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Malgré l’opposition populaire et internationale, l’Assemblée Nationale vote la loi sécurité globale

Si les grands organes de presse n’ont pas de grands soucis à se faire, la constellation formée par les petites rédactions, les journalistes de terrain indépendants, sans carte professionnelle, les militants et les citoyens au cœur de la liberté d’informer depuis l’apparition de nouveaux moyens de diffusion, risque de subir les conséquences directes, immédiates de cette loi, qui s’abattra sur eux en silence.

Ce mardi 24 novembre, la proposition de loi « sécurité globale », portée par le gouvernement et la majorité présidentielle, a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale par 388 voix contre 104 et 66 abstentions. Dénoncé unanimement par l’ensemble de la profession journalistique, l’opposition, les Nations unies, l’Union européenne, les associations de protection des droits de l’homme, la presse étrangère et les citoyens, ce texte représente une atteinte majeure au droit d’informer et d’être informé, pourtant défendu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Samedi 21 novembre, à l’appel des syndicats de journalistes, une vingtaine de manifestations ont eu lieu dans toute la France, dont certaines se sont achevées par une dispersion, parfois violente comme à Paris, des manifestants, qui exigent le retrait pur et simple des articles 21, 22 et 24 de la proposition de loi, ainsi que du nouveau schéma national de maintien de l’ordre.

Pour rappel, l’article 21 prévoit d’équiper massivement les forces de l’ordre de caméras mobiles ; l’article 22 de légaliser la surveillance par drones ; l’article 24 de pénaliser (lourdement) la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Il s’agit bien d’une guerre ouverte au contre-pouvoir de l’image et du journalisme.

Lire aussi : « Loi sécurité globale : menaces à la liberté d’informer et surveillance généralisée »

Lundi 23 novembre, après avoir obtenu un entretien avec Gérald Darmanin, une délégation représentative d’une soixantaines d’associations et de syndicats de journalistes a brusquement quitté le ministère de l’Intérieur, se disant unanimement éreintée « par ce dialogue de sourds ».

Une conférence de presse s’est alors improvisée sur le trottoir de la place Beauvau, au cours de laquelle les représentants de la délégation ont annoncé que « Gérald Darmanin ne p[ouvait] plus être [leur] interlocuteur » et qu’ils en « appel[aient] solennellement au Premier ministre Jean Castex » pour la suite des négociations.

Selon Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ), la délégation aurait assisté à une démonstration de langue de bois.

« On a eu un ministre qui ne nous a pas écoutés, qui nous a fait une explication de texte sur sa proposition de loi. On avait quelqu’un qui n’était prêt qu’à améliorer des éléments cosmétiques. »

Même avis pour David Dufresne, le journaliste et réalisateur à l’origine de la compilation « Allô place Beauvau » recensant les violences policières :

« Il y a eu un petit échange assez ridicule de brevets en républicanisme. Sauf que face à lui le ministre de l’Intérieur n’avait pas des députés acquis à sa cause, mais des journalistes, des défenseurs des droits, et ça change la donne. On a donc quitté les lieux, après 45 minutes d’échanges inutiles, insipides… »

Pendant l’entretien, la délégation a fait part au ministre des propos de Marlène Schiappa, qui laissait entendre la veille sur RMC que les journalistes pourront se retrouver en garde à vue s’ils filment des policiers commettant des actes de violence. Feignant de ne pas les avoir écoutés, Gérald Darmanin aurait alors fait la sourde oreille et botté en touche.

Or, selon la délégation, « cela implique que [tout journaliste] pourra être directement arrêté au moment d’un direct, menotté, placé en garde à vue, et ce même si la justice décidait de ne pas le poursuivre et de le relaxer. » La réaction du ministre aurait précipité la fin de la réunion.

Le journaliste Gaspard Glanz interpellé lors d’une manifestation

Lire aussi : « “Cachez ces violences policières que je ne saurais voir ” : protégeons la liberté d’informer ! »

Qui est véritablement visé par la proposition de loi ? Selon Taha Bouhafs, journaliste régulièrement arrêté en couvrant de nombreuses mobilisations depuis 2016, ce sont avant tout les citoyens et les professionnels indépendants, qui se rendent au cœur des mouvements sociaux.

« Cette loi va officialiser, légaliser des pratiques marginales qui ont déjà cours. Avant, on faisait profil bas, on se justifiait, mais maintenant ce sera légal d’arrêter des journalistes comme moi et bien d’autres, on va permettre à la police d’emmener quelqu’un au tribunal pour une intention, pas pour des faits. »

David Dufresne, quant à lui, considère qu’il n’aurait pas pu entreprendre son travail d’Allô place Beauvau si cette loi avait été en vigueur.

