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Quand l’obsolescence programmée est celle de la planète et de l’humanité

Est-il normal que les petites merveilles de technologie que nous acquérons au prix d’un aller-retour pour le bout du monde, chérissons au creux de notre poche et scrutons avidement lors de nos trajets ; ces merveilles-là que nous appelons téléphones quand elles sont réveil, livre, jouet et meilleur ami – est-il normal qu’elles succombent si vite […]

Est-il normal que les petites merveilles de technologie que nous acquérons au prix d’un aller-retour pour le bout du monde, chérissons au creux de notre poche et scrutons avidement lors de nos trajets ; ces merveilles-là que nous appelons téléphones quand elles sont réveil, livre, jouet et meilleur ami – est-il normal qu’elles succombent si vite à une chute malheureuse, leur œil rétroéclairé strié de balafres livides ? Ou qu’elles perdent soudain leur magnétisme impérieux sitôt qu’entrent sur les scènes publicitaires les nouvelles stars au nom incrémenté d’une unité : elles sont plus fines, plus rapides, plus compréhensives, c’est promis.

Programmé pour casser

Ce qui nous motive à délaisser nos compagnons numériques, ou autres ordinateurs, machines à laver, ampoules électriques ou bas de nylon, n’est pas toujours fruit du hasard. Si le bénéfice du doute peut toujours être accordé à un objet défectueux, il se peut également que l’on soit victime d’obsolescence programmée. Ce terme, qui date de 1932, désigne – et c’est la loi qui le dit – « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement ». En quelques mots, il couvre tous les cas de pannes, de casse, ou d’impossibilité d’usage prévus par les constructeurs d’objets.

Les exemples, avérés ou soupçonnés, de délit d’obsolescence programmée, ne manquent pas. Vos collants filent après « deux à cinq utilisations » ? Vous êtes victime d’une conception du produit pour une durée limitée (dès 1937, un chimiste français avait conçu des bas quasiment impossibles à filer). Votre imprimante rend l’âme exactement à la millième impression ? C’est parce que son constructeur l’a conçue pour se mettre en grève à ce moment même. Votre réparateur de téléphone avoue son impuissance face à votre superbe mais inerte Galaxy S7 ? C’est parce que sa batterie a été pensée pour être irremplaçable – consolez-vous, le S8 vient de sortir. Ces trois situations sont recensées par l’expert en communication des organisations Thierry Libaert comme les trois types d’obsolescence programmée.

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Manœuvres subtiles

Mais il en existe d’autres, moins détectables, et pour lesquels la responsabilité des constructeurs est plus difficile à mettre en évidence. En ce qui concerne les produits de haute technologie, Greenpeace recense dans un panorama récent quelques situations qui fleurent bon l’obsolescence programmée : on y trouve par exemple la fragilité suspecte des écrans de smartphone (alors qu’il existe des matières plus résistantes aux chocs), la non-disponibilité des pièces de rechange, ou encore l’impératif de posséder des outils spéciaux (comme un tournevis triangulaire pour démonter une batterie Apple) pour procéder à des réparations.

Enfin, le Centre européen de la consommation (CEC) dresse dans un rapport de 2013 d’autres situations d’obsolescence programmée qui dépassent la simple défaillance technique simulée. Le point de départ de cette étude est le constat suivant : « les appareils électroménagers courants ont une durée de vie actuelle de 6 à 8 années alors qu’il y a encore quelques années, la durée de vie de ces mêmes appareils était de 10 à 12 années » (selon une étude réalisée par l’ONG Amis de la Terre). Au-delà des fausses pannes, les raisons peuvent être les suivantes : l’obsolescence par incompatibilité (comme quand votre iPhone 4 est relégué au placard car il ne fait pas tourner iOS 10), l’obsolescence indirecte (par exemple, quand il devient impossible de trouver un chargeur compatible avec votre vieux modèle), l’obsolescence par péremption (dans l’alimentaire, quand les dates de validité sont fallacieuses), l’obsolescence esthétique (celle, très insidieuse, qui vous pousse à remplacer un objet fonctionnel mais démodé), et enfin l’obsolescence écologique (l’encouragement à remplacer une voiture par une prime écologique).

