Dans la nuit de mardi à mercredi, les sénateurs ont adopté l’article 1 du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, modifié par leurs soins. Sous prétexte de vouloir protéger les maires face au déconfinement, cet article polémique prévoit en fait une amnistie partielle pour tous les élus, employeurs et fonctionnaires qui prendraient des décisions ayant conduit à la contamination de citoyens. Des spécialistes du droit lancent l’alerte : l’exécutif cherche à se déresponsabiliser pénalement des comptes qui pourraient lui être demandés lors du bilan de la gestion de crise.
Protéger les maires : un prétexte
Cet article polémique fait couleur beaucoup d’encre depuis un tweet d’Aurore Bergé, Députée LREM du Sud Yvelines, dans la nuit de samedi à dimanche précisant que LREM comptait proposer une adaptation de la législation pour « protéger les maires pénalement mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement. »
Finalement, l’amendement est porté par les sénateurs LR. Il vient officiellement répondre aux inquiétudes de nombreux maires sur leur possible responsabilité face à la propagation du coronavirus lors de la réouverture progressive des écoles, imposée à partir du 11 mai par le gouvernement. Sous couvert de respecter l’égalité devant la loi pénale, cet amendement s’étend donc aux « employeurs, élus locaux, fonctionnaires, qui seront amenés à prendre des mesures destinées à permettre un retour à la vie économique et sociale. »
Seulement, comme l’explique Régis de Castelnau, avocat, les maires n’ont pas besoin d’un dispositif de protection pénale spéciale, puisqu’ils sont déjà protégés par l’article 121-3 du code pénal du moment qu’ils accomplissent les tâches qui leur sont demandées, en fonction du pouvoir et des moyens dont ils disposent.
« État d’urgence sanitaire ou pas, si l’État envoie les maires au casse-pipe sans leur donner les moyens d’appliquer la politique qu’il a décidée, ceux-ci ne pourront pas être poursuivis. Ils sont d’ores et déjà protégés. Et ce d’autant que le Conseil d’État vient de rappeler dans son ordonnance d’annulation de la décision du maire de Sceaux imposant le port obligatoire du masque sur le territoire de sa commune, que les pouvoirs des maires en état d’urgence sanitaire étaient strictement limités, sans pouvoir d’initiative, à la mise en œuvre des décisions de l’État. » détaille ainsi Régis de Castelnau
Pour l’avocat, la situation est claire. L’affirmation selon laquelle le gouvernement cherche à protéger les maires avec cet amendement est un prétexte qui leur permettrait de se protéger, eux-mêmes, de poursuites judiciaires notamment celles des 173 000 personnes du site plaintecovid.fr qui souhaite faciliter le dépôt d’une plainte contre X pour négligence et mise en danger dans la gestion de la crise sanitaire. Une situation qui avait provoqué les foudres d’Emannuel Macron contre « les experts autoproclamés ».

La loi d’urgence sanitaire : bientôt un précédent en droit pénal français ?
Dans la nuit du 4 mai, le Sénat a adopté la version modifiée de l’article 1 du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire en précisant que ce totem d’immunité pénal est tout de même soumis à trois limites : la responsabilité pénale d’un élu pourra être engagée en cas de « faute intentionnelle », de « faute par imprudence ou négligence » et de « violation manifestement délibérée des mesures ».
De son côté, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a déclaré en séance que le cadre actuel, en vigueur depuis 20 ans, fonctionne « bien » et qu’il est « protecteur », et qu’il n’y a donc pas besoin dudit amendement, en insistant sur le risque de rupture du principe d’égalité devant la loi. Pour elle, la question doit continuer à être creusée.
« Le gouvernement est disposé à ce que la loi puisse être précisée. Il faut encore travailler la réponse apportée. Le temps de la navette au moins doit nous permettre de trouver la réponse adéquate. », a-t-elle promis, évoquant une écriture « différente ».
Effectivement, selon le principe constitutionnel et législatif de rétroactivité des lois pénales plus douces, ces mesures pourraient être rétroactives et prendre effet pour toutes les décisions prises depuis le 24 mars 2020. Encore plus inquiétant, comme l’explique clairement le site Les Crises :
« en vertu du principe constitutionnel (source, art 8) de non-rétroactivité des lois pénales plus dures : Il sera impossible d’annuler à l’avenir cette amnistie une fois qu’elle sera votée. »
Ailleurs, un think tank de juristes le confirme noir sur blanc : « la disposition adoptée par le Sénat aurait bien un effet d’immunité pénale en matière non intentionnelle et de mise en danger de la vie d’autrui pour tous les faits commis pendant la période d’urgence sanitaire en relation avec la contamination par le SARS-CoV-2. Ce serait une sorte de loi d’amnistie par avance qui n’a pas de précédent en droit pénal français. »
Désormais, une course contre la montre est engagée pour débattre et adopter de façon définitive le prolongement de la loi d’urgence sanitaire et l’amendement polémique, avant la fin du confinement. Le vote final devrait avoir lieu à l’Assemblée Nationale cette semaine, tout reste encore possible, notamment s’il y a une mobilisation pour interpeller les députés. D’autant plus que la position de la majorité présidentielle reste floue puisqu’après avoir proposé cet amendement, LREM a retropédalé devant les critiques pour laisser LR en porter l’initiative.
« Ce qui est sûr c’est que Macron et sa bande n’ont pas renoncé à cette idée. Et c’est la raison pour laquelle il faut être extrêmement vigilant pour voir ce qui va se passer devant l’Assemblée nationale qui a le dernier mot. Soit LREM reconduit ce texte et dans ce cas il faut continuer à se préparer pour les futures procédures pénales. Les corrompus, les inconséquents, incapables, défaillants, amateurs devront rendre des comptes devant le juge. Soit, ceux-là profitent de la confusion pour retenter le coup et faire adopter un texte qui serait abrogatoire des incriminations actuelles et les protégerait pour l’avenir mais surtout pour le passé comme loi pénale plus douce. Il faut surveiller ces gens comme le lait sur le feu. » prévient ainsi Régis de Castelnau