Cela fait maintenant plus de trois ans qu’elle fait ses preuves : l’école bienveillante de Trappes, dans les Yvelines, incarne l’essor actuel des écoles alternatives et l’intérêt croissant des familles, professeurs ou scientifiques pour ces pédagogies plus compréhensives. Inspirée de la méthode Freinet, l’école bienveillante fait de son leitmotiv la libre expression des enfants, la valorisation des émotions et la coopération.
Exprimer plutôt que réprimer
Avant d’apprendre, il faut comprendre. Se comprendre, comprendre ce que l’on ressent, comprendre les autres… L’exemple de l’école bienveillante de Trappes s’appuie sur ce constat. Les professeurs encouragent les enfants à exprimer leurs émotions, mais aussi et surtout, à les comprendre. Sur un des murs de la salle de classe, on trouve un grand panneau noir sur lequel les enfants peuvent aller à tout moment signifier leur humeur du jour en collant un petit papier, comme le fait le petit Fouad qui se sent joyeux ce jour-là. Plus loin, une chaise spéciale a été installée dans la salle de classe, permettant de recueillir les états d’âme des écoliers. Sur cette chaise des émotions, les jeunes élèves peuvent se laisser aller, prendre le temps de comprendre leurs émotions en les couchant par écrit sur de petits carnets par exemple : « ça me permet d’écrire ce que je pense et de me calmer », explique une jeune écolière qui vient de s’y assoir.
Ici, l’apprentissage de la gestion des émotions n’est pas synonyme d’un refoulement, devenu si prégnant dans notre société. Dans ce système éducatif où l’accent est mis volontairement sur le rapport aux autres, la verbalisation des émotions devient la véritable clé de voûte de cette pédagogie alternative.
L’horizontalité comme fil rouge
Après l’émotionnel vient le relationnel, second pilier de ces écoles bienveillantes. A Trappes, on troque la traditionnelle verticalité professeur-élèves pour une horizontalité entre les élèves. Le travail, tout comme les jeux, se fait en équipe. Dans cette salle de classe, les élèves ne se font jamais sermonner pour avoir aidé leur voisin. Bien au contraire, l’entraide est le maître mot. Le moment de la correction de la dictée en est un bon exemple. Ce matin-là, la dictée est corrigée par un petit groupe de trois élèves, où chacun dicte et écrit à tour de rôle, ce qui les incite vivement à la solidarité et à ce que personne ne soit laissé de côté : « ils vont faire de manière à ce que tout le monde soit traité exactement de la même manière » explique l’institutrice.

On encourage la coopération, la solidarité et le respect entre les enfants que ce soit à l’intérieur de la salle de classe ou dans la cour de récréation, par une gestion de la conflictualité originale, s’appuyant encore une fois sur l’importance du dialogue : on s’explique et on se pardonne sous le regard bienveillant de la maîtresse, pour éviter que ce ne soit le « corps qui parle ».
A Trappes, dans une zone catégorisée réseau d’éducation prioritaire, les résultats se sont peu à peu fait sentir. Le travail en groupe favorise les synergies et a le mérite de booster la motivation des élèves qui « vont donner le meilleur pour chacun et pour eux-mêmes ». Du côté de l’apprentissage, l’entraide et la gestion compréhensive des émotions semblent favoriser les capacités cognitives de l’enfant. Cette pédagogie leur permettrait également d’acquérir un vocabulaire plus riche ainsi que de meilleures capacités à oraliser, débattre et argumenter. Au niveau comportemental, les élèves apparaissent plus calmes et les attitudes violentes se font plus rares.
A la recherche du meilleur système
Si le Ministère de l’Education nationale préconise seulement depuis 2014 la bienveillance à l’école, les méthodes prônées dans ces écoles alternatives existent pourtant depuis près d’un siècle. Montessori, Freinet, Steinert-Waldorf, Decroly, autant de pédagogies que l’on redécouvre aujourd’hui, dans une quête effrénée de la meilleure pédagogie face aux échecs actuels de notre école traditionnelle. Ces méthodes reposent souvent sur des pédagogies plus douces, plus compréhensives et moins coercitives, se nourrissant des neurosciences, de la psychologie positive ou cognitive. Là où Montessori privilégie l’apprentissage par l’autonomie, le sensoriel et le kinésique, les écoles bienveillantes, dans une dynamique voisine, favorisent la verbalisation des émotions et le travail d’équipe par l’acceptation de l’autre.


Presque toutes ont en commun d’éclipser la figure autoritaire d’un maître qui note, et la relation asymétrique que cela suppose. Pour reprendre l’exemple de Trappes, ce sont les élèves qui se corrigent entre eux, chacun leur tour correcteur et corrigé : on ne cherche pas à perpétuer une école de la hiérarchie, de la concurrence, où on écraserait l’autre. Ces pédagogies rejoignent d’ailleurs les systèmes éducatifs déjà présents dans les pays nordiques. Par exemple, les élèves suédois ne se voient pas attribuer de notes avant leurs quatorze printemps. Dans tous les cas, la question de l’évaluation des élèves demeure aujourd’hui cruciale, et la persistance de la note est de plus en plus critiquée. Il y a tout juste deux ans, une étude du CNRS révélait que la suppression des notes semblait être positive pour les élèves en difficulté, pointant ainsi du doigt une notation systématique et archaïque, anxiogène et souvent peu informative.
Des pédagogies miracles ou mirages ?
Les détracteurs de ces pédagogies alternatives ont tendance à discréditer leur scientificité et les résument souvent à des phénomènes de mode. Pour ne pas justement tomber dans ces écueils, l’école bienveillante doit bien veiller à être rigoureuse et exigeante. L’école alternative ne peut pas se contenter d’investir un rôle moral au détriment du processus d’apprentissage plus scolaire. Elle ne doit pas non plus occulter les difficultés qui peuvent exister dans certains établissements de zone d’éducation prioritaire par exemple. Les deux dimensions doivent pouvoir se compléter pour construire l’école de demain. Dans une société irritée, où le lien social est malade, le remède ne naîtrait-il pas dans l’éducation et l’expression de ces futures générations de citoyens empathiques et solidaires ?
Contre la caricature de ses détracteurs, il s’agit donc de montrer que la bienveillance à l’école n’est ni synonyme de complaisance ni de laxisme, et qu’elle peut curer par plus de mots, les maux de notre école actuelle, voire de notre société.

Pour commander notre nouveau Livre-Journal, cliquez sur l’image !