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Monsanto : il faut sauver le soldat Roundup

Lettres de menaces, vrais-faux journalistes, études commandées… La maison-mère du glyphosate ne recule devant rien pour empêcher l’interdiction de son produit phare, déclaré pour la première fois « cancérigène probable » par un organisme international de renom en 2015. Le pavé dans la mare de glyphosate Si vous lisez nos lignes, le mot « glyphosate » doit vous être […]

Lettres de menaces, vrais-faux journalistes, études commandées… La maison-mère du glyphosate ne recule devant rien pour empêcher l’interdiction de son produit phare, déclaré pour la première fois « cancérigène probable » par un organisme international de renom en 2015.

Le pavé dans la mare de glyphosate

Si vous lisez nos lignes, le mot « glyphosate » doit vous être familier. Ce produit chimique, conçu par le géant de l’agro-alimentaire Monsanto (qui produit et vend des pesticides et des semailles) et utilisé dans son désherbant célèbre, le Roundup, est aujourd’hui un des pesticides les plus employés. Sous des noms divers – le brevet est passé dans le domaine public en 2000 – la substance est vendue dans 130 pays, à hauteur de 825 000 tonnes par an ; son succès est notamment dû à sa synergie avec les semences « Roundup ready » commercialisées par Monsanto : des plantes qui, du fait de modifications génétiques, résistent au « désherbant total ».

Malgré des inquiétudes de longue date à l’endroit de ce produit chimique (une étude italienne avait soulevé la question dès 1997), sa commercialisation n’a jamais été mise en danger – jusqu’à ces dernières années. Dans un rapport qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde agro-alimentaire, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a annoncé, le 20 mars 2015, qu’à l’aune d’un récent travail d’analyse des publications scientifiques sur le sujet, il jugeait le glyphosate génotoxique, cancérogène pour l’animal et « cancérogène probable » pour l’homme.

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La guerre est déclarée

Pour le CIRC, une institution semi-indépendante liée à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la publication de la « monographie 112 » sur le glyphosate est le début d’une longue bataille qui fait encore rage aujourd’hui. Car la riposte de Monsanto ne se fait pas attendre longtemps : dans un communiqué du 23 mars, l’entreprise américaine condamne la « science poubelle » du CIRC et met violemment en doute ses méthodes et ses motivations : « cette qualification se fonde sur des données incomplètes, étudiées en quelques heures lors d’une réunion d’une semaine ».

Mais le groupe ne s’arrête pas là : via son cabinet d’avocat, Hollingsworth, il intime les scientifiques impliqués dans le rapport du CIRC de livrer l’intégralité de leurs documents de travail (jusqu’aux brouillons et aux commentaires). La lettre est accompagnée d’une menace à peine voilée : « si vous refusez, avertissent les avocats, nous vous demandons (…) de préserver tous ces fichiers intacts en attendant une requête formelle ordonnée par un tribunal américain » ; en effet, les lois pour la liberté d’information (FOIA) des Etats-Unis permettent à tout citoyen de demander à consulter les documents émanant d’organismes publics.

En sous-marin, Monsanto enclenche également une vaste opération de diffamation à l’encontre du CIRC. Bien plus informée sur le glyphosate qu’elle ne veut le laisser paraître (elle s’inquiète du potentiel mutagène du produit depuis 1999), la firme manœuvre pour redorer le blason de son désherbant fétiche : d’abord de manière affichée, en sponsorisant six articles de la revue scientifique Critical Reviews in Toxicology (septembre 2016) qui blanchissent la substance ; ensuite, depuis les ombres, en dépêchant un « étrange M. Watts » dans les conférences scientifiques pour collecter des informations sur l’indépendance des instituts condamnant le glyphosate (le CIRC en premier lieu, puis l’Institut Ramazzini).

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Tensions croissantes

Selon l’enquête rigoureuse menée par Le Monde sur le sujet, l’emballement récent à propos du glyphosate (plus de deux ans après la décision du CIRC) n’est pas sans rapport avec l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump. Le président nouvellement élu aime en effet s’entourer de climatosceptiques et lobbyistes avérés, comme Nancy Beck, responsable de l’American Chemistry Council (lobby américain de la chimie), nommée directrice adjointe du service chargé de la réglementation des produits chimiques. Ce même lobby a lancé en début d’année sur Internet une campagne pour obtenir une « refonte du programme des monographies du CIRC ».

Le sujet est d’autant plus urgent pour Monsanto que le glyphosate est actuellement examiné par la Commission européenne en vue de l’autoriser – ou non – à nouveau pour les dix ans à venir. En effet, l’Agence européenne des produits chimiques (EFSA) ne considère pas le produit comme cancérigène, mais la décision du CIRC a suffi à jeter le doute dans les rangs de la Commission. Dans le même mouvement, un groupe d’eurodéputés écologistes a saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour obtenir la publication des travaux de l’EFSA :

« l’agence européenne ne nous a fourni qu’un accès partiel à ces études, omettant des informations clés, comme la méthodologie ou les conditions d’expérimentation. Or, sans cela, il est impossible pour des experts indépendants de vérifier la validité des conclusions », a déclaré Michèle Rivasi (EELV).

La divergence d’avis entre l’agence européenne et le CIRC s’explique par une différence de méthode : tandis que la première s’appuie en grande partie sur des études industrielles (confidentielles, parfois anonymes), le deuxième ne se réfère qu’à des publications scientifiques accessibles par tous. Pour Monsanto, les méthodes de l’EFSA sont bien plus rigoureuses et complètes ; pour les détracteurs du glyphosate, l’opacité des sources de l’EFSA est un risque de conflit d’intérêts.

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Multinationale aux abois

Enfin, l’entreprise américaine pourrait avoir accéléré son offensive contre le CIRC du fait de l’ampleur que sont en train de prendre les « Monsanto papers ». Cette série de documents est actuellement publiée au compte-goutte par la justice fédérale américaine dans le cadre d’une action intentée contre Monsanto par des centaines d’agriculteurs malades d’un cancer du sang. Alors qu’ils ont déjà prouvé les efforts de la firme pour faire autoriser le Roundup en Europe en 1999, ces documents ont également esquissé le plan de riposte qu’elle a élaboré contre le CIRC en 2015, à grand renfort de « scientifiques crédibles ». Attaquée aussi sur ce front (les dommages et intérêts pourraient se chiffrer en milliards), la multinationale est poussée dans ses retranchements.

Tant et si bien qu’elle en est réduite, par des voies détournées, aux attaques ad hominem à l’endroit des scientifiques du CIRC. Le lien direct avec Monsanto est difficile à prouver, mais comment ne pas s’interroger quand Reuters publie deux articles critiques des méthodes du CIRC (le premier s’insurgeant en termes fleuris de la classification de la viande rouge comme « cancérigène probable », le deuxième rendant Aaron Blair, le directeur du panel d’étude du CIRC, coupable de rétention d’information), que ces articles citent abondamment et presque exclusivement des scientifiques ayant travaillé pour Monsanto, et que d’autres médias mettent en cause la rigueur de ses enquêteurs ?

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Antoine Puig

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