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Les lobbyies des pesticides et l’UE sont intouchables. Le boycott comme seule option

Les pesticides sont aujourd’hui partout : dans notre air, dans notre eau, dans notre nourriture, dans nos meubles… ; et pour cause, ils garantissent nos rendements agricoles et permettent l’accès à la nourriture à faible coût. Pourtant, ils sont dans certains cas hautement dangereux, et sont de plus en plus pointés comme la cause de maladies (troubles […]

Les pesticides sont aujourd’hui partout : dans notre air, dans notre eau, dans notre nourriture, dans nos meubles… ; et pour cause, ils garantissent nos rendements agricoles et permettent l’accès à la nourriture à faible coût. Pourtant, ils sont dans certains cas hautement dangereux, et sont de plus en plus pointés comme la cause de maladies (troubles de Parkinson, leucémies, myélomes, troubles neurologiques, cancers), à tel point que leurs concepteurs sont aujourd’hui épinglés par la justice, à l’instar de Monsanto, condamné pour avoir provoqué la maladie d’un agriculteur via un de ses produits, le Lasso. Inquiets, gouvernements et sociétés civiles explorent aujourd’hui des solutions viables pour un monde sans pesticides.

Définition et historique des pesticides

Dans le mot « pesticide », il y a le suffixe « cide », que l’on retrouve dans des mots comme régicide, parricide, ou homicide ; c’est la racine latine du mot « tuer ». La définition est donc clairement donnée par l’étymologie, l’objectif est de tuer les « pest », c’est-à-dire les nuisibles (plantes, animaux, champignons, maladies, insectes). Il s’agit donc de produits chimiques d’origine naturelle ou synthétique détenant un principe actif qui neutralise un organisme donné. La plupart du temps, les pesticides, aussi appelés produits phytosanitaires, contiennent aussi d’autres produits (produits de dilution, catalyseurs) qui améliorent l’efficacité du principe actif.

Depuis l’invention même de l’agriculture, l’homme utilise des pesticides pour éloigner insectes, champignons, mauvaises herbes et animaux ravageurs des cultures. Dans la Grèce antique, les premiers agriculteurs utilisaient le soufre et l’arsenic comme insecticides. Mais jusqu’au XXème siècle, les produits utilisés contre les nuisibles sont entièrement naturels (ce qui ne les empêche pas, à l’instar du mercure, d’être toxiques).

Le milieu du XXème siècle voit l’avènement de la chimie de synthèse. Avec les progrès de la science, des pesticides à l’efficacité redoutable trouvent le chemin des champs et des maisons : le DDT (pour dichlorodiphényltrichloroéthane) notamment, est largement utilisé à partir des années 1950 comme insecticide contre les moucherons, mais aussi dans le civil contre les moustiques vecteurs de maladies. Il sera interdit en Union Européenne en 1970, car considéré trop polluant, mais il est encore largement utilisé dans les pays victimes du paludisme.

Avec la Seconde Guerre mondiale, de nombreux produits apparaissent, fruits de la recherche militaire. Ceux-ci ouvrent la voie à une généralisation de l’utilisation de produits phytosanitaires dans l’agriculture et dans la sphère privée (dans la maison, dans le jardin). Très vite aussi, les voix s’élèvent pour dénoncer le coût écologique de tels produits : dès 1962 avec le livre Printemps silencieux de la biologiste Rachel Carson (qui attaque les effets néfastes du DDT sur la faune, notamment les oiseaux), la résistance s’organise.

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Etat des lieux des pesticides aujourd’hui

Les pesticides se rangent en trois grandes catégories : les insecticides, les fongicides (contre les champignons), et les herbicides. Sans entrer dans les détails de composition chimique, indiquons qu’aujourd’hui la grande majorité de ces produits sont issus de la synthèse, qui donne des produits à l’efficacité bien supérieure à celle des matières traditionnelles. Parmi la troisième catégorie, le plus connu – et le plus utilisé – est le tristement célèbre glyphosate, ou RoundUp de Monsanto, un désherbant total commercialisé depuis 1974. D’autres pesticides existent aussi, destinés à la lutte contre les limaces, les rongeurs, ou encore les corbeaux.

