C’est la drôle d’histoire d’un lobby puissant qui veut faire passer une proposition de loi sur les armes à feu, le Sportsmen’s Heritage and Recreational Enhancement Act, pour une mesure sanitaire. C’est la drôle d’histoire d’un pays qui, dans les derniers 477 jours, a connu 521 fusillades de masse qui ont fait 585 victimes et 2 156 blessés, selon un édito du New York Times qui donne une vision assez clair de la situation. C’est la drôle d’histoire des Etats-Unis. Et je ne suis pas sûr que les victimes des fusillades en rient beaucoup à l’heure qu’il est.
Sportsmen’s Heritage and Recreational Enhancement Act
La Chambre des Représentants étasunienne va prochainement voter une proposition de loi qui assouplirait la législation sur les armes à feu dans le pays. Et, ce que le chroniqueur Doyle McManus souligne avec une ironie aigre : le contexte de la fusillade de Las Vegas qui a fait 59 morts et 527 blessés a malheureusement peu de chances d’influer sur le vote sachant que la proposition de loi est soutenue par le puissant lobby des armes, la NRA, et que la chambre est majoritairement républicaine.
Cette loi a pour but affiché d’« étendre les opportunités de chasse, de pêche et de tir récréatif » et d’« augmenter la sécurité et la protection auditive des sportifs et sportives ». Ce qui se cache derrière, entre autres réjouissances, c’est surtout la banalisation de l’achat de silencieux.

L’édito du New York Times publié le lendemain de la fusillade de Las Vegas
Quand la mort se fait silencieuse
La proposition de loi doit cette disposition spécifique sur les silencieux au député républicain Jeff Duncan. Le pauvre constate que sa propre audition « a été endommagée par le bruit des armes à feu » qu’il utilise « depuis qu’il est un jeune enfant ». Actuellement, quelqu’un qui veut acheter un silencieux aux Etats-Unis doit fournir une photographie, ses empreintes digitales, se soumettre à une vérification des antécédents (qui peut prendre jusqu’à un an), et payer une taxe de 200 dollars. La disposition de Jeff Duncan supprime ces barrières.
Knox Williams, président de l’Association des Silencieux Américains soutient dur comme fer que la question soulevée est celle de la protection des capacités auditives des chasseurs, et usagers d’armes à feu à titre récréatif.
La proposition de loi prévoit également de « légaliser la vente de balles perforantes si leur fabricant déclare qu’elles sont destinées à des activités de loisir ». On ne sait pas si on doit rire ou pleurer. Activité de loisir ou non, une balle perforante reste une balle perforante.

La justification sanitaire : une farce
Dans un entretien vidéo accordé à CNN, Ladd Everitt, directeur du groupe de prévention contre la violence des armes à feu One Pulse for America, souligne qu’il n’a connaissance d’aucune étude notable faite à propos de la santé auditive des usagers d’armes à feu aux Etats-Unis et que par conséquent, la justification sanitaire est tout à fait obsolète. Il met aussi en évidence un point important : celui des dangers que peuvent représenter les silencieux dans le cas de la pratique de la chasse par exemple. C’est grâce au bruit des armes que les promeneurs éventuels peuvent se mettre sur leurs gardes, se signaler aux chasseurs en question ou quitter la zone. Le bruit éveille la vigilance.
Symboliquement, c’est une euphémisation de la violence des armes à feu que propose cette loi. Le bruit, désagréable car trop fort, est supprimé, ne reste plus que le glamour des représentations bien prégnantes dans le cinéma hollywoodien.
Comble de l’ironie, la proposition de loi est désignée par l’acronyme SHARE Act. La mort en partage donc.
Crédits photo couverture : ZACH D ROBERTS / NURPHOTO (AFPFORUM)

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