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La liberté de la presse française mise K-O par une poignée de milliardaires… Un bilan alarmant

Comme chaque année, Reporters Sans Frontières (RSF) a publié son classement mondial de la liberté de la presse. En 2018, l’ONG est claire : « la haine du journalisme menace les démocraties ». Sur 180 pays passés au crible, la France se situe seulement en 33ème position. En cause : la domination de nombreux médias français par de grands […]

Comme chaque année, Reporters Sans Frontières (RSF) a publié son classement mondial de la liberté de la presse. En 2018, l’ONG est claire : « la haine du journalisme menace les démocraties ». Sur 180 pays passés au crible, la France se situe seulement en 33ème position. En cause : la domination de nombreux médias français par de grands groupes industriels qui entraîne des conflits d’intérêt.

La média-phobie, une menace pour la démocratie

Sur la carte du monde dressée par RSF, les pays sont classés par code couleur : noir représentant une situation très grave, et blanc une bonne situation pour l’exercice de la presse. En 2018, l’ONG partage son inquiétude : « Sur la carte de la liberté de la presse, jamais il n’y avait eu autant de pays en noir. » 12% des pays sondés sont ainsi dans une situation très grave, contre 9% dans une bonne situation. La guerre a un impact négatif pour certains pays, comme l’Irak, mais l’ONG évoque aussi l’influence grandissante des leaders politiques qui affichent de plus en plus ouvertement leur hostilité à l’égard des médias.

Ainsi, les pays autoritaires comme la Turquie ou l’Egypte, connus pour accuser les journalistes de terrorisme afin d’emprisonner les opposants au régime à volonté, n’ont plus le monopole d’une « média-phobie » assumée. Donald Trump est tristement connu pour ses virulents propos à l’encontre de médias américains qu’il s’évertue à traiter de « fake news » dès que ces derniers le critiquent. Et des discours haineux à la menace physique, il n’y a parfois qu’un pas… Aux Philippines, le président Rodrigo Duterte a annoncé sans complexe qu’être journaliste « ne préserve pas des assassinats ». Tandis qu’en Inde, où le matraquage verbal des journalistes est massivement relayé sur les réseaux sociaux, au moins quatre journalistes ont été tués. 

L’Europe, pourtant considérée comme le continent où la liberté de la presse est la mieux garantie, n’est pas à l’abri de ces destins funestes, comme en témoigne la tragique histoire de Daphne Caruana Galizia à Malte, journaliste tuée dans une voiture piégée.

« La libération de la haine contre les journalistes est l’une des pires menaces pour les démocraties, constate le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire. Les dirigeants politiques qui alimentent la détestation du journalisme portent une lourde responsabilité, car remettre en cause la vision d’un débat public fondé sur la libre recherche des faits favorise l’avènement d’une société de propagande. Contester aujourd’hui la légitimité du journalisme, c’est jouer avec un feu politique extrêmement dangereux. » 

La France, un paysage médiatique dominé par les industriels

Malgré une remontée de six places dans le classement par rapport à 2017, la France, en 33ème position, fait figure d’élève pouvant mieux faire, n’atteignant pas le niveau « d’excellence » des pays avec une bonne situation pour l’exercice de la presse. La France se situe même en-dessous du Surinam, pays dont le président Desi Bouterse a réussi à être gracié de sa responsabilité dans le massacre, en 1982, de 15 opposants politiques, dont cinq journalistes.

Reporters Sans Frontières titre son analyse sur la France « une presse libre mais la concentration inquiète » à cause des conflits d’intérêts vécus dans un paysage médiatique français largement dominé par de grands groupes industriels. La carte créée par Le Monde diplomatique et Acrimed montre bien l’importance de la concentration des médias au sein de quelques familles et grands groupes.