Si les produits évoluent en permanence, pour contrer les mutations résistantes des nuisibles, la consommation de pesticides dans le monde est en hausse constante depuis leur invention (+9,4% entre 2013 et 2014). Porté par de gigantesques multinationales (Bayer-Monsanto, Dow Chemicals, Sygenta, BASF), le marché des pesticides pèse aujourd’hui 50 milliards d’euros dans le monde.

En France, premier producteur agricole en Europe et deuxième consommateur de pesticides derrière l’Espagne (quatrième mondial), les rendements, pourtant, ne progressent plus : céréales, oléagineux, poires, pommes ou betteraves sont moins productifs qu’en 2009. On déverse pourtant sur nos campagnes près de 65 000 tonnes de produits phytosanitaires purs chaque année, notamment sur les cultures maraîchères et la vigne (20% des usages).

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Un danger avéré pour l’environnement et l’humanité

L’ensemble des produits répandus dans la nature représente un danger pour l’environnement et pour l’homme. Tout d’abord, ils sont à l’origine d’une pollution avérée des cours d’eau : en 2013, la présence de pesticides est constatée dans 92 % des 2 950 points exploitables de surveillance de la qualité des cours d’eau français. Plus grave encore, les insecticides font souvent plus de victimes que prévu, et les abeilles, notamment, sont décimées. Or, il est maintenant prouvé que nos cultures, et plus largement notre écosystème, repose fortement sur l’action de ces pollinisateurs : « plus de 75% des principales cultures mondiales destinées à l’alimentation dépendent d’une manière ou d’une autre de la pollinisation animale », énonce l’IPBES (plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques).

Mais n’oublions pas qu’avant de contaminer la biodiversité, ces produits sont répandus sur notre nourriture ! Au total, en France, ce sont 1868 produits dangereux pour la santé (toxiques, cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, etc) qui sont utilisés par les filières agricoles. Une pomme par exemple, subit en moyenne 24 traitements avant d’arriver sur les étals des supermarchés, nous exposant à un cocktail explosif de produits toxiques. Selon une étude de 2013, 45% des aliments contiennent un taux toxique de pesticides (sans compter que ces taux légaux sont probablement loin d’être pertinents en ce qui concerne les effets à long terme d’un microdosage prolongé).

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Isolons trois grands suspects parmi ces substances nocives que nous ingérons à notre insu chaque jour :

Le Folpel, produit vendu (à hauteur de 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour la branche pesticides) principalement par le géant Bayer-Monsanto, se retrouve dans l’air de 15 des 22 anciennes régions françaises. Or, celui-ci figure dans listes des cancérigènes probables : ce n’est pas par hasard qu’en Gironde, terre viticole et donc abreuvée de Folpel, le risque de leucémie est 20% plus élevé.

L’Atrazine, interdit en France depuis 2001 mais auparavant utilisé à hauteur de 5 000 tonnes par an comme désherbant, et encore utilisée dans plusieurs régions du monde. Anciennement distribué par Syngenta, leader du marché avec 20%, il est encore présent en concentration nocive dans l’eau de 420 000 personnes en France. Pourtant, celui-ci est classé par l’UE comme perturbateur endocrinien (mettant en danger le développement des organes sexuels) et a été reconnu comme facteur de risque (+70%) de réduction du périmètre crânien chez les enfants dont la mère y a été exposée. Celui-ci entraîne de plus des coûts de dépollution de l’eau et des sols non négligeables (entre 260 et 360 millions d’euro par an) qui sont assumés par le contribuable, Syngenta refusant de reconnaître sa responsabilité.

