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Loi climat : le gouvernement déroule le tapis rouge aux industriels

Bien que les deux articles du projet de loi affichent des ambitions écologiques notables, le moratoire réclamé par la Convention citoyenne n’est nullement honoré ; la porte est encore laissée ouverte à l’implantation, en Guyane, de mines industrielles telles que Montagne d’Or. Tout se passe comme si le gouvernement se bornait à concevoir un modèle d’exploitation minière plus acceptable pour la population, une voie moyenne entre les exigences de la société civile et celle des opérateurs, déterminés à ne rien lâcher.

Intégrée au projet de loi « climat et résilience », la réforme du Code minier sera bientôt débattue à l’Assemblée nationale. Que peut-on en espérer ? Permettra-t-elle de protéger le territoire de la Guyane de l’orpaillage artisanal et industriel, l’activité la plus polluante du monde ? Nous avons cherché à en savoir plus. 

Lundi 29 mars, l’Assemblée nationale a commencé un examen de trois semaines du projet de loi « climat et résilience ». Issu des 149 propositions de la convention citoyenne pour le climat, ce texte de la plus brûlante actualité porte l’ambition gouvernementale « d’accélérer la transition de notre modèle de développement vers une société neutre en carbone (…) voulue par l’accord de Paris ». Consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir, renforcer la protection judiciaire de l’environnement, les six volets de la loi, égrenant 69 mesures, seront sans doute âprement débattus par les députés, dans un hémicycle divisé sur les questions écologiques. 

Insérés au titre II, chapitre 3 (« Protéger les écosystèmes et la diversité biologique »), les articles 20 et 21 du projet de loi prévoient une réforme que certains attendaient depuis au moins une décennie, celle du Code minier. Créé en 1956, à une époque où seule comptait la valorisation du territoire, le code régissant l’exploitation du sous-sol français (combustibles, métaux, minerais) est aujourd’hui jugé inopérant, voire obsolète, tant les priorités publiques et sociales ont pu s’infléchir sous l’effet de l’urgence climatique. Depuis 1994, malgré plusieurs tentatives de refonte (avortées), le texte n’a pas été modifié d’une ligne. C’est ce qui explique en partie pourquoi le gouvernement a tenu à glisser cette réforme « surprise » au sein de son projet de loi. 

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D’autres raisons entrent en ligne de compte. Après des années de louvoiement et de longues controverses médiatiques, Emmanuel Macron a annoncé que la France annulait Montagne d’Or, un projet de mine d’or géante (15 km2) en Guyane, qui devait entraîner la destruction de 1 500 hectares de forêts amazoniennes et engendrer des centaines de millions de tonnes de déchets toxiques. C’était en mai 2019. Quelques mois plus tard, la convention citoyenne pour le climat s’est prononcée à 94,4 % en faveur d’un moratoire sur l’exploitation industrielle minière en Guyane, laissant songer que les projets comme Montagne d’Or, Élysée et Espérance, les plus importants dossiers sur la table, seraient bientôt de l’histoire ancienne. 

S’ils répondent à une promesse officieuse du gouvernement, les deux articles venant réformer le Code minier ne contiennent pourtant pas, en l’état, de dispositions suffisamment claires pour mettre un terme aux graves pollutions minières dont sont victimes la Guyane, la Nouvelle-Calédonie et, en moindre mesure, le reste du territoire français. L’article 20, qui pourrait être ajouté rapidement à la loi, introduit de nouvelles exigences environnementales en amont et en aval des projets miniers. 

Selon Marine Calmet, présidente de l’association Wild Legal et porte-parole du collectif Or de question qui s’oppose à Montagne d’Or, cet article constitue une sorte de progrès. « Jusqu’ici, nous explique-t-elle, on analysait les projets uniquement par le biais des capacités techniques et financières des entreprises. La question de l’impact environnemental arrivait très tard, était mal encadrée, ce qui permettait aux opérateurs miniers de franchir beaucoup d’étapes, et notamment d’obtenir une concession minière avant même qu’une analyse environnementale soit réalisée. » La loi « climat et résilience » pourrait donc clore soixante-dix ans de no man’s land juridique, en obligeant les exploitants à apporter en amont des garanties vis-à-vis de leurs impacts environnementaux.

Le gros de la réforme, cependant, est contenu dans l’article 21, qui habilite le gouvernement à refondre « par ordonnances » toute une série d’aspects du Code minier, « dans un délai de dix-huit mois » à compter de la promulgation de la loi. Les marges de manœuvre sont ici énormes, tout comme les enjeux : il s’agit aussi bien de créer des « mines durables », de mieux structurer les marchés et les conditions d’octroi de permis, que de renforcer les prérogatives de la police des mines, notamment en ce qui concerne la « répression de l’orpaillage illégal en Guyane ». Les questions les plus cruciales du droit minier ne seront donc pas discutées par le Parlement. 

« Au regard du calendrier, qui va être celui des élections de 2022, ajoute Marine Calmet, le délai de dix-huit mois semble d’ailleurs difficile à tenir. Il n’est pas dit que, même par ordonnances, le gouvernement parvienne à mener à bien sa réforme. » Du moins avant la fin de ce mandat.  

