Record d’audience historique pour le Cash Investigation de la rentrée 2017 avec 3,8 millions de téléspectateurs sur un sujet d’actualité épineux : « Travail, ton univers impitoyable ».

L’enquête de la journaliste Sophie Le Gall est partie d’un constat alarmant : « un quart des salariés partent travailler avec la boule au ventre, plus d’un tiers affirment avoir fait un burn-out et 43% ressentent des douleurs à cause de leur métier ! » En pleine réforme du Code du travail, l’émission dénonce les méthodes de management inhumaines de deux entreprises à succès : Lidl et Free.

Une déshumanisation du travail

La première partie de l’enquête est consacrée à Lidl, dont la sortie du hard-discount avec son projet « Pole Position » n’a pas apporté aux salariés les effets positifs escomptés. Pour répondre aux nouveaux besoins de productivité du groupe, les préparateurs de commande des entrepôts travaillent maintenant sous les ordres d’une commande vocale. Objet pouvant paraître anodin d’un regard extérieur, il en va autrement lorsque l’on découvre la réalité de cette méthode grâce à la caméra cachée d’un journaliste infiltré chez Lidl.

Pendant 7h d’affilée, le journaliste suit les ordres donnés par le casque auquel il n’a droit de répondre qu’avec 47 mots. Un préparateur prononce ainsi en moyenne le mot « OK » 3600 fois dans la journée. Cette méthode crée un sentiment d’isolement : les préparateurs perdent le contact avec leurs collègues avec qui ils n’ont plus le temps d’interagir. Dès que le salarié a rempli un ordre, la machine enchaîne le suivant. Dans une interview pour FranceInter, Anne Sophie Le Gall précise :

« Quand vous entendez ce qui se dit dans ce casque pendant 7h d’affilée, vous entrez dans une autre dimension. Et c’est ce que les chercheurs qui ont travaillé sur ce système dénoncent : une déshumanisation. »

Quand l’homme est au service de la machine, chaque préparateur doit alors assurer des objectifs effarants : 250 colis par heure, soit une moyenne de 8 tonnes portées chaque jour. Un rythme de travail insoutenable qui a des répercussions dramatiques sur leur santé. Dans certains magasins, les caissières doivent elles aussi assurer une cadence continue : pas de pause WC, interdiction d’être assises, heures sup non payées… Résultat : cadres comme salariés sont sous tension, et les échanges sont parfois très violents entre responsables et employés.

Des licenciements abusifs

Dans les centres d’appel Free, c’est la notion-même de contestation qui est tuée dans l’œuf. Lors de son entretien d’embauche, Feral Messak, ancien responsable plateau mobile, s’est vu demander par Free s’il aurait « des états d’âme à licencier les gens ». En 4 ans, il a dû licencier plus de 100 personnes. Si des salariés se mettaient en débrayage 3 heures pour protester contre leurs conditions de travail, le manager devait rédiger une black-list des collaborateurs l’ayant organisé. Une obligation à la dénonciation qui finira par avoir raison de Feral Messak. Après 10 ans passés dans l’entreprise, il a fait un burn-out et une dépression. Free en a profité pour le licencier. Une habitude pour l’entreprise qui utilise les problèmes personnels de ses salariés pour pouvoir les congédier.

Chez l’enseigne de grande distribution Lidl, les licenciements concernent particulièrement les salariés inaptes à travailler, cassés par leurs années de labeur. Cash Investigation pointe ainsi la disproportion entre les nombreux salariés de l’enseigne licenciés pour inaptitude (2196 en cinq ans), et l’infime minorité de ceux qui obtiennent un reclassement (22).

La résistance de la bienveillance

Ce numéro de Cash Investigation invite donc à une double réflexion sur la souffrance et la pénibilité du travail, pour les salariés comme pour les cadres. Pris dans un système tentaculaire, c’est donc aux employés de se serrer les coudes, comme cette chef de caisse Lidl qui prend la défense des caissières auprès du responsable.

Après la diffusion du documentaire, des salariés du site du Rousset de Lidl ont fait grève trois jours pour la réintégration d’un collègue licencié pour avoir quitté son poste 17 minutes avant l’heure.

Pour le philosophe Emmanuel Jaffelin :

« L’entreprise n’est pas juste un lieu de production de richesses. C’est certes sa finalité première, mais elle en a une seconde, encore minoritaire mais dont il faut prendre conscience : une finalité politique. C’est elle qui doit tisser de la sociabilité, qui doit abandonner son vieux management vertical et autoritaire. La vie en entreprise est une vie communautaire qui est une matrice de celle sociale à l’extérieur. Un salarié qui vit bien son quotidien dans l’entreprise va exporter cette positivité à l’extérieur. »

Crédits : France 2/ Cash Investigation

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