Le Chlorpyriphos enfin, pesticide très utilisé en France et aux Etats-Unis, a été reconnu comme étroitement lié à la recrudescence actuelle des cas d’autisme (aux Etats-Unis, nous sommes passés de 1 cas sur 5000 naissances en 1975 à 1 cas sur 68 naissances aujourd’hui). Si aucune preuve formelle n’existe, le fait que le taux d’autisme soit 6 fois plus élevé dans les foyers côtoyant des champs arrosés au chlorpyriphos parle de lui-même. Pourtant, 749 tonnes en sont encore vendues chaque année en France.

En plus d’être maintenant dangereux pour notre santé, nos aliments sont également de moins en moins riches en bonnes choses. Une étude américaine de 2007 s’est ainsi appliquée à démontrer la déperdition en nutriments essentiels de nos aliments. Les chiffres sont éloquents : pour atteindre la dose de vitamine C d’une pomme de 1950, il faudrait manger 100 pommes Golden de supermarché ; de la même façon, le brocoli moyen contient quatre fois moins de calcium aujourd’hui qu’au milieu du XXème siècle.

On pourrait aligner les exemples, puisque la pauvreté se transmet le long du cycle de production alimentaire, depuis les céréales qui nourrissent notre bétail jusqu’au fumier que l’on répand sur les champs pour les enrichir en nutriments. En cause : une utilisation à outrance des pesticides pour des rendements toujours supérieurs, qui appauvrissent la terre en ne lui laissant pas le temps de se régénérer. S’ajoute à cela la réduction du nombre d’espèces, et la quête éperdue du produit parfaitement standardisé : trop beau pour être vrai, et bien pauvre en comparaison du produit bio biscornu et terreux. Pour cause selon une étude relayée par le Nouvel Obs, manger une pomme de 1950 équivaut à 100 pommes d’aujourd’hui ! Hier, quand nos grand-parents croquaient dans une transparente de Croncels, ils avalaient 400 mg de vitamine C, indispensable à la fabrication et à la réparation de la peau et des os.

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Aujourd’hui, les supermarchés nous proposent des bacs de Golden standardisées, qui ne nous apportent que 4 mg de vitamine C chacune. Soit cent fois moins !!!! Philippe Desbrosses, docteur en sciences de l’environnement à l’université Paris-VII et militant pour la préservation des semences anciennes, déplore :

« près des décennies de croisements, l’industrie agroalimentaire a sélectionné les légumes les plus beaux et les plus résistants, mais rarement les plus riches sur le plan nutritif. »

Le silence des responsables

Les scientifiques sont formels : il existe un lien entre maladies et exposition aux pesticides. Dans une synthèse de 2013, l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), affirme : « la synthèse des études épidémiologiques analysées dans cette expertise montre qu’il existe une présomption de lien, parfois forte, entre une exposition à des pesticides et des pathologies chez l’adulte comme certains cancers ou des maladies neurodégénératives ». Les mots sont prudents, c’est vrai ; car dans le domaine de la science, isoler les causes est extrêmement complexe, surtout quand il s’agit de dosages microscopiques comme dans beaucoup de cas. L’évidence, pourtant, ne peut être niée.

En dépit de cela, les responsables que sont les multinationales à l’origine de ces produits, nient. Bien que, dans le cas de Bayer par exemple, 680 pesticides aient été retirés de la vente à cause de leur dangerosité depuis 1987, l’industrie réfute ces attaques et déploie beaucoup d’efforts en lobby pour faire taire les critiques.

La lente prise de conscience des autorités

En tant que citoyens, nous comptons sur la réglementation, française et européenne, pour nous protéger des produits nocifs. Il apparaît ici que cette réglementation est légèrement dépassée. Bien que beaucoup de produits soient interdits chaque année, beaucoup passent entre les mailles du filet car leurs effets sont mal mis en évidence. Pourtant, devant le coût économique lié à l’impact sanitaire des pesticides (estimé à 40 milliards de dollars aux Etats-Unis), qui devient parfois supérieur à celui d’une baisse des rendements qu’entraînerait l’abandon des pesticides, nos législateurs réagissent petit à petit.

