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« Moi je courtise la terre, c’est à dire que j’attends qu’elle se laisse faire »

Des mots criés en catalan, d’une voix grave pour les boeufs et d’une voix aiguë pour les chèvres qui font teinter leurs cloches. Dans la maison, le frémissement de deux ou trois plats sur le piano de la cuisine, avec en arrière fond un concerto qui sort des enceintes, en attendant que l’autre piano, celui […]

Des mots criés en catalan, d’une voix grave pour les boeufs et d’une voix aiguë pour les chèvres qui font teinter leurs cloches. Dans la maison, le frémissement de deux ou trois plats sur le piano de la cuisine, avec en arrière fond un concerto qui sort des enceintes, en attendant que l’autre piano, celui du salon, se fasse entendre après le repas.

Voilà les sons de Méras, une ferme dans les Pyrénées ariégeoises. Trente hectares tenus par Olivier, qui parle français, catalan, occitan. Vingt-six fractures, et des dizaines de personnages dans la tête. Olivier fait partie de ces hommes qui impressionnent tout le monde et intimident certains. Ceux qui n’iront pas voir derrière sa rudesse, qui n’est que le reflet de son exigence d’appliquer son éthique de vie dans les moindres recoins.

L’éthique d’Olivier, c’est de faire vivre une ferme sans tracteur, en respectant un rythme qui lui convient. À Méras, on n’entend aucun bruit de machine agricole. Tout se fait avec les animaux. Boeufs et mules pour monter le fumier, tirer l’eau, ramener le bois, labourer. Ce mode de vie était une évidence pour Olivier. Mais face à la méfiance du monde, elle devient une résistance au bruit, à la vitesse, à la nécessité de produire.

Le soir de mon arrivée, en préparant un choux à la sauce chaude froide et des joues de boeufs, Olivier me parle de ce qu’il est, un paysan.

Un courtisan agricole

Dans les salons d’agriculture, Olivier ne s’annonce pas comme exploitant agricole mais comme courtisan agricole. Il s’inscrit dans une éthique de vie paysanne, où le paysan passe un contrat avec la terre : si je te prends beaucoup je te donne beaucoup.

“Un paysan c’est quelqu’un qui, quand il plante un arbre, sait très bien que ce n’est pas pour lui qu’il le plante mais pour ses enfants ou ses petits-enfants. Aujourd’hui il y a plus d’exploitants agricoles que de paysans. Exploiter ça veut dire baiser la gueule à . On exploite une mine, on exploite des filles sur le trottoir. Moi je courtise la terre, c’est à dire que j’attends qu’elle se laisse faire.”

Olivier n‘a pourtant rien d’un hermite isolé dans sa petite ferme, ignorant les évolutions du monde extérieur. Cet homme qui parle cinq langues a bourlingué dans toute l’Europe comme expert, jury de concours, spécialiste des races rares. Il a travaillé dans le cinéma, fréquentant Alain Delon, Gérard Depardieu, Christian Clavier, Fabrice Luchini, pour des films comme Les Visiteurs, Cyrano de Bergerac, Le retour de Casanova. Comme quoi s’isoler pour faire à sa manière n’empêche pas de participer pleinement au monde contemporain.

aolivier

La loi de la résonance

Plusieurs fois, Méras fut menacée d’être vendue. Mais à chaque fois, l’aide est venue. Pour Olivier, c’est la loi de la résonance.

“Tu attires ce que tu es. Si tu tires droit et que ta façon est pure, les gens vont t’aider.”

Méras fut sauvé, et Méras sauva beaucoup. Cette ferme est un peu ce que la Baie de Somme est aux oiseaux migrateurs qui viennent se refaire un plumage, reposer leurs ailes blesseées, réapprendre à voler. Ils sont restés cinq, huit et treize ans. Ils étaient venus pour quelques jours. Des stagiaires venus au départ apprendre la traction animale, mais qui ont appris bien plus. Car Méras est avant tout une école de vie où chacun trouve une place, de l’écoute pour ceux qui ont besoin de parler, du silence pour ceux qui ont besoin de se taire. Ici on apprend à écouter ses émotions, auxquelles les animaux sont si sensibles. Et à parler le “doux langage”, comme dit Olivier. En respectant les animaux, on retrouve le respect de l’humain et de soi-même. Jusqu’à atteindre une harmonie entre ce à quoi on aspire et ce qu’on accomplit chaque jour dans son quotidien.

Et pour enseigner, Olivier a une méthode bien particulière : mettre l’élève face à la difficulté, sans préparation. C’est ainsi que dès mon arrivée, Olivier me demande d’aller chercher les vaches qui se sont aventurées de l’autre côté de la route. Il ne me demande pas si je m’en sens capable.

“Abreuver les gens de notions théoriques, c’est de la connerie en bouteille. Il y a 10% qui reste. Quand tu es face à la situation, parce que ça n’a pas marché, tu es preneur de l’enseignement. C’est là que la graine est semée dans de la terre chaude et humide”.

L’harmonie d’un paysan musicien

Si Olivier ne supporte par les tracteurs, c’est d’abord à cause de son oreille. S’il aime les boeufs, c’est parce qu’avec eux, il se sent “au bon tempo”. À Méras, musique, écriture, poésie et travail de la terre sont intimement liés. La musique n’est pas un divertissement réservé à une élite qui a le temps. L’harmonie avec les animaux, la terre, et la musique, est la même. La musique, c’est encore un autre langage à maîtriser, et un autre rapport au temps.

Que l’on cherche à être paysan ou non, passer du temps avec Olivier nous réconcilie avec l’idée qu’il est possible d’habiter entièrement son environnement, en y appliquant son éthique de vie dans les moindres recoins. Car Olivier habite entièrement sa ferme, à chaque minute il applique ses valeurs : exigence, simplicité, de faire avec ce qu’on a, ingéniosité, constance, opiniâtreté, générosité. Au-delà de la traction animale, Olivier transmet une envie, celle de trouver sa manière à soi de vivre en harmonie avec ses valeurs, sans compromis.

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Sarah Roubato

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