Publiée par The Guardian sur les réseaux sociaux, la vidéo sur le compte parodique Instagram « Barbie Savior » met en lumière le « complexe du sauveur blanc » et questionne les impacts négatifs que peuvent avoir une aide humanitaire transformée en « volontourisme ».
Mission humanitaire ou volontourisme ?
Les missions humanitaires à l’étranger ont le vent en poupe. 1,6 millions de personnes font des voyages humanitaires chaque année pour des dépenses de 2 milliards de dollars au total ! Face à une demande croissante, de plus en plus d’agences spécialisées mettent à disposition des bonnes âmes des « packs voyages humanitaires ». Le compte Instagram « Barbie Savior » parodie avec cynisme ce phénomène, à travers l’illustration d’un voyage humanitaire imaginaire de Barbie.
Créé en 2016 par deux amies ayant travaillé dans des ONG, le compte veut faire prendre conscience de l’attitude colonialiste que peuvent avoir, à leur insu, certains occidentaux en mission humanitaire. En se positionnant comme « sauveurs » face aux populations africaines « en péril », ils véhiculent sur les réseaux sociaux les stéréotypes qu’ils essaient de combattre.
Difficile de présenter les problématiques complexes que tentent de résoudre les ONG sur le terrain en un post Instagram ou Facebook. Le partage de leurs expériences humanitaires part souvent d’une bonne intention, notamment le but de faire prendre conscience au grand public des difficultés d’un pays. Pourtant, mal informés et formés, de nombreux bénévoles et voyageurs finissent par publier du contenu qui présente les populations locales comme passives, impuissantes et pitoyables. Certains abusent ainsi du #Africa pour désigner le pays dans lequel ils se trouvent, oubliant par là que l’Afrique est un continent comprenant 54 pays…
Les célébrités faisant acte de charité tombent elles aussi dans le panneau. En 2017, Radi-Aid a décerné le prix de la campagne de charité la plus offensive à la vidéo d’Ed Sheeran rencontrant un orphelin sans domicile. La vidéo, centrée autour du chanteur, le montre en train d’offrir un hébergement au jeune garçon, mais ne fait aucune mention des problématiques du pays qu’il faut traiter pour empêcher ce genre de situations. Le français Jérôme Jarre, lui, a été remis en cause sur l’image naïve qu’il peut véhiculer sur les enfants somaliens. Il a appris au fil du temps à améliorer son discours pour mieux relayer l’action des ONG et les enjeux de la crise en Somalie.
Réfléchir à son impact
Face à ce constat, Barbie Savior et SAIH Norway, une ONG d’étudiants et d’académiques Norvégienne, ont créé un guide pour apprendre aux volontaires à bien communiquer sur les réseaux sociaux. Ils dressent ainsi plusieurs principes à respecter :
- Promouvoir la dignité des populations et ne pas faire de misérabilisme
- Demander la permission aux personnes prises en photo avant toute publication
- Questionner et remettre en cause ses intentions
- Saisir l’opportunité de casser les stéréotypes
Questionner ses intentions devrait être le premier principe à appliquer pour chaque bénévole ou voyageur humanitaire. Avant de lancer un tel projet, il faut se demander pourquoi l’on veut participer à une mission humanitaire. Est-ce dans l’optique de faire une réelle différence dans la vie de personnes en difficulté ? Ou parce que les voyages humanitaires permettent de découvrir des régions isolées tout en étant protégé ? Si c’est la deuxième option, mieux vaut changer de projet. Une mission humanitaire n’est pas la clé d’une expérience de vie atypique. Elle doit être prise au sérieux.
L’enfer est pavé de bonnes intentions

En effet, partir en volontariat à l’étranger n’est pas toujours la meilleure façon d’aider les populations. Les ONG reçoivent de très nombreuses candidatures pour des missions à l’étranger de la part de personnes sans aucune compétence pratique, alors qu’elles peinent à recruter des bénévoles dans les pays d’origine pour aider aux campagnes de financement ou à la distribution de tracts.
Quand on sait qu’un voyage humanitaire peut coûter plusieurs milliers d’euros, billets d’avion inclus, on se demande si cette manne financière ne serait pas plus utile pour financer des projets concrets sur place.
L’ONG Tourism Concern souhaite promouvoir des pratiques de voyage humanitaire plus responsables, et que chaque personne s’engageant dans ces initiatives prenne du recul sur son impact réel.
« L’idée qu’à 20 ans on puisse arriver dans un pays complètement différent et montrer aux gens comment s’en sortir a quelque chose d’impérialiste. Ces expériences sont souvent une perte de temps, des vacances hors de prix. Les volontaires construisent des bâtiments qui doivent parfois être détruits et reconstruits de manière adéquate la nuit. L’Afrique ne manque pas de main-d’œuvre. En favorisant le travail gratuit, on prive certains locaux de leur emploi.» Mark Watson, directeur de Tourism Concern

Pire, certaines actions humanitaires répandues peuvent avoir un impact négatif très fort parmi les populations. En tête de liste, la « visite d’orphelinats ». Dans leur blog, les créatrices de Barbie Savior l’expliquent très bien.
« Les enfants à l’orphelinat ont subi l’un des pires traumatismes : la perte d’une famille. C’est une blessure qu’ils porteront avec eux tout au long de leur vie. Exposer encore plus ces enfants à l’abandon en permettant à des bénévoles d’aller et venir ne fera qu’agrandir cette blessure à cause de relations éphémères et malsaines. Parce que ces enfants n’ont pas besoin d’être pris dans le bras quelques instants, ils ont besoin d’une famille aimante et présente. »
L’engagement dans une action humanitaire doit donc se faire de façon réfléchie et mesurée, en essayant d’analyser le plus possible les différents impacts que cela peut avoir. Dans leur rapport « Les Limites de l’aide humanitaire », des chercheurs de l’Ecole de Lausanne montrent que l’aide humanitaire, si elle veut être efficace, doit répondre aux véritables besoins des victimes et favoriser une approche participative des populations, tout en valorisant les ressources locales avant d’importer des biens et denrées de l’extérieur. L’objectif d’une action humanitaire durable devrait être d’aider les populations locales à redevenir autonomes.
Cet article traite l’une des petites conséquences d’un énorme problème : les inégalités entre les pays du Nord et ceux du Sud. Les pays du Nord devraient d’abord balayer devant leur porte et essayer de traiter les crises par la racine… La meilleure façon d’aider un pays en difficulté étant de l’aider à résoudre les conflits politiques et géostratégiques qu’il subit.