Par 15 mètres de fond, elles exposent leur minérale intimité à la curiosité des plongeurs : dans les volutes sous-marines aux airs crépusculaires de la baie de Las Coloradas, 300 statues de béton posées sur un banc de sable invitent à la réflexion sur les vices et dérives de l’humanité.
Hype nautique
Il s’agit de la troisième installation sous-marine de l’artiste britannique Jason deCaires Taylor. Après un franc succès au large de l’île de Grenade en 2006 – sa première exposition, financée avec la vente de sa maison – puis à Cancún en 2009, l’artiste a jeté son dévolu sur l’île de Lanzarote, dans les Canaries, où la valorisation de l’environnement naturel est un mot d’ordre historique.

Intitulé « Museo Atlántico », l’installation propose aux visiteurs (équipés de masques, de bouteilles ou de tubas, ou encore embarqués à bord de bateaux à fond transparent) une visite multi-sensorielle. L’expérience, en effet, est incomparable avec la visite d’un musée classique : la lumière filtrée du soleil, le mouvement des vagues, la poésie des corps en flottement et le silence des profondeurs rendent l’instant solennel et grisant.
Sujets de fond
Après avoir exercé plusieurs activités (de graffiti artist à moniteur de plongée), le britannique a eu en 2006 l’idée singulière d’immerger des œuvres dans la mer, pour proposer un nouvel angle de découverte, où l’environnement fait autant partie de l’œuvre que la sculpture elle-même. Avec cette troisième exposition, son objectif est de « favoriser une meilleure compréhension de l’environnement marin si précieux qui nous entoure et dont nous dépendons tant ».


En utilisant la vulnérabilité de l’environnement comme écrin et point de départ, deCaires Taylor amène d’autres dérives regrettables de l’humanité : ses moulages en béton évoquent les crises migratoires, la futilité de l’existence digitale ou encore les ravages du panurgisme. Si les sujets sont attendus et consensuels, le traitement est novateur. L’artiste, quant à lui, y voit l’occasion d’utiliser sa visibilité pour interpeller : « plus j’ai de notoriété, plus j’ai de latitude pour aborder des sujets qui fâchent », explique-t-il dans un entretien avec Télérama.
Que ce soient des scènes de la vie quotidienne (une joggeuse regardant sa montre, un couple sans tête prenant un selfie) ou des mises en scènes évocatrices (comme le Radeau de Lampedusa, représentation de la crise migratoire inspirée du tableau de Géricault), les gestes soudain figés dans le béton sont saisissants, rendus dramatiques par le contexte. A contempler ces statues, impossible de ne pas penser aux corps, statufiés en plein quotidien, des victimes de l’éruption du Vésuve, à Pompéi.


Seconde vie
En utilisant un béton au pH neutre, deCaires Taylor souhaite avoir un impact minimal sur l’écosystème marin. Parce que son message est aussi la protection de la planète, l’artiste conçoit ses installations comme éphémères pour l’homme, mais éternelles pour les habitants des mers : conçues pour accueillir la vie sauvages (poissons, algues et coraux), les statues se transforment au bout de quelques mois en récif marin : « les éponges ou les madrépores qui se fixent sur mes statues leur font comme un réseau sanguin, des cheveux, une chair, leur insufflent une vie qu’elles n’auraient jamais eue ailleurs », professe le sculpteur.

Au vu de sa notoriété croissante (plusieurs milliers de visiteurs palmés ont défilé parmi les sculptures de sa précédente installation, au Mexique) et de la délicatesse des fonds marins sur lesquels il vient poser des tonnes de béton, on peut pourtant s’interroger sur les risques pour l’écosystème qu’importent le Museo Atlántico. Espérons que les autorités de l’île, soucieuses d’éviter les « débordements » balnéaires constatés sur les autres îles de l’archipel, sauront préserver la baie de Las Coloradas ; passé cet été, elle retournera à l’état sauvage, augmentée de quelques récifs aux formes étrangement humaines.

Pour commander notre Manifeste, cliquez sur l’image !