Parmi les conflits d’intérêts les plus marqués en France, l’achat de Canal+ par Vincent Bolloré fait figure de cas d’école dans le milieu du journalisme. Alors qu’il vient de quitter la présidence du conseil de surveillance du groupe Canal+, il en reste un membre actif et l’actionnaire majoritaire. Le milliardaire est connu pour avoir censuré sur la chaîne des sujets entrant en conflit d’intérêts avec ses accords commerciaux. Pire, des médias et ONG se sont associés ce début d’année pour dénoncer les « procédures-bâillons » régulièrement intentées par Bolloré et ses partenaires. Cette méthode consiste à systématiquement attaquer en justice les personnes et organismes qui critiqueraient le grand groupe et ses filiales.

« Depuis 2009, plus d’une vingtaine de procédures en diffamation ont ainsi été lancées par Bolloré ou la Socfin en France et à l’étranger – pour contourner la loi de 1881 sur la liberté de la presse – contre des articles, des reportages audiovisuels, des rapports d’organisations non gouvernementales, et même un livre. France Inter, France Culture, France Info, France 2, Bastamag, Le Monde, Les Inrocks, Libération, Mediapart, L’Obs, Le Point, Rue 89, Greenpeace, React, Sherpa… Une cinquantaine de journalistes, d’avocats, de photographes, de responsables d’ONG et de directeurs de médias, ont été visés par Bolloré et ses partenaires ! » Tribune de Médiapart

Dans un livre-enquête paru le 31 janvier 2018, les journalistes d’investigation Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci racontent la censure exercée par Vincent Bolloré. Le groupe Vivendi leur réclame 700 000 euros de dommages et intérêts.

Journalistes et liberté d’expression en danger ? / Crédit : Thinkerview

Heureusement, la justice protège encore les médias. Le 7 mai, après cinq ans de procédure, Bolloré a définitivement perdu le premier procès en diffamation qu’il intentait au média indépendant Bastamag. Ce dernier explique : « Cette première procédure, qui aura duré cinq ans depuis notre mise en examen, a coûté plus de 13 000 euros à notre modeste budget. C’est, en temps de travail rémunéré, l’équivalent d’une dizaine d’articles comme celui que nous avons publié et sur lequel la justice nous a donné raison. Dix articles que nous n’aurons pas écrits, autant d’informations pour « un débat d’intérêt général » qui n’auront pas été publiées, autant d’injustices qui n’auront pas été mises en lumière. »

Rupture de confiance entre médias et politiques français ?

La défiance n’est pas de mise seulement entre grands groupes industriels et médias. Si la qualité du travail de certains médias publics se fait remarquer avec des enquêtes très léchées à l’image de « Cash Investigation », le monde politique français remet régulièrement en cause le travail de journalistes, quand il ne fait simplement pas de la rétention d’informations. 

Lors de l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le Ministère de l’Intérieur avait interdit l’accès aux journalistes sur place pour « ne pas gêner les manœuvres opérées par la Gendarmerie » qui était en charge de fournir vidéos et photos de l’opération en cours. Pour Antoine Denéchère, jounaliste de France Bleu, du jamais-vu en 20 ans de métier. Les journalistes ont bravé l’interdiction pour rendre compte de l’expulsion en direct, comme l’a fait Camille Martin pour Reporterre.

Alors que l’annonce d’une loi sur les « fake news » avait suscité une vive polémique, les journalistes se voient déjà interdire de poser des questions sur le terrain lors des déplacements des personnalités publiques. Dans cette vidéo, une journaliste de France3 Picardie expliquait avoir été exclue pour faire un reportage sur la venue du Premier ministre Édouard Philippe à l’usine L’Oréal Paris de Lassigny. Matignon avait répondu en précisant que les « 30 journaliste accrédités ne peuvent suivre une visite d’usine étant donné les contraintes d’espace ».

Pour progresser dans le classement de RSF, la France a encore du chemin à faire avant d’offrir une « bonne situation » aux journalistes souhaitant exercer leur métier. A chacun d’être vigilant sur le maintien d’un débat démocratique.

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Laurie Debove

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