Capucine Girard nous emmène dans la capitale du Mali, dans le quartier de Bolibana afin de parler d’excision à cœur ouvert.
MUSOW
« Musow », le titre du documentaire, signifie « femmes » en Bambara, le dialecte du peuple mandingue de l’Afrique de l’Ouest sahélienne. Le documentaire d’une heure et quart tourné et réalisé par Capucine Girard parle d’une question qui concerne les femmes avec des femmes et des hommes : celle de l’excision, « Bolokoli ». Celle qui a été surnommée Nana Tamega-Keita, qui propose à ses sœurs africaines de lancer un dialogue autour de cette pratique ancestrale, leur a offert un terrain d’expression pour parler de préjugés, de croyances, de culture sans aucun jugement. Au Mali, l’excision est une initiation appelée « l’épreuve du fer » et ce marquage corporel signe la particularité d’un peuple béni de Dieu selon la mythologie des peuples Dogons.
Ce documentaire a la particularité de nous offrir un nouvel angle de vue sur ce rite ancestral : celui de Maliens et Maliennes qui ne comprennent pas pourquoi les Occidentaux défendent une cause qui ne leur appartient pas. « Les gens de l’Europe qui veulent lutter contre l’excision ont tort. Ils ont tort de lutter contre l’excision, parce que… avant de lutter contre l’excision, il faut qu’ils viennent ici et nous demander notre avis, à nous les filles qui sommes excisées. ». Axée autour de cette incompréhension ambiante, cette heure de film sans filtres étire notre réflexion sur l’excision et sur la complexité de sa résolution.
BOLOKOLI
« L’excision, ça fait partie de la vie, c’est bon », une des premières phrases du film plante le décor. Normalement, parler d’excision, c’est parler de souffrance, de pleurs, de sang, d’emprisonnement, de chaînes, d’asservissement – pour la première fois, on se retrouve devant des gens qui prônent cette pratique car « c’est normal, c’est les coutumes ». Certaines femmes rappellent que la loi passée au Mali rendant illégale l’excision n’a fait que les éloigner de l’environnement propre et sain des hôpitaux sans pour autant baisser le nombre de pratiques. Mais alors, qu’est ce qui peut bien pousser des femmes à vouloir se faire exciser ? Pourquoi être prête à se mutiler, à endurer tant de souffrances ?
Pudeur et fierté
« Je suis fière d’être excisée parce que ça me donne la force d’être tranquille, d’être moi-même et de pouvoir me maîtriser. Une fille non excisée, elle ne peut pas se maîtriser, quand elle voit un homme, c’est plus fort qu’elle », « Une fille qui n’est pas excisée n’a pas de limites avec les garçons. La femme doit se maitriser, il ne faut pas avoir tellement de sentiments… ». C’est donc cela : l’excision représente le passage de la petite fille à l’âge adulte, la puberté et l’adolescence qui sont liées au désir sexuel se doivent d’être réfrénées. « L’excision, c’est au cœur du Sûtra », se cacher, vivre dans la pudeur et l’humilité de soi, de son corps et de ses actes.
Le Sûtra va de pair avec le principe de tabou, ce tabou qui n’est autre « qu’une vérité qui ne doit pas se dire. Une vérité avec le respect ». Dans ce documentaire que l’on pourrait qualifier de brut, certains expliquent qu’une fille qui commence à faire l’amour ne peut plus se contrôler, qu’elle court après chaque homme et va même jusqu’à quitter sa famille ! D’autres sont conscients du danger qu’occasionne cette pratique mais ne changent pas leur avis sur la question pour autant. « L’excision c’est bon mais c’est dangereux. Certaines perdent beaucoup de sang, certaines en meurent » – plus tard, une des femmes argumentera sur la relation entre la souffrance, la fatigue et le bonheur. Elle explique qu’il n’est pas possible d’être heureux sans être fatigué, que la souffrance fait partie de la vie voire de la culture africaine. Un autre parle de l’intérêt trouvé dans la souffrance, de la leçon qu’elle donne et de sa provenance divine.

