Suite à l’assemblée générale du mardi 28 novembre, la décision a été prise de continuer la grève au centre hospitalier Guillaume Régnier, spécialisé en psychiatrie, à Rennes. Sous l’impulsion du syndicat Sud Santé Sociaux de l’hôpital, voilà quatre semaines que les grévistes se relaient nuit et jour sous la tente dressée devant l’accueil de l’établissement. Un mouvement social révélateur d’un secteur hospitalier en difficulté.
Des conditions de travail dégradées
En tête de leurs demandes : la création de 20 lits et 15 postes supplémentaires pour accueillir les patients dans des conditions décentes. Goulven Boulliou, représentant du personnel au Syndicat Sud du Centre Hospitalier Guillaume Régnier, nous raconte :
« Quand les gens viennent, ils doivent attendre sur des chaises pendant des heures qu’un lit se libère. Dans la nuit de mardi à mercredi, des patients ont dû être admis en chambre d’isolement alors qu’ils n’en avaient pas besoin. Certains patients qui sont sortis en permission ne retrouvent pas leur lit à leur retour. Cela génère de la tension chez les patients qui sont parfois violents sur le personnel soignant. »
Bleuaine (le nom a été modifié), infirmière, explique la frustration et la fatigue causées par ces conditions de travail dégradées :
« Nous avons un sentiment d’insécurité car on s’occupe mal des patients qui vont de moins en moins bien, et cela entraîne des difficultés, on n’est pas satisfaits des soins donnés ».
Grâce au barnum installé à l’entrée de l’hôpital, le personnel gréviste peut notamment échanger avec les familles des patients, qui vivent de plein fouet les restrictions budgétaires. Le syndicat Sud explique que certaines ont décidé de retirer leurs enfants du centre hospitalier face aux mauvaises conditions de travail des soignants.

Restrictions budgétaires : difficile de faire mieux avec moins
La direction, elle, assure mener depuis plusieurs années un plan d’action, sans toutefois pouvoir répondre à toutes les demandes des grévistes. Le directeur de l’établissement rennais, Bernard Garin, l’explique notamment par un contexte budgétaire extrêmement serré.
« Notre dotation annuelle de fonctionnement (DAF) est stable depuis trois-quatre ans alors que les charges de personnel augmentent. Et à cela s’ajoute le gel des crédits gouvernementaux. Le contexte budgétaire étant très dur, il faut adapter les offres de soin. Nous avons créé des centres thérapeutiques de jour dans certaines villes d’Ille-et-Villaine pour faciliter les soins en traitement ambulatoire. D’ailleurs, nos échanges avec les associations de proches de malades psychiques comme la FNAPSY ou l’UNAFAM nous indiquent que les malades et leurs proches préfèrent souvent des solutions ambulatoires comme des résidences d’accueil socio-médicales ou des habitats partagés. »
Concernant la gestion des lits, le Directeur explique avoir mis en place une cellule de régulation 24h/24 et 7j/7 avec la présence de cadres de santé spécialistes pour mieux gérer les flux de patients. Il a également négocié avec la CGT le renfort ponctuel d’une quinzaine d’agents entre novembre et décembre, grosse période d’activité hospitalière, notamment pour le pool de nuit afin d’empêcher que le personnel soit en sous-effectif. Cependant, difficile d’engager ces 15 postes sur une plus longue période, alors que l’établissement a dû passer les RTT de 20 à 15 jours en raison de manque de financements.

Hôpitaux psychiatriques, les mal-aimés de notre système de santé français
Des mouvements de grève semblables à celui de Rennes ont eu lieu ces derniers mois, notamment dans des hôpitaux psychiatriques d’Allonnes (Sarthe), Amiens (Somme), Bourges (Cher) et Cadillac (Gironde). La colère gronde dans nos hôpitaux psychiatriques, la détresse aussi, comme l’atteste cette lettre ouverte d’une infirmière qui a décidé de faire grève :
« Pour les collègues qui font grève de la faim, pour les collègues qui se suicident, pour les usagers qui n’en peuvent plus d’être trimballés tel des morceaux de barbaque que l’on déplace d’un frigo à l’autre, qu’on oublie dans un coin des urgences parce qu’il y en a trop, qui passent une nuit dans une chambre d’isolement parce qu’il n’y a plus de lit disponible, parce que cette dame a fait 8 unités d’hospitalisation en seulement 13 jours, parce que ce monsieur est décédé tout seul sur un brancard au fond des urgences, parce qu’un autre a attendu 8h sur une chaise pour avoir un foutu lit. Des exemples nous en avons des centaines. Hôpital de soins généraux, de psychiatrie, petits centres hospitaliers, cliniques, profession libérale ! »
Le député François Ruffin, suite à la visite du Centre Hospitalier Philippe Pinel spécialisé en psychiatrie, avait été particulièrement touché par le témoignage du personnel soignant :
« Oui, qu’on trouve un personnel soignant dévoué pour se consacrer aux plus faibles, pour se dévouer aux rejetés de la société, aux frères aux fils aux filles aux frères aux sœurs qui ne tiennent plus chez nous, c’est un miracle. Et c’est là, maintenant, que je veux dire ma colère : parce qu’il y a miracle, et ils ne le voient pas, et ils maltraitent le miracle. Ils le découragent. « Ils », c’est là-haut, les décideurs. »
Il a donc décidé de proposer une loi sur le financement de la psychiatrie qu’il décrit comme « du simple bon sens : que le budget des hôpitaux psychiatriques augmente comme les hôpitaux classiques. Alors que, pour l’instant, leur dotation est chaque année coupée. »
Mr Ruffin sur le projet de financement des hôpitaux psychiatriques
En effet, les hôpitaux dits « classiques » sont placés sous le régime de la T2A, la « tarification à l’activité » : un système qui comporte bien des problèmes, mais qui augmente quand même les crédits d’environ 2% par année. Les hôpitaux psychiatriques, en revanche, sont financés par une dotation annuelle de financement (DAF), décidée et délivrée par les Agences Régionales de Santé. Or, cette DAF ne suit pas du tout les +2% annuels. Au contraire, l’enveloppe tend plutôt à diminuer. Pour François Ruffin et son équipe :
« Tout fonctionne comme si, discrètement, sans le crier, les ARS procédaient à des économies sur le dos de la psychiatrie et des patients. »
Une aberration quand on sait que le nombre de patients est en hausse : +29% entre 2013 et 2016 selon la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques). Les urgences débordent : +36%. En revanche, les hospitalisations à temps plein chutent : -37%, et pas au profit de méthodes alternatives : le « placement familial thérapeutique » recule (-8%), tout comme l’accueil en appartement thérapeutique (-33%), tandis que l’accueil en centre post-cure stagne (0%).
Le 8 novembre 2016, plusieurs milliers d’infirmiers et d’aides-soignants avaient défilé pour dénoncer les cadences infernales et le manque de temps passé auprès de malades. Ils demandaient également une meilleure reconnaissance de leur travail. Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, avait mis en place « un plan pour prendre soin des soignants » pour améliorer les conditions de travail. Ce plan timide à l’approche de la fin de quinquennat avait reçu un accueil mitigé.
L’histoire se répète, puisqu’un an après la nouvelle ministre de la Santé Agnès Buzyn a elle aussi annoncé qu’elle allait « réfléchir à un plan psychiatrie » et organiser prochainement « un premier débat avec l’ensemble des représentants » du secteur. Espérons que la proposition de François Ruffin sera la mesure phare de ce plan…

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