Les populations d’insectes s’effondrent dans l’indifférence générale. Une preuve supplémentaire vient de nous en être donnée, au Royaume-Uni, par le Kent Wildlife Trust et Buglife, dans une étude participative. Le résultat est morbide. En 17 ans, les insectes volants du Royaume-Uni ont décliné « de 56,2 à 60,8 % » : une menace gravement sous-estimée par l’humanité.
Pour dénombrer les insectes et évaluer l’ampleur des pertes sur le temps long – une tâche extrêmement complexe –, les scientifiques de ces deux fondations environnementales britanniques ont créé un protocole de science participative assez innovant.
Via une application baptisée « Bugs Matter », des milliers d’automobilistes bénévoles ont reçu un cadre transparent à fixer sur la plaque d’immatriculation avant de leur véhicule. Ils ont ensuite effectué un voyage dont les caractéristiques – durée, trajet, météo, vitesse, etc. – étaient directement enregistrées par l’application.
Une fois arrivés, les bénévoles ont pris en photo leur « éclaboussomètre », et le nombre d’insectes qui s’y étaient écrasés a été comparé avec celui des années précédentes.
L’expérience a été menée en juin 2004 sur tout le territoire britannique (14 466 voyages), entre juin et août 2019 dans le comté du Kent (599 voyages) et entre les mêmes mois de l’année 2021, à nouveau dans l’ensemble du Royaume-Uni (3 348 voyages).
Les variables résultant des conditions météo, de l’environnement, du type des véhicules ou des distances parcourues ont été intégrées aux modèles d’estimations dans le but de minimiser, autant que possible, les biais méthodologiques.
Ceci étant posé, les résultats de l’étude sont plus qu’alarmants : en 2004, chaque voiture percutait en moyenne 0,238 insecte par mile– soit environ 0,15 insecte par kilomètre –, contre 0,098 en 2019 et 0,104 en 2021.
En l’espace de 17 ans, les insectes volants du Royaume-Uni auraient donc connu une chute « de 56,2 à 60,8 % » de leurs populations.
Bien que ces résultats possèdent une valeur expérimentale limitée – le recensement n’a été réalisé que sur trois ans, qui plus est via un programme bénévole –, les scientifiques britanniques estiment qu’ils corroborent la thèse d’un effondrement général, observé dans la plupart des pays d’Europe.
En 2017, le magazine PLOS ONE publiait par exemple une étude suggérant que plus de 75 % des insectes volants, en Allemagne, avaient disparu au cours des trente années précédentes – un constat étayé par une nouvelle expérimentation, en 2019.
D’autres études affirment que les populations d’insectes déclinent de 1 à 2 % par an, que 40 % des espèces d’invertébrés risquent de s’éteindre au cours des prochaines décennies et que si rien n’est entrepris d’ici là, la totalité des insectes pourrait avoir disparu dans 100 ans.
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L’effondrement de la biodiversité n’est pas un fantasme apocalyptique ou millénariste. Il se déroule sous nos yeux, en ce moment. Tous les indicateurs le prouvent.
Qu’adviendra-t-il si les insectes viennent à s’éteindre ? Personne ne le sait réellement. Tout ce que l’on peut dire, c’est que leurs prédateurs, en particulier les oiseaux, disparaîtront en masse avec eux, et que l’homme perdra 30 % de ses récoltes alimentaires – légumes, fruits, cacao, toutes les plantes dont les invertébrés se nourrissent et qu’ils participent à féconder.
Comment agir ? En plaçant des refuges à insectes dans nos jardins, bien sûr. Mais l’action individuelle ne suffit pas : c’est d’une prise de conscience internationale et de plans nationaux massifs que nous avons besoin. Sans quoi le monde ne sera plus qu’un désert.
Crédit photo couv : Trajet de Las Vegas au Grand Canyon – Glenn Simmons