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La présidente de Wild Legal craint que la réforme, suivant une tradition bien française, accorde trop de pouvoirs aux autorités administratives, « majoritairement en faveur de l’importation de mines sur le territoire guyanais », l’une des seules régions de France où cette industrie ne connaît pas de recul.

En 2019, Guyane La Première y dénombrait 20 permis de recherche, « une trentaine de concessions et permis d’exploitation » et près de 90 autorisations d’exploitation (AEX), cette catégorie regroupant les mines dites artisanales. Accordées à des orpailleurs locaux, souvent historiques, ces exploitations alluvionnaires, plus petites, sont celles que les pouvoirs publics présentent comme des mines durables et aimeraient favoriser. Mais elles sont tout autant polluantes, une affaire récente l’a prouvé. 

« Vu que la majorité des projets guyanais sont des petites mines, explique Marine Calmet, l’État va continuer à disséminer ces exploitations, qui sous couvert de petite taille, seront exonérées d’analyse environnementale et sociale. Cette politique incohérente mettra d’autant plus à mal la forêt amazonienne et accélérera les phénomènes de pollution incontrôlés. »

Le projet de loi prévoit de modifier la compétence en matière de révision du schéma départemental d’orientation minière de Guyane, qui « définit un zonage des secteurs ouverts et interdits à l’activité minière et fixe au besoin des contraintes particulières sur certaines zones ». De ce document dépendent les actes de la préfecture, seule à trancher lorsqu’il faut accorder des autorisations. Pour Marine Calmet, alors que jusqu’ici le préfet était seul compétent, le président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), Rodolphe Alexandre, « qui tient des positions ouvertement pro-mines, pourrait se voir attribuer des compétences élargies dans la politique minière, et c’est inquiétant. » À l’avenir, le président de la CTG sera donc peut-être habilité, avec le préfet, à réviser ce texte réglementaire, ce qui ne semble pas aller dans le sens d’une meilleure gestion, ni de l’abandon progressif des mines.

« En Guyane, notamment avec la crise de la pandémie, commente Marine Calmet, on risque de voir réapparaître le serpent de mer des mines d’or, considérées comme le seul secteur économique susceptible de créer un effet d’entraînement. Mais c’est faux : un rapport du cabinet Deloitte publié en 2018 a prouvé que les activités durables, la pêche, l’agriculture biologique, étaient largement plus pourvoyeuses d’emplois sur ce territoire. »

Lire aussi : « Châteauneuf-du-Pape : la lutte des vignerons contre l’élargissement d’une carrière de calcaire »

En somme, bien que les deux articles du projet de loi affichent des ambitions écologiques notables, le moratoire réclamé par la Convention citoyenne n’est nullement honoré ; la porte est encore laissée ouverte à l’implantation, en Guyane, de mines industrielles telles que Montagne d’Or. Tout se passe comme si le gouvernement se bornait à concevoir un modèle d’exploitation minière plus acceptable pour la population, une voie moyenne entre les exigences de la société civile et celle des opérateurs, déterminés à ne rien lâcher. 

« Nous espérions une réforme d’envergure nationale, débattue par l’ensemble des représentants du peuple et des acteurs locaux, dénonce Marine Calmet. Il nous paraissait vital que la Guyane soit consultée sur son avenir, elle qui héberge tout de même 50 % de la biodiversité de la France. À la place, nous obtenons une loi non autonome qui pourrait relancer l’industrie minière, incompatible avec la protection du climat. Dans le domaine minier, aucune neutralité carbone n’est possible. »

Enfin, l’interdiction des procédés de cyanuration ne semble pas prévue, preuve s’il en est que les  mines géantes sont encore loin d’être abandonnées. Pour extraire de l’or à grande échelle, l’industrie minière utilise des bains de cyanure : les roches contenant de l’or sont broyées puis mélangées à de l’eau cyanurée, qui sépare le minerai recherché des matières jugées inutiles. L’extraction d’une seule tonne d’or exige d’employer cent cinquante tonnes de cyanure en circuit fermé. 

Mais ce composé chimique, dont quelques millilitres suffisent à envoyer un être humain au royaume des morts, se retrouve souvent dans l’environnement, à cause d’erreurs humaines, d’aléas climatiques, de fuites ou tout simplement lorsque la roche est remise en place. Dans ce cas, il est capable de ravager un écosystème. Ces 25 dernières années, indique la Ligue des droits de l’homme, plus de 30 accidents majeurs associés à des déversements de cyanure ont eu lieu dans le monde. Des associations comme Or de question demandent depuis très longtemps d’interdire l’usage de ce procédé, mais le gouvernement n’est pas disposé à passer cette étape, qui signerait la fin pure et simple de la mine industrielle. Le cyanure étant le produit le plus efficace et le moins coûteux pour extraire de l’or, son retrait ferait perdre toute rentabilité à la filière. 

« Le lobby minier a donc réussi à maintenir le statu quo en Guyane. Nous n’avons aucune certitude qu’on puisse empêcher l’apparition future de projets géants, ou la multiplication des petits », conclut Marine Calmet. 

Augustin Langlade

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