Bonne nouvelle sur le papier, la mise en application récente de la loi dite « Sapin 2 » sur la transparence du processus parlementaire est une déception pour les ONG luttant pour la transparence. Dans sa version définitive, la loi a en effet été largement édulcorée, sous la pression probable des mêmes lobbies qu’elle cherche à encadrer.
Un décret majeur
Le 10 mai dernier est entrée en application, par la publication d’un décret, la loi anticorruption dite « loi Sapin 2 ». Votée en novembre 2016, cette loi avait pour objectif d’éclairer les citoyens sur les coulisses de l’élaboration de la législation, et notamment sur l’influence précise des « représentants d’intérêt » – autre nom, plus politiquement correct, des lobbyistes – sur les parlementaires, conseillers ministériels et autres hauts fonctionnaires à l’origine des lois.
Sur le papier, le projet de loi promettait une avancée majeure dans le décryptage de l’appareil législatif, avec un suivi précis des rencontres entre lobbyistes et fonctionnaires, le tout chapeauté par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Malheureusement, en pratique, l’efficacité du texte dépend largement des conditions d’application du principe de transparence : l’idée d’un registre des actions des lobbies est bonne, mais il faut que ce registre soit suffisamment précis (date, « cible », contenu, budget des interventions) pour ne pas être une simple liste des « représentant d’intérêt » ayant leurs entrées dans les hautes administrations.
Forte pression des lobbies
C’est là que le bât blesse. Entre l’adoption de la loi et sa promulgation, de nombreux amendements ont été passés, qui l’ont largement édulcorée. Selon Mediapart, une forte pression des lobbies eux-mêmes (notamment du Medef et de l’Afep, l’association française des entreprises privées) serait responsable de cet allégement. Dans les mois qui ont séparé l’adoption et le décret d’application de la loi, ces puissances privées auraient combattu pied à pied le détail de son application, au nom du « secret des affaires » et de la « liberté d’entreprendre ». C’est donc en invoquant la crainte de voir leurs activités révélées via ce registre à la concurrence que les intérêts privés combattent la loi.
Cette position a d’ailleurs été validée en principe par le Conseil Constitutionnel, saisi en décembre dernier par le Premier ministre, et dont la décision a conditionné les modifications de la loi : l’avis de l’autorité suprême était en effet que le texte devait être « conforme à la liberté d’entreprendre », en ne contraignant les lobbyistes à déclarer que les « données d’ensemble ». Explications.
« Il fallait au moins rendre publics les noms des parlementaires. Il y a une différence, pour un lobbyiste, entre obtenir un rendez-vous avec un député lambda ou avec le rapporteur d’un projet de loi ».
Les points d’insuffisance
En effet, la mouture finale de la loi ne définit qu’un cadre très général pour la communication des actions des lobbyistes, et manque cruellement de précisions sur des points essentiels. Quatre insuffisances, notamment, se font sentir : la première concerne le rythme de communication ; selon le texte, l’inscription des actions de lobbying n’est obligatoire qu’une fois par an, à la fin de l’exercice comptable des organismes concernés. Ce qui signifie un délai considérable entre les actions d’influence et leurs conséquences potentielles. Ce manquement s’applique par exemple au décret d’application de la loi lui-même : « cela signifie par exemple qu’il faudra attendre avril 2018 pour obtenir des indications parcellaires sur la manière dont certains représentants d’intérêts ont cherché à influencer, dans l’ombre, le contenu de ce décret », explique l’ONG Transparency France.
Deuxième point d’insuffisance majeure : le texte n’oblige pas les « représentants d’intérêt » à préciser les noms des fonctionnaires visés par leurs efforts – une notion pourtant présente dans la version du décret de février. Ceux-ci peuvent donc se contenter d’évoquer le corps administratif visé et la fonction de la « cible », par exemple « membre du cabinet du Ministre de l’Agriculture ». Ici encore, l’ONG Transparency France regrette l’imprécision : « il fallait au moins rendre publics les noms des parlementaires. Il y a une différence, pour un lobbyiste, entre obtenir un rendez-vous avec un député lambda ou avec le rapporteur d’un projet de loi ».
Enfin, le texte définitif est jugé trop léger par la HATVP, qui sera responsable de son application, pour une dernière raison. Dans un avis rendu public le 18 avril dernier, l’autorité regrettait qu’il ne soit pas obligatoire pour les lobbyistes de préciser les dates de leurs rencontres avec les hauts fonctionnaires. Ajouté au délai annuel de publication du registre, ce point accentue le risque pour celui-ci de « se résumer à un simple annuaire sans portée », comme l’évoque la HATVP. A l’instar de l’Observatoire des multinationales, on pourra enfin regretter que la portée de la loi « Sapin 2 » ne s’étende pas à toutes les institutions de notre République, à savoir le cabinet du Président, le Conseil d’Etat ou encore le Conseil Constitutionnel, qui sont aussi la cible des lobbies.
Des exemples à l’étranger
Pourtant, comme le fait remarquer dans son communiqué la HATVP, la constitution d’un registre précis et efficace, sans mettre en danger le secret des affaires, est possible. Elle en veut pour preuve les systèmes en vigueur dans les démocraties voisines : ainsi, en Irlande et au Canada, les registres requièrent le nom de la personne visée par l’action des lobbies ; ces derniers ont aussi l’obligation, dans ces deux pays comme aux Etats-Unis, de donner la date – ou au moins le trimestre concerné – de la communication entre le responsable politique et la personne physique au compte du lobby. Ces exemples, espérons-le, sauront inspirer le nouveau président et son gouvernement dans leur projet de moralisation de la vie politique.

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