Organisme subsidiaire des Nations unies, connu pour ses prises de positions traditionnellement à gauche et en faveur des pays en développement, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a publié la semaine dernière un état des lieux de l’économie mondiale, insistant sur l’inefficacité des politiques d’austérité, condamnant l’accroissement des inégalités et proposant une « nouvelle donne mondiale ».
La reprise peut cacher la crise
« Nous devons rapidement commencer à passer d’une société axée sur les choses à une société axée sur la personne. Quand les machines et les ordinateurs, la recherche de profits et les droits de propriété sont considérés comme plus importants que les individus, les triplés géants que sont le racisme, le matérialisme et le militarisme sont impossibles à battre » : c’est sur les sages paroles de Martin Luther King que commence le rapport 2017 de la CNUCED, intitulé sans équivoque « Au-delà de l’austérité – Vers une nouvelle donne mondiale ».
Rigoureux état des lieux de la santé économique du monde, ce rapport reconnaît la timide reprise que nous vivons à l’heure actuelle (l’économie planétaire devrait enregistrer une croissance de 2,6% en 2017, après plusieurs années de stagnation au lendemain de la crise économique de 2008) mais avance que celle-ci ne se fait pas sur de bonnes bases. Selon les auteurs du rapport, comme Rachid Bouhia, économiste à la division « mondialisation et stratégie de développement » de la CNUCED, les failles structurelles qui ont mené à la crise sont loin d’être comblées, qu’il s’agisse du déséquilibre Nord-Sud dans le commerce mondial ou de la réglementation de la finance ; « la reprise est là, mais elle risque de rester longtemps faible, pour ne pas dire fragile », affirme l’économiste.
Rentes, inégalités, austérité
Dans son analyse des maux de l’économie, le rapport isole trois grands thèmes : la trop grande concentration des richesses, l’hypermondialisation déraisonnée (au détriment de l’individu et des Etats), le recours trop systématique à l’austérité dans les politiques publiques. Ne mâchant pas ses mots, le secrétaire général de la CNUCED, Mukhisa Kituyi, compare notre économie à un « monde de profit sans prospérité », où l’inefficacité des lois anti-monopoles et le jeu des fusions-acquisitions ont créé des entreprises riches mais négligeant leurs employés. « Entre 1995 et 2015, les profits excédentaires sont passés de 4 % à 23 % des bénéfices totaux toutes entreprises confondues », continue l’ancien homme politique kenyan, pointant également le creusement des écarts entre les entreprises les plus riches et les plus modestes (en termes de capitalisation boursière, cet écart est passé d’un facteur 30 en 1995 à un facteur 7000 aujourd’hui).

Alliée à une mondialisation sauvage, qui favorise la fuite des capitaux, cette concentration des richesses favorise également les inégalités entre les individus et entre les sexes. Face au pouvoir grandissant des entreprises (dont certaines enregistrent des chiffres d’affaires supérieurs aux PIB de petits Etats), les individus comme les pays sont forcés à l’endettement ou à l’austérité.
Sur le thème de l’austérité, la CNUCED a également beaucoup à dire. A l’instar du Fonds monétaire international (FMI), qui est revenu récemment sur ses conclusions quant à l’efficacité de l’austérité sur la croissance, l’organisme dépendant de l’ONU doute de cette politique économique employée dans 13 des 14 principaux pays avancés du monde.
Selon ces économistes, l’austérité aurait pour effet de réduire plus fortement que prévu l’activité économique, baissant le PIB et augmentant finalement le déficit plutôt que de le réduire grâce aux économies. Tout cela, sans parler des conséquences sociales de l’austérité : « la politique d’austérité adoptée après la récession a durement frappé certaines communautés parmi les plus pauvres, se traduisant par l’intensification des clivages et l’anxiété grandissante de la population au sujet de ce que l’avenir pourrait réserver », peut-on lire dans l’introduction du rapport.

Nouvelle donne mondiale
Pour éviter, au mieux, un marasme économique pendant plusieurs années et, au pire, une nouvelle crise économique, la CNUCED préconise une « nouvelle donne mondiale » inspirée du plan Marshall de 1947, quand les Etats-Unis avaient massivement investi dans l’économie européenne afin de la relancer au lendemain de la seconde Guerre Mondiale.
L’idée du plan n’est pas nouvelle et plutôt simple : il s’agit de renforcer le pouvoir des Etats dans la mondialisation en « augmentant les investissements publics, en réalisant de grands programmes de travaux publics capables de moderniser les infrastructures et de créer des emplois ». En plus de ce programme de grands travaux, la CNUCED préconise un meilleur contrôle du secteur bancaire (qui représente plus de 100 000 milliards de dollars, soit plus que le produit planétaire brut) et une attention toute particulière à l’individu (développement d’une économie des soins, réglementation des robots pour éviter les pertes d’emploi, renforcement de la « voix des syndicats »).
Au cœur du plan de la CNUCED se place l’Etat-nation, qui reste à l’heure de la mondialisation « un fondement de la légitimité et de l’autorité (…) pour garantir la sécurité économique, la justice sociale et la loyauté politique ». Sans tomber dans le protectionnisme réactionnaire, le rapport conseille un retour en grâce de cet organisme un peu oublié par la mondialisation, accompagné par des investissements internationaux raisonnés et contrôlés.

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