Le 16 juin 2022, les ONGs Pro Wildlife (Allemagne) et Robin des Bois (France) ont publié le rapport Deadly Dish (« Plat Mortel »), qui révèle l’impact des importations de grenouilles dans l’Union européenne sur les écosystèmes. Résultats : des populations s’effondrent dans les pays d’Asie du Sud-Est, en Turquie et en Albanie. La grenouille ayant un rôle clé au sein des écosystèmes, les risques d’une catastrophe écologique sont immenses.
Les deux plus gros importateurs mondiaux de cuisses de grenouilles sont actuellement les Etats-Unis, et devant eux, l’Union Européenne. Si aux Etats-Unis les importations de grenouilles viennent souvent d’élevages, les importations de l’Union sont majoritairement dépendantes d’espèces capturées à l’état sauvage en Indonésie (74 %), en Turquie (4 %), et en Albanie (1 %).
Les importations venant d’élevage sont issues du Vietnam (21 %), mais nombre des amphibiens sur place sont également capturés à l’état sauvage, pour réapprovisionner les fermes. Selon Eurostat, l’Union européenne a importé environ 4520 tonnes de cuisses de grenouilles chaque année entre 2011 et 2020, soit entre 814 millions et 2 milliards de grenouilles.
Les importateurs principaux sont la Belgique (70 %), la France (16.7 %), et les Pays Bas (6.4 %). Cependant, les statistiques d’Eurostat ne comptent que les cuisses de grenouilles transformées, et excluent donc les grenouilles qui sont importées vivantes pour la consommation humaine. Ces chiffres sont donc sûrement bien en-dessous de la réalité.
La biologiste Sandra Altherr et cofondatrice de l’ONG Pro Wildlife raconte : « Dans les années 1980, l’Inde et le Bangladesh étaient les deux fournisseurs de grenouilles les plus importants pour le marché européen ; mais depuis les années 1990, l’Indonésie a pris la tête du marché. »
A cause de cet appétit démesuré, les populations à l’état sauvage de grenouilles de grande taille dans les pays d’Asie du Sud-Est, en Turquie, et en Albanie s’effondrent les unes après les autres, ce qui crée un effet de cascade fatal pour la conservation des espèces.
Charlotte Nithart, présidente de l’ONG Robin des Bois, explique que cet effet de cascade implique également d’autres espèces : « Les grenouilles occupent une place centrale dans les écosystèmes en tant que mangeuses d’insectes ; et dans les lieux où les grenouilles disparaissent, l’utilisation des pesticides nocifs augmente. Le commerce de cuisses de grenouilles a des conséquences directes non seulement sur les grenouilles, mais aussi sur la biodiversité et la santé des écosystèmes dans leur ensemble. »
En Turquie, où il n’y a pas de consommation interne, à l’exception de quelques restaurants touristiques, toutes les grenouilles sont capturées à l’état sauvage. Les scientifiques de terrain ont alerté en 2020 sur le risque d’extinction de grenouilles locales d’ici à 2032, si la surexploitation des populations sauvages perdure.
La grenouille d’Albanie est désormais menacée du fait d’une consommation excessive, et le pays n’a pour le moment aucun plan de gestion pour sa conservation.
Quant au Vietnam, les populations ont drastiquement diminué entre 2010 et 2020. Le gouvernement a développé l’élevage de grenouilles pour ralentir cette dynamique, ainsi que réduire la pauvreté par le développement du secteur de l’aquaculture. Des grenouilles sauvages sont toutefois toujours collectées.
Selon la liste rouge de l’Union internationale de la conservation pour la nature, les amphibiens sont la catégorie la plus menacée d’extinction, avec 41 % des animaux étudiés classés comme tels.
Les ONGs Pro Wildlife et Robin des Bois appellent les États Membres de l’Union européenne, et particulièrement la Belgique et la France, à assurer une traçabilité du marché des cuisses de grenouille, à contrôler la véracité des informations délivrées aux consommateurs, et à élaborer des propositions d’inscription d’espèces aux annexes de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction).