Des employés d’Elior Services vivent un cauchemar judiciaire. Alors qu’ils avaient obtenu en justice des primes de leur employeur, 183 agents ont vu la décision annulée par la Cour de Cassation et doivent maintenant rembourser 10 à 30 000€ chacun, pour un total de 2,8 millions d’euros.
Condamnés à la misère
L’alerte a été donnée par la journaliste Delphine Tanguy du journal La Provence. Elior Services réclame de 10 à 30 000€ à 183 de ses employés : femmes et hommes de ménage marseillais travaillant généralement à temps partiel dans des hôpitaux et cliniques, et payés au Smic. Ces personnes, déjà exploitées et vivant le plus souvent dans des conditions précaires, doivent ainsi rendre l’argent qu’elles avaient obtenu suite à une décision de justice en leur faveur.
Elior Services (chiffre d’affaires de presque 400 millions d’euros en 2016) veut ainsi récupérer 13 années de sommes versées à des individus qui touchent 1300€/mois, d’autres beaucoup moins à la retraite ou en situation d’invalidité. Parmi ces derniers, une femme va devoir rembourser 350€ par mois pendant des années sur son salaire mensuel de 850€, lui laissant ainsi 500€ pour vivre par mois… Face à cette condamnation à la misère, des salariés d’Elior Services ont confié leur détresse à La Provence : « Il y a des gens au bord du suicide, il y aura des morts. »

La décision de la Cour de Cassation est d’autant plus inattendue que pour certains, l’affaire commencée il y a dix ans avait été close ! Mr Roger Vignaud est avocat sur le dossier depuis le début. Cette saga judiciaire a débuté lorsque des employés historiques de l’entreprise se sont aperçus qu’ils ne bénéficiaient pas des mêmes conditions de salaires que leurs homologues récemment arrivés suite à de nouveaux marchés remportés par Elior : prime de 13ème mois, prime d’assiduité et d’insalubrité. Mr Vignaud avait poursuivi l’entreprise en justice pour inégalité de traitement.
Contacté par téléphone, il nous explique :
« A même travail et même qualification, il est logique que les employés d’une même entreprise bénéficient des mêmes droits, c’est l’égalité de traitement. Jusqu’à ce que la loi El Khomri crée un nouvel article, la jurisprudence de la cour de Cassation était entièrement favorable aux jugements rendus en faveur des employés. »
En cause : la loi Travail et une décision arbitraire de la Cour de Cassation
C’est donc la loi El Khomri, ou loi Travail, et plus précisément les ordonnances Macron qui sont responsables de ce revers de situation à travers la création de l’article L1224-3-2 qui empêche les salariés historiques d’une entreprise de réclamer une égalité de traitement avec les nouveaux salariés arrivés dans le cadre de la succession d’une entreprise. Pour l’avocat, ce travail découle d’une demande directe de la Fédération des Entreprises de la Propreté (la FEP, le lobby du secteur) qui ont réussi un tour de force puisque les transferts de marché annoncés dans la loi concernent principalement les secteurs de la sécurité et du nettoyage.
« Dans le cadre des ordonnances Macron, on a ajouté un alinéa pour que cet article puisse avoir un principe rétroactif en prenant comme point de départ la date à laquelle les marchés ont été passés. » précise Roger Vignaud. La Cour de Cassation s’est servi de ce principe rétroactif pour annuler les décisions des Cour d’appels alors qu’elles avaient condamné l’entreprise Elior Services à verser les primes aux employés.

Bien plus grave, la Cour de Cassation a mis un terme définitif à toutes les procédures en cours, sans aucune possibilité de faire appel, alors qu’elle n’a examiné qu’un seul des arguments (preuves et cas similaires, comme des justificatifs de salaires et primes versés à d’autres employés) sur les trois présentés par Roger Vignaud.
« Normalement, la Cour de Cassation casse et renvoie l’affaire à une autre cour d’appel. Mais là, elle a décidé de casser et de purement et simplement annuler toute l’affaire. L’avocat de la Cour qui travaille sur le dossier n’avait jamais vu ça de toute sa carrière professionnelle. Nous avons donc décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. L’affaire va prendre au moins cinq ans pour aboutir au niveau européen. Cinq années pendant lesquelles les personnes vont devoir rembourser Elior Services, créant des situations dramatiques alors que les salariés avaient obtenu satisfaction avec le texte législatif de l’époque… » Roger Vignaud
Dans son dernier rapport, la Commission Européenne Pour l’Efficacité de la Justice a pointé du doigt la France pour la lenteur de sa justice. Roger Vignaud avait ainsi fait condamner l’Etat français en mars 2017 à indemniser 84 salariés en raison des prud’hommes trop lents.