s’il voit le jour, ne sera pas ratifié avant le début de l’année 2018, mais les progrès sont encourageants. « La plupart des pays (…) ont tenu à rappeler lors de cette conférence, leur engagement dans la lutte contre le réchauffement climatique. Personne ne peut nier ce phénomène », témoigne Serge Ségura, l’ambassadeur français pour les océans (un poste créé en 2015, pour la COP21).
Digne héritier de la convention de Montego Bay (le seul traité, signé en 1973 et plutôt succinct, existant pour l’instant pour protéger la haute mer), le futur accord ne s’appliquera pas seulement à protéger l’environnement, mais aussi à encadrer l’exploitation des trésors qu’on ne cesse d’y découvrir : « dans les années 1970, les connaissances sur les écosystèmes de haute mer étaient très limitées. On savait qu’il y avait des thons, quelques ressources minérales, mais pour le reste on imaginait que la vie ne pouvait pas se développer dans les grands fonds où la photosynthèse est impossible », énonce Julien Rochette, chargé d’études à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Le but du traité sera donc aussi de cartographier l’océan (seuls 3% sont aujourd’hui bien connus) et de réglementer l’exploitation des ressources de ces eaux internationales – une question épineuse qui pourrait déclencher des conflits. La réglementation à venir s’appliquera donc aux ressources halieutiques (produits de la pêche), aux ressources minières (hydrocarbures et minéraux), ainsi qu’au patrimoine génétique. La mer est en effet un espace convoité dans ce domaine : les dépôts de brevets sur des organismes marins, qui intéressent les secteurs pharmaceutique, cosmétique et agroalimentaire, augmentent de 12 % par an selon l’Institut français de recherches pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ; en effet, la mer abrite des organismes aux propriétés intéressantes pour la recherche, à l’instar de bactéries qui survivent dans des conditions de pression et de température extraordinaires.

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