La loi, et celle du marché

Il faut bien distinguer, dans cette longue liste, les cas où l’obsolescence est directement voulue par le constructeur (défaut technique prévu, produits irréparables) de ceux où l’obsolescence est plutôt le fruit de la société de consommation (notamment l’obsolescence dite « esthétique »). Les premiers cas sont en effet couverts par la loi, qui en a fait un délit passible de jusqu’à deux ans de prison et 300 000 euros d’amende. Cette pénalisation, qui date de la loi sur la transition énergétique (2014), s’accompagne d’une obligation, pour les produits d’une valeur équivalente à 30% du SMIC, d’afficher la durée de vie sur l’étiquette.

Dans les autres cas, cerner les tenants et les aboutissants de l’obsolescence est une tâche plus subtile. Si les motivations des constructeurs sont les mêmes (vendre plus de produits), difficile de leur reprocher, autrement qu’au niveau philosophique de la question, d’offrir de nouveaux produits à leurs clients. Selon Laetitia Vasseur, fondatrice de l’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée), la tendance au « tout jetable » a imprégné nos modes de vie depuis une soixantaine d’années, à tel point que personne n’a vraiment envie d’en sortir : d’abord, bien sûr, les industriels, mais aussi « les distributeurs et l’État, dont la moitié des recettes vient de la TVA, donc de la surconsommation », et enfin les consommateurs, heureux de bénéficier de produits low cost à la pointe de la mode.

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Obsolescence contagieuse

Pourtant, le système a de nombreux vices. Les plus évidents menacent notre planète : alors que les objets de notre quotidien courent de plus en plus vite à la poubelle, notre consommation de ressources naturelles explose (88% de l’empreinte carbone d’un iPhone 6 provient de sa fabrication, contre 12 % seulement pour son utilisation), de même que notre production de déchets (14 kg de déchets d’équipements électriques et électroniques par an par personne en moyenne en Europe).

Ensuite, au cœur de la question de l’obsolescence programmée se cache l’absurdité de notre société de consommation : à force de consommer plus, plus souvent et plus vite, nous perdons pied. « La technologie, censée nous faire gagner du temps, nous entraîne en fait dans une boucle infernale de temps perdu. (…) Nous sommes entrés dans un cercle aberrant : nous passons beaucoup de temps à travailler pour pouvoir consommer davantage de produits. (…) Cette perte de présence à soi et aux autres conduit à une société du stress et de l’angoisse permanente », diagnostique avec clairvoyance Laetitia Vasseur dans un entretien avec Le Monde.

Allant plus loin, le philosophe Bernard Stiegler voit la standardisation – et l’omniprésence – du mode de consommation moderne comme une nouvelle aliénation :

« victimes du consumérisme, nous devenons nous-mêmes produits, incapables de juger notre réalité sans les critères du marché, et donc incapables d’actes inestimables comme « aimer quelqu’un, admirer une œuvre, défendre une idée… ».

Réparer les vivants

Sommes-nous pour autant condamnés ? Plaidant le retour à la lenteur, à la réparation et aux produits de seconde main, Laetitia Vasseur veut penser le contraire. « Chacun doit revoir son propre rapport aux choses et prendre conscience de l’influence de la publicité pour s’en extraire », plaide-t-elle. Le secteur de la réparation, aujourd’hui en berne (seuls 44% des appareils électroniques sont réparés), doit être le moteur de cette prise de conscience.

Pour nous inspirer, les défenseurs du bricolage invoquent l’exemple de la Suède qui étudie actuellement une proposition de loi pour réduire la TVA des travaux de réparation de moitié. « Je crois qu’il y a un changement en cours en Suède. Il y a une sensibilité accrue sur le fait que nous devons faire que les choses durent plus longtemps afin de réduire la consommation de matériaux », avait déclaré en septembre dernier le ministre suédois des marchés financiers et de la consommation.

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