Pour la première fois, des scientifiques ont quantifié les émissions massives de méthane dues à l’exploitation des énergies fossiles grâce à l’imagerie satellite. Ils estiment que ces « fuites » ont un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an. En plus de diminuer leur impact climatique, réparer ces fuites permettrait aux pays qui en sont responsables de faire des milliards de dollars d’économies.
Publiée le 4 février 2022 dans la revue Science, une étude internationale menée par le CNRS, le CEA et la société Kayrros révèle des centaines de fuites majeures de méthane causées par l’industrie pétrolière et gazière. Il s’agit de rejets sporadiques de grandes quantités de méthane causés lors d’opérations de maintenance ou de pannes d’équipements, qui était jusqu’alors non pris en compte dans les estimations.
Pour y parvenir, les chercheurs ont analysé des milliers d’images produites quotidiennement pendant deux ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Ils ont ainsi cartographié 1 800 panaches de méthane à travers le globe, entre 2019 et 2020, dont 1 200 ont été attribués à l’exploitation d’hydrocarbures.
Avec 8 millions de tonnes de méthane émis par an, ces fuites représentent 8% à 12% des émissions mondiales de méthane provenant de la production et du transport de pétrole et de gaz, et ce n’est que « la partie visible de l’iceberg », avertit le CNRS.
« Le satellite n’est capable de détecter de manière systématique que les panaches les plus massifs, qui sont aussi les plus intermittents (plus de 25 tonnes de CH4 par heure). L’étude montre que ces rejets massifs ne sont pas aléatoires et chaotiques, mais détectés systématiquement au-dessus de certains sites d’extraction du pétrole et du gaz. L’observation de ces rejets, qui dépendent des protocoles suivis lors d’opérations de maintenance et de la réactivité face aux fuites accidentelles, montre que les régulations mises en place par les Etats et les entreprises ont un rôle majeur. » expliquent les chercheurs
Ainsi, l’analyse de ces fuites a été limitée en Russie ou dans les tropiques du Canada. De surcroît, l’étude n’a pas pu être conduite en Chine ou dans le bassin permien aux Etats-Unis. Avec ces nouvelles données, six pays sont à l’origine de la majorité des fuites : le Turkménistan, la Russie, les Etats-Unis, l’Iran, le Kazakhstan et l’Algérie.
Or, ces rejets massifs représentent une véritable bombe climatique car le méthane(CH4) est un contributeur majeur au changement climatique, avec un pouvoir de réchauffement environ 30 fois supérieur à celui du CO2 sur une période de 100 ans.
Si les rejets ne sont pas aléatoires, c’est qu’ils ne proviennent pas d’accidents mais majoritairement de manœuvres intentionnelles.
Thomas Lauvaux, premier auteur de l’étude et chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, explique ainsi pour LeMonde que de nombreuses fuites proviennent d’opération de maintenance au cours desquelles les industriels ouvrent un pipeline pour le vidanger en laissant s’échapper le méthane dans l’atmosphère, au lieu de le traiter comme ils sont supposés le faire.
C’est pourquoi ces émissions massives de méthane n’étaient pas prises en compte jusqu’alors dans l’impact climatique des pays, elles n’étaient pas déclarées par les industriels.
Maigre espoir : réduire ces émissions est « l’une des actions les plus simples et les moins coûteuses en matière de lutte contre le réchauffement climatique ». Colmater et changer les pratiques de maintenance permettrait même aux pays concernés de faire des milliards de dollars d’économies nettes (6 milliards pour le Turkménistan (soit 5,2 milliards d’euros), 4 milliards pour la Russie ou 1,6 milliard pour les Etats-Unis).
Pour y parvenir, les régulations mises en place par les Etats et les entreprises ont un rôle majeur. Ce phénomène illustre une fois de plus que seuls des accords contraignants permettront aux pays et industriels de tenir leurs engagements climatiques.
En novembre 2021, pour la première fois, un accord international a été signé par plus de cent pays lors de la COP26 de Glasgow pour réduire leurs émissions de méthane d’au moins 30 % d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 2020. Cet objectif éviterait 0,2°C de réchauffement d’ici à 2050. Or, il n’a pas de valeur contraignante.