« Le vrai but de l’article 24, c’est l’intimidation, c’est d’intimider quiconque, citoyen, amateur, professionnel, de filmer. Ce qui est visé, c’est d’abord le fait qu’il y a un élan citoyen, des gens de tous bords qui se mettent à filmer et à diffuser. Et diffuser, c’est rendre compte, c’est donner sens à la réalité. On ne pourra plus donner sens à ce qui est pourtant bien réel. »

Pourquoi le gouvernement élabore-t-il une telle loi ? Est-ce la faute des « gilets jaunes » et des autres mobilisations, comme certains le prétendent ? Non, répond exaspéré Arié Alimi, membre de la Ligue des droits de l’homme et de la délégation.

« Ce n’est pas la faute des victimes, ce n’est jamais la faute des victimes ! En revanche, c’est la volonté du gouvernement de protéger les fonctionnaires de police, qu’il a envoyés au casse-pipe, notamment pendant le mouvement des “gilets jaunes”, en leur donnant une forme d’immunité judiciaire. »

Si les grands organes de presse n’ont pas de grands soucis à se faire, la constellation formée par les petites rédactions, les journalistes de terrain indépendants, sans carte professionnelle, les militants et les citoyens au cœur de la liberté d’informer depuis l’apparition de nouveaux moyens de diffusion, risque de subir les conséquences directes, immédiates de cette loi, qui s’abattra sur eux en silence.

« Ce n’est pas qu’un problème de journalistes ! ajoute Emmanuel Poupard. Il y a aussi les citoyens qui sont des sources pour les journalistes. Ils doivent pouvoir contribuer par les vidéos qu’ils prennent à leur apporter des informations. L’État de droit, la démocratie tels qu’on les connaît sont mis en danger par ces textes. » 

Lire aussi : « Reconfinement : Avec le recul du départ à la retraite, les Sénateurs tentent un nouveau coup de force »

Taha Bouhafs voit dans les quartiers populaires des laboratoires ayant servi à expérimenter les dispositions de la proposition de loi, appliquées désormais à l’ensemble de la population.

« On alerte sur les banlieues depuis des années, en expliquant la situation, en dénonçant l’arbitraire policier, à l’abri des regards. Eh bien maintenant l’abri des regards ce seront les manifestations, l’arbitraire ce sera Paris VIIe, tout ça parce que la police fait la loi, parce que le ministre de l’Intérieur est soumis aux injonctions des syndicats de police. »

L’un des rapporteurs de la proposition de loi « sécurité globale », Jean-Michel Fauvergue est un commissaire de police retraité, ancien patron du RAID, de 2013 à 2017. Est-ce une dérive sécuritaire de plus de la part de l’État ?

Pour David Dufresne : « Je parlerais plutôt de revendication totalitaire. On est dans des essais, des tests. Cet article 24, c’est une provocation, un test pour voir comment la population réagit. Il n’y a aucune raison que cela change. Le discours de Darmanin, c’était celui de quelqu’un qui est sûr de lui, qui ne veut pas écouter la réalité. »

Et pourtant, le gouvernement semble se mettre le monde entier à dos. Dans un rapport du 12 novembre, le conseil des droits de l’homme de l’ONU a jugé que la loi « sécurité globale » porterait « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique », en contradiction flagrante avec la constitution française, les conventions européennes et les pactes internationaux.

Cette analyse fait écho à l’avis du Défenseur des droits, qui considère plusieurs articles de la loi comme contraires aux principes de la République.

Les journalistes doivent pouvoir « faire leur travail librement et en toute sécurité », a pour sa part rappelé à la France la Commission européenne, qui est exceptionnellement sortie de sa posture de réserve pour mettre en doute l’adéquation de la proposition de loi avec la législation commune. Enfin, Nathalie Sarles, députée de La République en Marche, a tenu des propos très forts contre sa propre majorité : « Nous allons tranquillement vers un État autoritaire, vers une suppression des libertés individuelles. (…) Ce n’est pas le type de société auquel j’aspire. »

Le texte doit désormais faire l’objet d’un examen par le Sénat, en janvier. Une marche des libertés est prévue ce samedi 28 novembre à 14h30.

La Relève et la Peste se déclare formellement opposée à la proposition de loi « sécurité globale » et joint sa signature à la coordination nationale des syndicats de journalistes.

Augustin Langlade

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