En 2009, le gouvernement français a lancé le plan Ecophyto, visant à réduire de 50% l’usage des pesticides d’ici 2018. À ce jour, ce plan est un échec et vient d’être renouvelé avec le même objectif à l’horizon 2025. La même lenteur est constatée au niveau européen, où les élus sont lourdement critiqués pour leur écoute des lobbys industriels. Dernier exemple en date : le rejet par l’ECHA (Agence Européenne des Produits Chimiques) du classement du glyphosate, principe actif du Roundup, parmi les agents cancérogènes – en contradiction avec l’expertise de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé).

Autre concession remarquée au lobby, la dérogation de dernière minute accordée par la Commission à une gamme de pesticides du trio BASF, Bayer et Syngenta dans la réglementation sur les perturbateurs endocriniens, votée en décembre dernier après trois ans de retard. Cette exemption, qui concerne près de 8 700 tonnes de produits commerciaux par an, a sauvé de l’interdiction, à la demande expresse des industriels, toute une gamme de produits dont le rôle est pourtant explicitement d’agir sur les mutations de nuisibles… sans que l’on sache aujourd’hui – mais on s’en doute – si cette action peut s’étendre à d’autres organismes « non-cibles » de la chaîne alimentaire.

Seul résultat encourageant du plan Ecophyto : la réussite du réseau de fermes pilote Dephy. Celui-ci comptait en 2016 près de 3000 fermes engagées dans une démarche de réduction de l’utilisation des engrais et pesticides. Et ça marche ! Entre 2010 et 2015, sur l’ensemble du réseau, l’utilisation de produits phytosanitaires a été réduite de 18%, et ce en gardant le même niveau de production et de rendement. Ce résultat s’accompagne d’une deuxième bonne nouvelle : entre 2014 et 2015, les ventes de pesticides à usage agricole ont enregistré leur première baisse depuis 60 ans (-2,7%). Enfin, la formation et la prévention des agriculteurs a fait un bond en avant : 575 000 professionnels détiennent désormais le Certiphyto (certificat individuel à destination des utilisateurs de produits phytosanitaires). Un chiffre qui représente 97% de la profession !

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Un autre monde est possible

La réelle prise de conscience en marche, pourtant, est celle de la société civile. Désormais conscients et informés des risques, nous demandons des alternatives bio et respectueuses de l’environnement. En conséquence, l’agriculture biologique est en essor : les surfaces engagées en « bio » ont bondi de 17 % en un an, pour atteindre 1,3 million d’hectares à la fin de 2015. Le nombre de producteurs ayant aboli pesticides et engrais chimiques a progressé de 8,5 % : ils sont désormais 28 725. Cela ne représente que 6,5 % des fermes françaises, mais près de 10 % des emplois agricoles.

Malheureusement, manger bio coûte plus cher au consommateur (58% plus cher en moyenne) et demande plus de place (car les rendements baissent) à l’agriculteur. Comment concilier abandon des pesticides et accès à une alimentation saine à prix juste ?

Selon plusieurs experts, dont la tête de ligne est l’agriculteur et essayiste Pierre Rabhi, la solution est l’agroécologie, ou permaculture :

« il y a même une forme d’agriculture biologique, la permaculture, qui accroît d’emblée des rendements, allant jusqu’à le doubler (…) sauf que ça demande du travail », plaide Marc Dufumier agronome.

Ils prônent une agriculture des circuits courts, où les produits ne sont pas cultivés de façon intensive et isolée (un champ par produit), mais tous ensembles dans un système vertueux.

Cette technique, encore balbutiante, n’a pas totalement fait ses preuves mais renferme un potentiel incroyable : une étude menée par l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) sur une ferme biologique a montré « que l’on peut réaliser au moins 32 000 euros de chiffre d’affaires pour 1400 heures de travail sur une surface cultivée d’environ 1000 mètres carrés », soit l’équivalent d’une activité économique à temps plein. En comparaison, la taille moyenne d’une exploitation agricole française est de 55 hectares, soit 550 fois plus.

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