L’obligation de ressentir de la douleur pour atteindre le bonheur fait de tout rite ancestral physique presque une consécration ultime. Lorsqu’en Occident, on veut décupler ou provoquer le désir sexuel, de nombreuses femmes africaines n’ont qu’une envie : le réprimer. Un des objectifs étant d’éviter de voir son nom se faire « gâter » par un homme. La pression sociale et les liens forts qui existent dans la communauté font que les réputations restent et que la considération des autres par rapport à l’individu est extrêmement importante, voire vitale. Paradoxalement, certains avoueront timidement que l’excision ne diminue pas tant que cela l’envie et que la sexualité aussi finalement fait partie de la vie. La reporter a alors sagement cité le psychiatre Pierre Strelieski : « J’invente pour la circonstance un nouveau proverbe : quand vous êtes dans une impasse, suivez-la précieusement ». Ne serait-ce donc pas une coutume à court d’arguments ?
« Vous n’êtes pas fous ! C’est le gouvernement et les images qui vont vous rendre fous. On vous montre des images qui ne sont pas vraies, qui ne sont pas la réalité et vous, vous garderez ça dans votre mémoire. »
Etrangers
Lors du documentaire, certains s’expriment par rapport à leur vision de l’homme et de la femme occidentaux : une femme qui ne sait pas maîtriser son désir sexuel « La femme occidentale ne sait pas se maîtriser. Je le vois bien dans les films, à la TV et tout. Les femmes européennes provoquent l’homme et c’est parce qu’elle n’est pas excisée ! », des membres de la famille bien trop éloignés les uns des autres « Vous et nous on est nés avec le sentiment. Et vous, vous vous débarrassez de votre enfant dès qu’il a une semaine. Vous vous ne connaissez pas le sentiment, nous on connaît le sentiment. (En montrant sa poitrine) Nous, notre enfant dort ici, il passe la nuit à téter. Chez vous, votre enfant va dans sa chambre ! Il n’y a pas de sentiment.», une société qui induit en erreur et floute le jugement « Vous n’êtes pas fous ! C’est le gouvernement et les images qui vont vous rendre fous. On vous montre des images qui ne sont pas vraies, qui ne sont pas la réalité et vous, vous garderez ça dans votre mémoire. »

Fascination
Pour la première fois, face à ces images, on se retrouve face à une réalité bouleversante. Celle où en Europe, des milliers de militants se battent pour vaincre une excision meurtrière et qui mutile et d’un autre côté, celle où la plupart des principales concernées vivent l’excision comme une manière de s’appartenir. Si les croyances sont ancrées et que la culture façonne les communautés, elles continuent de faire souffrir des milliers de petites filles chaque année. Les lois ne peuvent pas empêcher de telles actions, seuls le dialogue, l’explication, la prévention et l’éducation peuvent avoir une quelconque portée positive.
Tout au long du documentaire, Capucine Girard questionne des convaincu(e)s ; elle prend le temps de poser des questions, de ne pas juger mais simplement d’écouter. Elle répond également aux interrogations de certaines personnes sur la culture européenne qui leur semble indécente. Lorsqu’on enlève le filtre des médias et de la distance, on comprend ce qui se passe, on comprend les raisons de ces rites et ce n’est que par cette précieuse compréhension qu’il sera possible de faire avancer les choses. La liberté de continuer ou d’arrêter ces pratiques leur appartient, les Occidentaux n’ont pas à porter un jugement sur ce qui est bon ou mauvais. Au contraire, tout l’intérêt et la morale du documentaire portent sur le dialogue, le questionnement, l’ouverture d’esprit et la compréhension. Capucine Girard nous offre sur un plateau la capacité de penser différemment, de se rendre compte des réalités, de nous poser les bonnes questions et surtout d’aborder la problématique de l’excision sous un autre angle : tout cela sans ajouter un mot à son documentaire construit d’interrogations plus pertinentes les unes que les autres.

Pour commander notre Manifeste, cliquez sur l’image !