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Michel Aubier, le pneumologue payé par Total enfin devant un tribunal

Ce mercredi 14 juin, le pneumologue Michel Aubier est appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris. Il est accusé par le Sénat de faux témoignages lors d’une commission d’enquête sur l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique. Suite à des révélations de la presse puis de la justice, l’affaire a pris une ampleur considérable, […]

Ce mercredi 14 juin, le pneumologue Michel Aubier est appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris. Il est accusé par le Sénat de faux témoignages lors d’une commission d’enquête sur l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique. Suite à des révélations de la presse puis de la justice, l’affaire a pris une ampleur considérable, attirant l’attention du public et des autorités sur les failles du système de santé en matière de conflits d’intérêts.

Soupçons de collusion

Deux ans après sa comparution devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé, les fantômes du conflit d’intérêt rattrapent Michel Aubier. Ce pneumologue de renom, ancien chef du service de pneumologie de l’hôpital Bichat à Paris et désormais à la retraite, est aujourd’hui sous le coup d’une accusation pour « parjure devant le Sénat » ; il risque jusqu’à 75 000€ d’amende et 5 ans de prison.

Le premier coup est venu de la presse : en 2016, soit un an après que Michel Aubier a déclaré sans sourciller qu’il n’avait « aucun lien avec des acteurs économiques », le Canard Enchaîné et Libération révèlent au grand jour son emploi depuis 10 ans par Total pour des fonctions de « médecin-conseil » à destination des cadres du groupe, ainsi que sa participation régulière aux conseils d’administration de la fondation Total. Le rôle est vague, les fonctions imprécises, mais les 55 000€ à 60 000€ qu’il aurait reçus chaque année du groupe pétrolier suffisent à blesser l’orgueil des sénateurs ; n’appréciant pas qu’on leur « raconte des bobards », ces derniers convoquent le pneumologue une seconde fois, puis, toujours dubitatifs, décident de saisir la justice pour faux témoignage.

Second souffle pour l’enquête

La démarche est historique : une telle action en justice n’avait pas eu lieu depuis 1958. Malgré les concessions de Michel Aubier, qui admet son emploi par Total et d’autres liens avec des groupes pharmaceutiques, les sénateurs sont décidés à aller au bout de l’affaire.

L’affaire étant relayée par la presse, deux associations écologistes (Ecologie sans frontière et Générations futures) s’inquiètent également des mensonges présumés du médecin ; la légèreté de ses propos, sur le plateau de France 5, sur le rôle aggravant de la pollution atmosphérique dans les cas de cancer du poumon a notamment contribué à mettre le feu aux poudres : les deux associations se portent parties civiles aux côtés du Sénat. « Il est très grave de masquer un tel lien d’intérêt quand on prête serment devant une commission officielle (…) cela peut les conduire à sous-estimer la gravité du problème et donc, avoir un impact intolérable sur la santé de nos concitoyens », a déclaré François Veillerette, président de Générations futures.

Il faudra encore un an à la brigade de répression de la délinquance sur la personne pour faire toute la lumière sur les activités parallèles de Michel Aubier. Il y a deux jours, Le Monde en a publié des extraits accablants : en plus d’avoir reçu environ 100 000€ de la part de Total pour « 9 demi-journées par mois » de travail, le médecin a aussi reçu des actions gratuites à hauteur de 60 000€. De plus, l’enquête a révélé ses liens avec de nombreux laboratoires (MSD France, PPD France, Resal, Laser), alors qu’il était membre d’une commission de la Haute Autorité de santé, de quoi « mettre en évidence un conflit d’intérêts entre les activités exercées (…) au sein du groupe Total et son activité médicale au sein de l’hôpital Bichat ».

Une défense sous pression

Jusqu’alors axée sur une omission involontaire de son emploi, puis sur une contestation légère de la présence de conflit d’intérêts dans l’exercice du métier de médecin du travail, la défense de Michel Aubier s’est soudainement renforcée. Premièrement, le pneumologue a déclaré avoir reçu une autorisation de la part de ses supérieurs pour travailler pour Total, en 1996 ; malgré l’absence de preuve dans les archives de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), l’existence d’une telle autorisation est corroborée par Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé, directrice de Bichat de 1995 à 2003.

Deuxièmement, l’avocat du pneumologue a annoncé son intention de déposer, lors de l’audience du 14 juin, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui pourrait suspendre le jugement pendant un moment. Selon la défense, le délit de parjure devant une commission sénatoriale n’a pas lieu d’être : l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, invoquée par le Sénat, ne s’applique en effet qu’aux faux témoignages prononcés devant une « juridiction » – ce que n’est pas, selon l’avocat, la commission plus haut citée.

Si la QPC est rejetée, il reviendra au tribunal correctionnel de Paris de démêler le vrai du faux dans les propos de Michel Aubier : si ses liens avec Total sont évidents, la gravité de ses mensonges présumés l’est moins ; à part une intervention un peu trop nuancée sur France 5 et des articles peut-être trop conciliants, le pneumologue n’a jamais ouvertement versé dans la propagande pro-diesel.

L’urgence, énoncée par Martin Hirsch, le directeur d’AP-HP, est d’éviter les scandales de la sorte (certains, comme le Mediator, étant bien plus graves que notre affaire) : c’est la direction qu’il a prise en rendant obligatoire la déclaration de toute activité secondaire au profit d’un industriel. Du côté du gouvernement, la Cour des comptes milite constamment pour une plus grande transparence, inspirée du modèle américain.

Plus dangereuse qu’elle n’en a l’air

Tandis que nous laissons à la justice le soin de faire son travail, rappelons cependant que la pollution atmosphérique (due entre autres, mais pas uniquement, aux particules fines émises par le diesel) est de toute vraisemblance effectivement cancérigène : selon un rapport de l’OMS, qui synthétise une étude approfondie (plusieurs milliers de sujets analysés pendant plusieurs années) : « il existe des preuves suffisantes pour dire que l’exposition à la pollution de l’air extérieur provoque le cancer du poumon ». La médecine n’étant pas une science exacte, le doute est toujours permis, mais le consensus grandit : en octobre dernier, le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC) a classé la pollution atmosphérique comme « cancérigène certain », aux côtés du gazole et des particules fines.

Si la situation n’est pas aussi désespérée que dans certaines villes chinoises, la France n’est pas épargnée par ce brouillard mortel : selon un document du Commissariat général au développement durable (CGDD), « la pollution de l’air coûte de 0,7 à 1,7 milliard d’euros par an au système de soins », à travers des maladies comme l’asthme, les bronchites et les cancers (à titre de comparaison, le tabac en coûte 18,3 milliards).

CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

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