Dans un rapport complet publié aujourd’hui, le Fonds mondial pour la nature (WWF) s’alarme de la pratique du braconnage et de la déforestation illégale sur les sites classés au patrimoine de l’humanité, ultime bastion d’une biodiversité déclinante à l’échelle mondiale. Afin d’accroître la protection de ces sites, les auteurs du rapport recommandent de surveiller le trafic illégal comme un ensemble, depuis la source jusqu’aux consommateurs.
Des réserves en danger
« Pas à vendre », c’est ainsi que s’intitule le dernier rapport publié par le Fonds mondial pour la nature. Avec force détails, il dresse un constat alarmant : près de 50 % des sites naturels classés au patrimoine de l’humanité par l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) sont menacés par le braconnage et la déforestation illégale à des fins de trafic. Sur terre, sur mer ou dans le ciel, aucune espèce animale et végétale n’est, paradoxalement, à l’abri dans ces zones protégées. Attirés par les profits potentiels sur le marché noir, les braconniers s’attaquent, au mépris des lois et des efforts des rangers (plus de 1000 d’entre eux ont perdu la vie pour défendre la nature dans les 10 dernières années), aux espèces animales en voie de disparition (rhinocéros, éléphants, tigres), mais également aux bois rares (le bois de rose à Madagascar, par exemple). A l’échelle mondiale, le commerce illégal d’espèces sauvages pèse près de 20 milliards d’euros, se rangeant à la quatrième place des trafics derrière la drogue, la contrefaçon et le trafic d’êtres humains – un niveau record sur les 50 dernières années, indique le WWF.
Il est donc important de considérer le trafic comme un ensemble : ainsi, le tigre de Sumatra, célèbre pour son patrimoine génétique unique, est chassé dans sa dernière réserve d’Indonésie (où vivent les quelques centaines d’individus restants) pour les propriétés esthétiques et médicinales supposées de ses os et de sa peau, que l’on retrouve en vente sur les marchés d’Asie (Chine, Corée, Malaisie), mais aussi sur Internet. En 2006, indique le rapport, 23 tigres ont été abattus par les braconniers, soit déjà 5 % de la population mondiale.

La déforestation et la pêche illégale ne sont pas en reste : 90 % de la déforestation des forêts tropicales est illégale, selon le rapport. Pire encore, celle-ci met en danger par effet de ricochet d’autres espèces sauvages : avec la disparition de leur habitat naturel qu’est la forêt, certaines espèces comme les lémuriens ne peuvent survivre. En cascade, la chasse inconsidérée d’une espèce menace des écosystèmes entiers ; par exemple, le rapport souligne que la santé des récifs de corail est étroitement liée à la population de requins.
L’importance de la sauvegarde des espèces
Prenons de la distance ; entre 1970 et 2012, les populations sauvages sur Terre ont diminué de 60% en moyenne, tandis que disparaissent chaque année entre 200 et 100 000 espèces sauvages (une estimation très difficile, pour la bonne raison que nous ne connaissons pas l’ensemble des espèces présentes sur la planète). La crise de la biodiversité n’est plus à prouver, rendant crucial le rôle des parcs naturels.
« 90 % de la déforestation des forêts tropicales est illégale, selon le rapport. Pire encore, celle-ci met en danger par effet de ricochet d’autres espèces sauvages »
En effet, ceux-ci ont une double vertu ; tout d’abord, ils sont une manne économique et scientifique pour l’humanité. Comme le souligne le WWF, « ils génèrent un revenu pour les pays qui les accueillent, et les communautés locales bénéficient de l’emploi, des investissements dans les infrastructures et des retombées économiques ». Par exemple, plus de 50% de la population du Belize (Amérique Latine) vit du tourisme ou de la pêche dans la mer des Caraïbes dont le littoral est protégé. Dans un autre rapport, le WWF souligne également l’importance des sites protégés dans l’élaboration de médecines locales et des produits pharmaceutiques : en tant que réservoirs de biodiversité, ils sont un lieu de choix pour la recherche de « nouveau matériel génétique ».

Soulignons ensuite que l’existence de réserves naturelles est une source de bien-être inépuisable pour l’humanité : sans les steppes infinies d’Afrique, les montagnes luxuriantes d’Asie et l’eau turquoise des littoraux d’Amérique latine, où irions-nous pour nous ressourcer ? Protéger la diversité de la planète est pour l’humanité une nécessité autant qu’un devoir, car sa richesse est notre force. Là est enfin l’essentiel : bien que ce ne soit pas évident à l’œil nu, l’existence de l’humanité est intimement liée à la diversité de la biosphère ; nous ne pouvons continuer à laisser tant de nature disparaître sans risquer notre extinction en tant qu’espèce. Comme le résume parfaitement le biologiste américain Jared Diamond : « les espèces sont liées les unes aux autres, comme si elles étaient alignées dans des séries de dominos (…) l’extermination d’une espèce donnée peut conduire à la perte d’autres espèces, qui, à leur tour, peuvent en entraîner d’autres dans l’abîme ».
Comment faire ?
Pour mettre un terme à cette hémorragie planétaire, le WWF recommande une action mieux intégrée des deux acteurs principaux de lutte contre le commerce illégal : si la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) et l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN) joignent leurs efforts, elles peuvent « couvrir toute la chaîne de valeur, depuis le site dans les pays sources jusqu’aux pays consommateurs en passant par les routes commerciales ». Plus prosaïquement, une implication accrue des populations locales, qui ont tout à bénéficier d’un écosystème sain et protégé pour le tourisme de nature, ainsi qu’une meilleure sensibilisation et éducation dans les pays consommateurs (au centre du viseur, la Chine) pourrait éviter de nouvelles catastrophes écologiques comme la disparition récente des rhinocéros blancs en République démocratique du Congo.
Sources : The Guardian / Panda / WWF / Rapport WWF 2017
Jared Diamond – Le troisième chimpanzé, essai sur l’évolution et l’avenir de l’animal humain

Pour commander notre nouveau Livre-Journal, cliquez sur l’image !