Dimanche 22 mars, le projet de loi « urgence coronavirus » a été définitivement adopté par un Parlement clairsemé, au branle-bas de combat et après un passage éclair devant les sénateurs et les députés. Mais que contient la loi, qui concerne tout le monde et dont personne ne parle ? Quelles seront ses conséquences immédiates sur notre vie quotidienne ? Et à long terme ? Peut-on faire confiance au gouvernement ?
Un texte de loi liberticide
Le premier volet de cette loi d’exception a trait au second tour des municipales. Comme chacun sait, celui-ci est officiellement reporté au mois de juin, aux alentours du 21. Pour les 30 143 communes qui possèdent depuis le premier tour un conseil municipal, les élections sont confirmées, même si les nouveaux maires devront attendre la fin de la crise pour être investis.
On ne sait pas exactement quand les candidatures du second scrutin pourront être déposées en préfecture. Si les élections ne sont pas tenues avant la fin du mois de juin, les citoyens seront à nouveau convoqués pour deux tours.
Second volet : l’état d’urgence sanitaire, la possibilité pour le gouvernement de restreindre drastiquement les libertés par décret. Cette mesure a pour principal objet de faire respecter les règles de confinement et de « distanciation sociale », mais permet également à certains pouvoirs publics comme les préfectures de fermer des établissements, d’interdire rassemblements et réunions de toutes sortes et de procéder à des réquisitions de circonstance, à des fins de santé publique.
Concrètement, vous avez le droit de rester chez vous, de subvenir à vos besoins, d’aller au travail et de participer à « l’effort de guerre » (sanitaire).
Si vous dérogez à ces obligations, vous vous exposez à une amende de 135 euros la première fois, à une contravention de 1 500 à 3 000 euros en cas de récidive dans un délai de quinze jours, puis à six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende si vous êtes pris trois fois dans en l’espace d’un mois.
Cette loi signe une très large extension des pouvoirs de l’exécutif. Provisoires mais extrêmement liberticides, les règles dérogatoires au droit commun sont justifiées par des circonstances exceptionnelles, en l’occurrence une grave menace pour la population et l’ordre public.
Très proche sur le papier des « lois scélérates » de 1894 contre l’anarchisme et de l’état d’urgence sécuritaire contre le terrorisme, qui a pris fin en 2017, « l’état d’urgence sanitaire » venant de voir le jour remet temporairement en question tous les droits fondamentaux de nos régimes démocratiques.
Le vocabulaire belliqueux du président de la République ne doit pas nous faire oublier que le dernier état d’urgence est entré dans le droit commun, l’exception devenant alors la norme nationale, et que le gouvernement actuel a déjà fait preuve d’autoritarisme, en bafouant maintes fois les libertés de manifester, de se réunir et de circuler, ainsi qu’en passant de force des lois que refusait en bloc l’opinion publique.
Seul l’avenir nous dira si les pouvoirs publics emploieront vertueusement ces dispositions exceptionnelles. Mais nous sommes en droit d’en douter.

Economie et social
Enfin, le troisième volet de cette loi porte sur « les mesures d’urgence économique ». Dans un délai de trois mois, il est possible au gouvernement d’adopter — par ordonnance — toutes les mesures qu’il jugera efficaces pour empêcher la crise sanitaire d’entraîner une crise économique et sociale.
Mais à la lecture du texte de loi, on peine à discerner ce qui relève de l’intérêt public et ce qui peut constituer une surenchère libérale à la crise. Bien que le contenu précis des ordonnances doive être précisé dans les prochains jours, voici ce que nous pouvons retirer de la version brute de la loi.
En ce qui concerne les mesures « sociales », on trouve la mise en place d’un fonds de solidarité pour venir en aide aux indépendants ; l’élargissement de la visioconférence et l’assouplissement des règles de télétravail ; la suspension du jour de carence des arrêts maladie, dans le public comme dans le privé, aussi longtemps que durera l’état d’urgence ; la possibilité de reporter le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité pour les petites entreprises ou les commerces ; et l’indemnisation massive du chômage partiel, dans le cas où les employeurs seraient dans l’impossibilité de faire travailler leurs salariés.
Le mardi 24 mars, il y avait déjà 730 000 personnes en chômage partiel, mais il est plus que probable que ce chiffre augmente dans les prochains jours.
Les autres mesures sont quant à elles plus douteuses. Tout d’abord, la suspension des sommes versées au titre de l’intéressement (touchées par les salariés) et des cotisations dans un délai qui n’est pas précisé. À la fin de l’épidémie, cette dérogation devrait être concrétisée par une baisse significative d’impôts et de prélèvements, pour les grandes entreprises comme pour les petites.
Quand on sait que de nombreux géants de la grande distribution ou de la vente en ligne ne connaîtront nullement la crise, il reste à espérer qu’une partie de cet argent ne sera pas capté par ceux qui n’en ont pas besoin.
Ensuite, bien plus controversé, un article stipule que l’employeur pourra déroger aux règles des congés payés « dans la limite de six jours ouvrables » et sans « délai de prévenance », normalement fixé à quatre semaines.
Dans la version initiale de la loi, le gouvernement prévoyait que les salariés pourraient être contraints de prendre des jours de repos pendant le confinement à la seule discrétion de l’employeur. Mais devant la perspective d’une polémique, il s’est en partie rétracté et a conditionné ces dérogations à des accords d’entreprise ou de branche.
En revanche, les patrons ont encore le champ libre sur les RTT, qu’ils pourront imposer à la date de leur choix. Le Medef a d’ores et déjà suggéré de ramener les congés payés à deux ou trois semaines cette année, « pour limiter les conséquences économiques de la crise ». Rien n’est encore décidé, mais mieux vaut rester attentif dans les semaines à venir.
Enfin, l’article 7 de la loi est autrement capital : il annonce la suppression des règles des 35 heures, du repos hebdomadaire et du repos dominical dans certains secteurs « particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ».
Alimentation, production de matériel médical, transport, les métiers concernés seront détaillés d’ici peu. On sait déjà que la nouvelle limite, conformément à une directive européenne, ne pourra excéder les 48 heures par semaine.
Le vrai problème, c’est qu’entre l’avant-projet de réforme et la réforme elle-même, ces dérogations ont perdu leur caractère « provisoire ».
Comme le révèle le journal Marianne, cela veut dire que la loi pourra s’appliquer dans tout le pays jusqu’à nouvel ordre et plus simplement jusqu’à la fin de la crise. Deux hypothèses : soit le gouvernement espère maintenir ces mesures d’exception après l’épidémie pour soutenir la relance ; soit il se sert de la crise sanitaire pour normaliser un détricotage supplémentaire du code du Travail.
Dans l’ensemble, tout a déjà été annoncé durant l’allocution du Président. Ce qui compte, c’est surtout le caractère technique de la loi, les détails. Et dans l’article 7, un détail crucial, le mot « provisoire » a comme par magie disparu. À bon entendeur.