Déjà peu apprécié des militants environnementaux pour son attitude pro-lobbies, le président brésilien Temer a ouvert plusieurs millions d’hectares de forêt amazonienne à l’exploitation minière par des compagnies privées. Une décision qui inquiète l’ONG environnementale WWF, ainsi que les populations indigènes dont la forêt est l’habitat traditionnel.
Une décision téméraire
4,7 millions d’hectares de forêt vierge : c’est la surface totale ouverte par décret à l’exploitation minière privée mardi dernier par le président Temer. Autrefois partie intégrante de la réserve naturelle de la Renca (Réserve nationale de cuivre et associés, ouverte en 1984 entre les États brésiliens de Para et d’Amapa), ce territoire était uniquement accessible aux entreprises publiques, et ne comptait que deux projets miniers et un de recherche. La raison invoquée par le chef de l’Etat est la croissance économique potentielle résultant de l’exploitation par des acteurs privés de ces vastes territoires indomptés.
De fait, seulement 31% de ce territoire est ouvert à l’exploitation, le reste restant couvert par d’autres statuts de protection, comme ceux de forêt d’État, parc national ou réserve biologique. Le décret l’indique avec précision : « le changement de statut ne remet pas en cause l’application de la loi concernant la protection de la flore et des territoires autochtones », mais il représente une première fracture dans le dispositif de protection de la forêt amazonienne face à l’avidité des lobbies agricoles et miniers.

Premières réactions
Selon l’antenne brésilienne du Fonds mondial pour la nature (WWF), l’ouverture de la Renca va permettre l’examen par le Département national de la production minérale (DNPM) de 154 projets de recherche et 260 d’exploitation (dont certains soumis avant même la création de la réserve sous la dictature militaire), sur des régions de la forêt dont les plus intéressantes économiquement (riches en or et autres minéraux) « coïncident avec les zones de protection complète », sans compter la présence de deux tribus indigènes sur le territoire concerné.
Même si plusieurs garde-fous subsistent avant de voir les bulldozers envahir la région, la décision du président est un mauvais présage pour l’avenir du pays, d’un point de vue écologique (on sait l’importance que revêt la forêt amazonienne dans l’équilibre climatique mondial) et social : « en plus de la déforestation, la perte de biodiversité et des ressources en eau, il y aura une intensification des conflits sur la terre et des menaces sur les peuples indigènes et populations traditionnelles », a réagi le directeur de WWF-Brésil, Mauricio Voivodic.

Délit de complaisance
Au sein du gouvernement brésilien, les réactions ne se sont pas fait attendre contre le projet : un groupe de sénateurs, mené par le sénateur écologiste Randolfe Rodrigues (REDE), a présenté un texte pour contrer la mesure et a indiqué son intention d’y faire appel devant la Cour fédérale.
Selon plusieurs médias, les critiques se multiplient à l’encontre de la ligne écologique du président Temer, accusé de « brader la forêt amazonienne ». Malgré son veto in extremis (à la demande du mannequin Gisele Bündchen) en faveur de la Forêt nationale de Jamanxim il y a deux mois, le président fait face à la pression des lobbies miniers et de l’agrobusiness pour ouvrir la forêt à l’exploitation.
De plus, il est accusé de complaisance à l’égard des compagnies minières responsables de la rupture du barrage de Rio Doce en 2015, envers lesquelles les poursuites ont été subitement suspendues le mois dernier. Pour rappel, cette négligence de la part la compagnie minière Samarco avait provoqué l’inondation par 40 millions de mètres cubes d’une boue chargée de métaux lourds de la vallée en contrebas, « saccageant la faune, la flore, tuant 19 personnes et rayant de la carte le petit village de Bento Rodrigues tout en dévastant une quarantaine d’autres municipalités », rapporte Le Monde.

Enjeux croisés
De plus en plus brûlante en ce temps de réchauffement climatique, la question de la déforestation prend dans le cas de la forêt amazonienne une dimension multiforme, puisque rentre aussi dans l’équation le destin et le rôle des populations autochtones. D’un point de vue strictement écologique, le recul du « poumon de la planète » est tragique : depuis 1990, l’efficacité de ce « puit de carbone » (la végétation absorbe le CO2 de l’atmosphère) a été divisée par deux. Pourtant, la prise de conscience est extrêmement lente, et 2015 a connu la plus forte hausse de la déforestation depuis 2008 (+29%), malgré les avertissements répétés de la Norvège, principal financeur de la protection de la forêt vierge.
D’un point de vue social, le sujet de la protection de la forêt oppose le gouvernement brésilien aux populations autochtones, qui en revendiquent la propriété et la responsabilité. Dans cette perspective, deux représentants de ces populations ont récemment interpellé le président Macron et ses pairs à la conférence internationale sur le climat de Bonn, arguant de l’efficacité d’un dispositif confiant la protection des forêts aux indiens l’habitant (chute d’environ 75 % de la déforestation dans les deux ans qui suivent l’obtention des droits fonciers par les populations autochtones) :
« il faut saisir l’opportunité d’utiliser les capacités des peuples autochtones pour répondre aux promesses de protection des forêts tropicales comme contribution principale contre le réchauffement climatique », écrivent Edwin Vasquez et Cándido Mezúa.
Selon WWF-Brésil, deux groupes ethniques, l’Aparai et le Wayana, ainsi que le peuple Wajãpi (au mode de vie millénaire) occupent et conservent les forêts de la Renca. En les dépossédant de leurs terres, le décret 91142 du président Temer ne fera qu’envenimer les relations déjà tendues entre le gouvernement et les indiens : « ce qui nous surprend, c’est le manque de dialogue et de transparence du gouvernement qui (…) met en danger les peuples autochtones au cœur de l’Amazonie », a ainsi fait remarquer le coordonnateur des politiques publiques de WWF-Brésil, Michel de Souza Santos.

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